24 février 2007

Lettre à maman (2)

Maman,

est-ce vrai que tu m’as choisi? Que tu sois responsable de ma naissance, tu le serais aussi de mes malheurs, et coupable de tous mes échecs... Je refuse de croire que je me sois laissé choisir, par ton ventre ou ta nature : j’ai demandé à venir au monde, j’ai quêté pour quelque place à l’intérieur de toi.

Tes choix ont enveloppé les miens : tu m’as accepté, pour que le temps se rallonge comme ça lorsque tu pleures, pour qu’il s’accélère comme ça lorsque tu ris; tu as accepté que ton corps devienne autre chose de géant, qu’il se change pour que je naisse au travers de toi.

Je n’ai rien à donner pour l’équivalent, je n’ai pas de coquillages; aujourd’hui, faut-il que je te fasse naître moi aussi? J’aimerais tant le faire, à chaque instant, à chaque seconde.

J’entends des gens, du plus loin de mes souvenirs, dire : « je n’ai jamais choisi de venir au monde, c’est toi maman qui m’as voulu; maintenant, comment vivre autrement… tout repose sur toi ».

C’est tout inversé. Tantôt mon frère est le double de moi, tantôt je suis la moitié de lui; je crains qu’il n’ait jamais choisi de venir au monde, de ce que je crois, mon frère n’en a jamais rien dit. C’est curieux de le voir profiter des légèretés mieux que moi, moi qui ai pourtant choisi de vivre. Tu as raison. Qui choisit prend pire.

***

J’entends tes perceptions : « je me laissais aimer et par le fait même je croyais que j’aimais ».

J’y suis. Je devais avoir 18 ans :
« Je crois sincèrement que ceux qui ne m’aiment pas ne sont pas honnêtes, et que ceux qui sont honnêtes ne m’aiment pas. »

Comment s’en sortir?
L’amour est un fourre-tout qu’on aime ça y mettre le vide du romantisme, du sexe, des promenades, des soirées, des cinémas, des restaurants, des bars, des et cetera; au même titre que les chapeaux, l’amour s’achète comme une mode que les adolescents suivent souvent longtemps. On nous dira que c’est normal, que c’est contemporain d’avoir peur d’être célibataires, que c’est normal de vouloir crier l’amour sur tous les toits.

Ça crie qu’on s’aime et qu’on s’est trouvés comme des âmes sœurs dans un conteneur à déchets. Ça crie que ça se regarde, mais jamais ceux qui sont ensemble ne se regardent dans les pupilles, parfois dans les yeux, oui si la chance sourit, mais jamais dans les pupilles. C’est seulement que le cœur fasse poum poum, qu’on a le bonheur.

Je suppose que j’aime l’amour en ce qui est de vouloir le comprendre et le préserver pour les générations. Quand tous négligent l’amour dès qu’ils tombent amoureux, y a-t-il quelque chose de mal à tomber en amour avec l’amour? Je suis plutôt du genre à croire que les sentiments sont des choses trop délicates pour qu'elles soient criées sur tous les toits.

Il faut savoir se taire. Diriger les sentiments aux bons endroits, c’est pareil que les mots. À tant crier, il ne nous en restera plus à notre mort ou à la mort de l’autre. Ne pas les perdre partout aux alentours. Les sentiments sont les fondations d’une ville, les poutres qui soutiennent les valeurs; ce sont à eux que revient notre essence, ce sont eux qui soutiennent les mots d’un texte. Sans eux, tout s’écroule.
Ne pas gaspiller les sentiments. Ils se font de plus en plus rares. En prendre soin, exactement comme d’un chat. Je remarque que les gens prennent soin de ceux qu’ils aiment, qu’ils leur donnent tout ce qu’ils croient le bon, mais que personne n’est à prendre soin de l’amour. Le pauvre sentiment périt au fond des bouteilles.

« Ski soutien les mot dun texte, cé lamour. rien daute. »

J’y trouvais de la jolie naïveté.

***

Peut-être c’est vrai, qu’avec les années on comprend les choses, mais j’admettrai toujours qu’un enfant de huit ans comprend certaines choses mieux que moi. Aussi je n’oublierai jamais qu’à huit ans je comprenais certaines choses mieux que les adultes.

Est-ce par ma nostalgie que j’admire la sagesse des enfants? Je n’ai jamais cru à ce que les gens puissent évoluer dans leurs têtes. Même l’évolution physique ne pointe pas vers la beauté et se termine souvent très mal, alors pourquoi celle de l’esprit serait-elle à espérer?

Certains changent pour le mieux, d’autres pour le pire. Certains pointent vers la sagesse. D’autres, vers la folie. Je continue de dire que les fous ne sont pas plus fous que les sages.

Des fous mettent toute une vie à tenter de comprendre l’amour sans jamais y parvenir. D’autres y parviennent trop rapidement et se suicident aux poignets avec les veines. Comment s’en sortir? Je t’entends dire que « tu aimes bien être cette folle ». Je prends la phrase pour une réponse.

***

De là, papa doit faire des pirouettes dans sa tombe. C’est qu’il a toujours vécu sa folie sans réserve non plus, mais il y a encore dans sa cervelle, plus d’idées que nous ne pourrions imaginer et, dans son cœur, plus de profondeurs que nous ne pourrions jamais en avoir.

C’est qu’il s’exprime d’une drôle de façon, tout d’un coup, avec les dents. C’est qu’il parle en pleurant que c’est incompréhensible.

J’admire papa pour ce qu’il m’a dit l’autre jour, que ma naissance et mes rires valaient pour lui plus cher que l’argent. C’est vrai que l’héritage est une drôle d’invention. À quoi ça sert, de tout ramasser de son vivant, pour tout donner de sa mort? Montrer tout ce que le cadavre aurait pu donner à ses enfants. C’est triste.

***

Pour ma part, j’essaie toujours de me démerder dans mon écriture, pour arriver à quelque(s) chose(s). Je sais, je me suis lancé dans le luxe avec mon papier à lettre(s) doré(e)(es) et mes petits problèmes de conjugaison(s).

En attendant de vieillir, répétons-nous que nous ne vieillirons jamais. Jamais. Nous ne vieillirons jamais.

William.

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