29 mai 2010

Face à tarte

J’avais une tante extra-magique qui était experte pour inventer des expressions. Elle était aussi experte pour faire des tartes à la volée. Ça, ça veut dire qu’elle en faisait beaucoup. Elle en faisait tellement que les gens du village l’appelaient la face à tarte. Ça veut dire qu’elle était bonne cuisinière et que ses tartes étaient bonnes en torpille. Elle cueillait elle-même ses pommes, qu’elle écrasait ensuite pour en faire un mâche-ragoût. 

Quand elle écrasait ses linures de pommes, on dirait qu’elle était en écrou, mais en vrai, elle était pas fâchée pour dix dilemmes. Au contraire, elle était en crie-de-joie de faire son boulot de jovence. Sa vie, c’était la tarte. Sa mort, par exemple, c’était quand son ogre-à-l’heure de mari venait dévorer ses tartes comme un baba cyclope. Là, c’est vrai qu’elle se mettait en tord-cerise. Dans ces moments-là, pour dire comme on dit : elle pouvait faire ravaler une dent à une gencive. Mais dans sa vie de salopette, je veux dire de tous les jours, elle était pas plus à tirer le poil qu’une mamelle d’ours.

Un jour, quand son mari est revenu de travailler, il était crevé à la cuirasse. Il avait perdu sa raison dans sa besace, comme on dit, et c’est pour ça qu’il avait dévoré toutes les tartes de ma tante et qu’il en avait même redemandé une lignée de paumes. Il fallait bien s’attendre à ce que la face à tarte fasse quelque chose. Elle a saisi son couteau et, sans perdre plus de temps qu’une horloge des maritimes, elle lui a coupé la main. 

Comme on dit, le pauvre mari a souffert la venise. Il a pleuré tous ses flotteurs et, sur le chemin de l’hôpital, il a juré qu’il divorcerait d’avec ma tante. Mais ça, ce n’étaient que des paroles de rôti cuit à vif. Le pauvre mari s’est fait soigné la gale mieux que la picote et il s’en est remis aussi indemne qu’un cuistre à deux cuisses. Certes, il n’avait plus de main droite. Mais il se consolait en se disant que c’est la main gauche qui nourrit les joues droites.

Quand il est revenu de l’hôpital, le mari de ma tante était plus crevassé qu’un cuirassé. Heureusement qu’elle lui avait préparé une tarte, sans quoi il se serait probablement grugé les sourcils jusqu’au lobe. Il a mangé sa tarte sans dire caca, comme un ogre qui fait pipi, puis il a fini par s’excuser. Ma tante aussi s’est excusée, expliquant que son incessante gourmandise lui pétait les rotules et que chaque fois qu’il dévorait ses tartes, elle avait l’impression de nourrir la cuisine des triplés aux treizes ventres.

Après avoir mangé sa tarte, le mari s’est trouvé aussi calme qu’un verset de prodigue. Il a même fait un effort de dégustation, disant qu’il y avait quelque chose de différent dans la façon dont on avait compoté les linures de pommes. Puis, l’air galvanisé, il a demandé si c’était bien une tarte aux pommes qu’il avait mangée. Soudain, plusieurs ogres-secondes plus tard, il a demandé : 

- Qu’est-ce que je viens de manger...? 

- T’as mangé ta main, a répondu ma tante. Garde l’autre pour demain...

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