18 avril 2011

Bébé fleur

Je déteste mon enfance. Cette époque où je n’étais rien qu’un tas de chair ne survivant à rien. Je vivais sans vivre, et la mort, l’idée d’achever mon périple d’une façon belle et originale, ne m’avait pas encore traversé l’esprit. Je perdais du temps à rouler sur moi-même, dans mes bourrelets d’enfant, mastiquant sans dent un jouet caoutchouteux, inutilement, pour rien, je touchais mes pieds en me demandant ce qu’ils étaient. S’ils n’étaient pas de gros hochets. Et je les secouais, espérant un son différent de celui de ma peau énorme. Mais rien n’en résultait. 

Que le son de ma masse lourde, graisseuse, visqueuse de bébé sur un sofa où ma mère m’avait déposé en attendant. En attendant quoi, que je mouille ma couche ou qu’elle m’en change, et que je remouille encore, comme une machine, ce qu’elle s’efforçait de garder propre. 

Je me roulais dans ma merde. Ma mère avait la tête ailleurs dans des mots-croisés. Et je la comprends. Entre croiser des mots ou décroiser les jambes d’un poupon laid pour lui nettoyer ce qu’il a de puant entre les cuisses, le choix est facile. Je ne sais pas si tu as déjà changer une couche. Si oui, ne me touche plus. C’est répugnant, ces trucs-là. Le corps humain qui digère et qui se répand sur les doigts d’humains. Nos doigts ne sont pas ceux de singes. On ne cueille pas les poux, on ne cueille pas la merde comme les fleurs dans un champ de fesses. Je déteste la logique. Je déteste les bébés. Je déteste la logique qui veut que nous fassions des bébés et je déteste m’encrasser les doigts.

Quand je suis tombé du sofa, ma mère ne s’est pas précipité. Son stylo roulait dans sa bouche. Son stylo avait touché ses doigts, et ses doigts, mes fesses, et mes fesses ma merde. Ma merde roulait dans sa bouche et retournait là d’où je venais. Ce ventre où j’avais l’habitude de vomir, avec maman; ce ventre où je n’étais pas seul à être dégueulasse; ce ventre où nous digérions à deux, unis par les boyaux. 

Le stylo roulait dans sa bouche, et moi, sur le plancher. La différence entre ce stylo et moi, c’est que lui, au moins, il savait graver des réponses sur le papier. Il savait écrire des lettres, et trouver les mots, tandis que moi, je croisais les jambes comme un ciseau qui aurait mieux fait de me couper la gorge.

J’ai pleuré, longtemps, sur le plancher. Et puis je n’ai plus pleuré. De toute façon, ma mère avait trouvé la réponse à son mot croisé. Ça ne servait plus à rien de crier. 

Ma mère est sortie dehors. Elle a versé de l’eau dans une grande cruche. En arrosant ses fleurs, elle a remarqué que, à quelque part d’inhabituel, dans le gazon, poussaient de minuscules violettes. Elle a souri. Elle leur a donné de l’eau et moi, dans la fenêtre, mon pouce glissait le long de la patte d’une table. Je transpirais la sueur d’un cochon. Mon dos avait mouillé le plancher et, partout dans les bourrelets de ma peau, je puais.

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