17 mai 2010

LILAS!

Vaisselle me harcèle un jour et puis deux, et puis les céréales sèchent leur lait au fond des bols, le puant et les fonds de bouteilles leurs fonds de bouteilles et les verres, et puis trois, et la crasse me dit : 

- Ce n’est pas comme si c’était la mort des huîtres! On ne va pas javeliser la nature ce soir! Un jour et le soleil plombera la mer et j’y serai au fond, verte et insouciante, comme toi avant que ton sexe se décidât!

Je réponds à la crasse que les assiettes exigent mes mains et que le lavabo exige la brosse, que les fourchettes exigent serviette, le comptoir éponge et l’armoire mousse et puis, le plancher vadrouille depuis déjà trop longtemps je dis : j’ai peine à ouvrir la bouche que l’odeur d’un poisson cru a épinglé mes narines sur le mur couleur de liège. 

- Que je sache, dit crasse, ce n’est pas la mort du poisson cru non plus!

Les fourchettes me reharcèlent la voix glissante dans le creux de mes cuillères presqu’oxydées qu’elles veulent la serviette enlevante ; leur ivresse pour la nuit je crie : s’il faut que je fracasse la vaisselle pour que crasse et vaisselle s’entendent, je fracasserai! Et sur l’éclat je crierai santé! Santé! À l’ivresse de ma vie!

- Mais parfumer! dit crasse. Parfumer, parfumer! Tu connais le parfumé? 

Je dis que parfumer n’est pas laver! Que le Febreze est hypocrite, que tous les masques d’odeur cachent la véritable insalubrité et que toutes les petites pompes sont paresseuses! Que la vérité est reine, dans la ruche comme dans la vie, et que le miel déguise mais ne nettoiera jamais! 

Le téléphone sonne et je réponds, que je ne sais pas et la voix me demande si je suis en train d’écrire et je réponds que j’ai déjà répondu que je ne sais pas!

Je raccroche. Je m’observe et je me répète que parfumer n’est pas laver, mais que je sais bien que je ne suis pas en train d’écrire.

Plus je m’observe, plus je consens à mentir une fois de plus, à parfumer ; à exhiber ma paresse encore plutôt que de travailler à détruire ce que j’ai bâti au plus puant du fond de mon évier. 

- Et tu sais quoi? dit crasse. Toi qui perds ton temps à réfléchir... En parfumant, tu peux regagner le temps que tu as perdu à ne pas écrire!

***

Je plonge un pas dans l’air sec et, dehors, sitôt que je crie LILAS!, l’odeur de ma dernière jeunesse s’aspire et devient exquise. Le parfum du lilas roule dans l’herbe ou le gazon, et aussi dans l’odeur de son tronc, de sa lourde tige. Enfin, l’odeur presque transparente du lilas, de sa fleur qui sent l’eau mauve, me berce jusqu’à un premier mot.

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