28 avril 2011

L'alcool

Je me suis encore soûlé comme un pauvre, même si hier j’avais déjà bu, et hier encore. J’ai toujours bu. J’ai tellement bu que je ne me souviens plus de la dernière fois où je n’ai pas bu. Cette fois-là est morte, tuée par les gorgées. Mon cerveau n’a jamais eu le temps de récupérer les souvenirs qui se sont échappés dans l’alcool. 

Ce soir, j’avais mal à la tête, mais ça ne m’a pas empêché de boire quand même. Ça ne m’a pas empêché de me sentir coupable de boire mon verre. J’avais cru que, parce que j’avais bu hier, je boirais moins ce soir. Mais non. Mon verre s’est rempli, et quand il a été vide, je l’ai rempli. J’ai bu de fatigue, de renchérir le liquide sur ma gorge pour fumer encore et m’apercevoir que mes réflexions disjonctent quand je bois et que j’aime les voir disjoncter. Je suis soûl, encore, comme les pauvres, dans les rues aseptisées, disjonctent la gravité des humains en général. Je généralise. Je réfléchis le monde. Je pose de méchants regards et dès qu’une idée frôle mon esprit, elle frôle tout le monde. Je heurte et je fais mal. Mais j’oublie au fur et à mesure mes mots qui ont fait mal. J’ai le besoin de crier à tout le monde que je connais une vérité qui n’est pas la leur, et que je détiens au fond de mes poings une force que ce monde ne connaît pas. Je me trouve ridicule.

Doublement soûl. Je suis ivre d’aujourd’hui et d’hier. Je suis lendemain et surlendemain. Mais rien ne m’arrête. J’ouvre encore, et débouche encore les bières comme si elles étaient les premières que je versais. Je les bois sans compter, pour m’étourdir et vivre la fin jusqu’à la fin. Si je pouvais mourir en buvant, et boire jusqu’à mon sang, je le ferais. Ma gorge est sans limites. Mes mots non plus. 

Je sais que je pourrais boire du jus de pamplemousse. Du jus d’orange ou de pomme. Je pourrais m’abstenir de ce qui rend malade. Mais ce n’est pas ma faute, à moi, si ma langue aime le goût de ce qui rend fou. Ma folie est pure. Plus pure et plus saine que les saveurs plates et immobiles de ceux qui baignent leurs lèvres dans des jus stables.

Ma bière est le bond des cheveux que je n’ai plus. Je m’enivre avec elle pour me souvenir. Pour pleurer la beauté que je n’ai plus, et me laisser croire qu’il est possible de me retrouver. Je m’abîme, je sais, mais je suis conscient que ce n’est pas le jus d’orange qui me redonnera la verve de mes vingt ans; conscient aussi que ce n’est pas le jus d’orange qui tracera un chemin vers le coeur; ce n’est pas l’orange qui me fera battre le coeur jusqu’à l’exploser et le répandre sur ceux que j’aime. 

L’orange n’est pas intense. Les fruits ne connaissent pas ma douleur. Ils servent la douceur. Mais cette douceur, je ne suis pas né pour la sentir. Cette douceur, elle glisse sur mon dos, comme l’eau et les canards. Il me faut toujours quelque chose de fort pour que le léger se taise et laisse transparaître l’importance du lourd. C’est comme ça. 

Alors j’ai bu et je bois. Je ne me souviens pas de ce que j’ai bu, et je sais que je ne me souviendrai pas de ce que je bois. Je ne me souviendrai pas non plus de ce que je dis, ce que j’écris. Rien, chez moi, n’est gravé. Ma mémoire est morte depuis longtemps. Je n’ai plus de principe. Je suis transparent. Je pourrais tout tuer et tout pourrait me tuer.

Je n’ai aucun principe. Le seul principe qui m’habite, c’est que je bois. Je garde toujours un couteau dans ma poche, au cas où. Si quelqu’un essayait de m’enlever mon verre, je pense qu’il se sentirait coupable d’avoir essayé, de voir couler le sang sur sa peau, et ne pouvoir par aucun moyen reculer en arrière.

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