12 novembre 2010

Les avenirs mémorifiques

Dans les océans ou les terres masseuses, je ne sais pas où est passée ma mémoire, dans la tête des chevaux ou des astres, quelque part où je ne vois jamais l’intérieur en tout cas. Quand je parle, j’oublie le fur et la mesure. Mais quand je rêve, je me souviens de tout. Je me souviens surtout de tout ce que les autres ont ri de moi chaque fois que ma mémoire s’est vidée comme un crâne vide.

J’ai dit à Clandres que peut-être ma mémoire est passée dans le béret du vieil épicier que j’ai croisé ; ou dans la vieille qui s’est acheté de la pièce de viande chez l’épicier qui est vieux et qui porte toujours un béret, et qui a vendu une viande à une vieille dont j’ai peut-être parlé un peu plus tôt. Et Clandres m’a répondu « Lance la balle. C’est la récréation et je ne veux pas perdre ma récréation à parler de ta mémoire. » 

Pour Clandres, il n’y a que deux choses qui comptent : la récréation, et puis l’autre chose, c’est un peu flou. Je crois que c’est la balle qu’il utilise à la récréation, ou alors c’est un animal qui est peut-être son animal de compagnie, qui est un chien, qui aime bien aller chercher la balle que Clandres aime lancer à la récréation. 

J’oublie tout. Je pense que je suis comme les poissons morts les yeux ouverts dans les vitrines. Les poissons n’ont pas de mémoire et moi aussi, moi aussi je veux mourir les yeux ouverts dans de la petite neige derrière une vitre. Clandres a ri de moi, que je me souviens, de ses ridules et son narquois de moqueur de sourire parce que lui s’amuse à se souvenir de tout : « Les poissons n’ont pas de paupières! Ils n’ont jamais les yeux fermés! Hihihi! Tu ne savais pas ça, Juvalien? »

Moi, quand il a dit ça, j’ai eu envie de rire parce que c’est ridicule ce qu’il a dit. Mais la professeure avait l’air d’être d’accord d’avec lui. Alors je n’ai rien dit. Pourtant, j’ai fait le test de ne pas cligner et j’ai essayé de ne pas cligner des yeux, mais mes yeux ont pleuré pour me dire que j’avais raison.

On ne peut pas être meilleur que Clandres. Il gagne toujours. Plus tard, il veut jouer dans les sports avec une balle, qu’il lancerait très rapidement, ce qui lui permettrait de gagner le match, ce qui lui permettrait de gagner beaucoup d’argent, et ce qui me permettrait de continuer à dire que Clandres gagne toujours.

Moi, j’ai répondu à la professeure que plus tard, je ne savais pas ce que je voulais faire. Elle a dit le mot pompier, mécanicien, et j’ai dit non, et Clandres a dit le mot horloger et toute la classe a ri de moi. Et je n’ai rien dit parce que je ne sais pas ce que le mot horloger veut dire. J’ai cru que ça avait rapport aux aiguilles monumentales de New York et de Londres, mais j’ai resté muet. 

La professeure a été mal à l’aise d’avec mon silence et elle a dit les mots pompier et mécanicien. Mais je pense que je l’ai déjà raconté et que c’est après qu’elle ait dit ça que j’ai dit non, et que Clandres a dit le mot horloger.

Clandres connaît tout ce qui se peut que c’est énervant : de l’année de la date de Napoléon allée jusqu’à l’arrivée de l’Australie, koalas et kangourous avec ça, et sur la littérature itou, il a la mémoire éléphanthèque. Il connaît tous les poèmes, toutes les phrases et toutes les rimes de hugo, balzac, montpassé, montaigne, et la vie de ces gens-là. D’un exemple? Il m’a raconté la vie de georges fandes qu’il a dit que ça, c’est un auteur garçon que tout le monde a cru pour une fille dans le temps mais qu’aujourd’hui, on sait que c’est un mâle mais on le lit quand même. Je trouve que ce qu’il raconte est beaucoup trop compliqué je trouve.

Moi, j’ai écrit mon poème à la professeure mais elle a dit que les mots « ignorance stupidité moquerie Juvalien ridicule » sont peut-être des mots qui riment dans ma tête, mais ils ne riment pas pour de vrai. Alors j’ai eu la note zéro. J’ai dit que zéro rimait avec nul, mais encore elle a dit que je n’avais rien compris. 

Clandres il est le seul à comprendre tout. Je ne sais pas d’où il est né, mais je crois que c’est d’une coquille dans l’océan, d’où il m’a volé ma mémoire, et d’où les poissons vivants lui ont dit qu’il s’appellerait Sixpé Clandres dans l’avenir. Mais je crois que j’ai déjà dit tout ça.

Je ne suis pas le spécialiste du temps. Je me promène tous les jours dans des mots qui ne veulent rien dire pour moi, parce que leur définition n’est jamais évidente, et ce que je dis n’est jamais évident non plus, parce que les mots que je dis, ils ont des définitions que je trouve qu’elles ne sont pas... Pas toujours... J’ai oublié le mot. 

Ce matin, j’ai dit à ma professeure que je voulais devenir horloger. Elle m’a demandé si je savais ce qu’était un horloger. J’ai répondu non. Elle m’a lu la définition du mot horloger, et j’ai trouvé que la définition n’était pas évidente (évidentes! c’est le mot que je cherchais!). Je ne me souviens plus de la définition du mot horloger, mais je sais que je veux en devenir un. 

- Tu veux vraiment devenir horloger? qu’a dit Clandres. Tu fais une bêtise! Ça n’existe plus, les horlogers! Tout est numérique maintenant!

Je ne sais pas ce que veut dire le mot numérique. Mais je ne sais pas non plus ce que veux dire le mot horloger. Ça s’équivaut, ou ça s’annule. Mais il faut bien vouloir faire un rêve. Le monde est compliqué je trouve. Dans mes rêves, je rêve d’être un poisson mort les yeux ouverts sur la petite neige. Mais en vrai, je rêve d’être horloger...

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