3 avril 2008

Les jours chanceux


Quand ma copine et moi avons aménagé ici, nous nous séparions les corvées de vaisselle. Un jour c’était elle, l’autre jour c’était moi. Parfois, on la faisait ensemble. Les jours chanceux. 

On se tenait par la main devant l’évier. L’eau coulait comme une petite passion. Fluide et mince. Puis elle lâchait ma main pour essuyer ce que je lui donnais. Je lâchais la sienne pour récurer ce qu’il restait. Ma brosse. Mon chiffon. Mon amour.

On se lançait de la mousse. Comme dans les films. Je riais. Je lui disais : 

- J’ai jamais vu un film qu’ils se lançaient de la mousse mais je suis sûr que ça existe! Un film qu’ils font ça avec John Travolta!

C’était magique. J’étais de ces gamins qui prennent les bulles de savons pour de la poudre de rêves. Ma copine m’appelait son Petit Rêve. C’était un mot d’amour qui s’est évaporé un certain jour. Je ne me souviens plus quand. 

Comme quand l’eau se vide dans l’évier. Il ne reste que des saletés qui se ramassent là où elles peuvent.

***

Il faut bien que des choses changent. Je lui disais. Les choses changent.

- Sinon on reste bloqués au niveau un dans Mario Bros... Avec les petites tortues-poules pas menaçantes niaiseuses! Faut passer au niveau château! Avec le dragon qui crache du feu à la fin. Et le mur de brique qui s’effondre! Rendu là, là c’est du sérieux!

Quand ça devient dramatique, c’est parce qu’on est devenus meilleurs. C’est ce que je disais. La naïveté pis les bébelles, c’est pour les niveau un.

***

Depuis un an, c’est moi qui fait la vaisselle. Chaque jour, je plonge les mains dans l’eau de vaisselle sale pendant que ma copine joue au Nintendo. Pas que ça me dérange : l’université où je vais a été en grève pendant un mois. C’est la moindre des choses que j’utilise mon temps libre et mes vacances pour faire des affaires plates. Comme la vaisselle.

Je dis plates. Mais c’est amusant. Quand on fait parler les armoires. Quand les fourchettes sont des armes de diable. Quand les cuillères sont de petits sous-marins...

***

Aujourd’hui.

Je suis rendu un pro de la vaisselle.

Ce soir, ma copine s’est couchée de bonne heure. Quand je suis arrivé de travailler, elle dormait déjà. J’ai fait couler l’eau de l’évier tranquillement. J’ai frotté les assiettes comme si je flattais de la porcelaine. 

Je ne faisais aucun bruit. Je déposais les casseroles propres dans les armoires avec la délicatesse d’un chat. Je refermais les portes d’armoires tout en douceur. Lentement. Comme un schizophrène sous médication.

J’entendais des voix. La mienne. Qui me disait de me taire. Faut pas réveiller Rachel. Ma copine. Elle dort.

Demain, elle va se lever. Elle va se demander : 

- Mais qui est-ce que c’est qui a-t-il donc bien pu faire la vaisselle pendant mon sommeil?! 

Elle va s’étonner. Ça sera drôle. Moi, dans mon lit, j’aurai le sourire d’un chat qui ronronne. Je crois qu’à ce moment-là, j’aurai des frissons bizarres. Entre deux. Je vais m’envelopper un peu plus dans mes couvertures. Je vais penser.

- Bon sang. Je suis plutôt au tiède dans mes couvertures. Si on m’enlevait mon petit drap, je crois que ça serait suffisant pour me congeler...

2 commentaires:

Anonyme a dit...

C'est réellement un beau texte, j'adore la comparaison avec MarioBross. Félicitations!

Anonyme a dit...

je l'aime :)