18 août 2010

Ne vole pas trop haut


Tu m’as recouvert de draps et m’as fait mourir dedans pour voir le monde vivant. Tu m’as jeté au fossé pour voyager plus léger, mais le monde est grand, aussi béant que le trou que ma mémoire t’a creusé et tu meures dedans. Le monde est grand et lourd, et susceptible, il n’accepte pas que les petites comme toi le survolent avec tant de plaisir.

Ne vole pas trop haut! Tu pourrais te casser le cou sur des rêves qui n’en sont pas ; tu pourrais fendre ton front sur les bords aiguisés des arcs-en-ciels et s’ils sont de mon côté, tu pourrais mourir demain dans la couleur que j’aurai choisie...

Tu as pris la mauvaise habitude de croire que mes bonnes habitudes étaient des habitudes, mais le monde n’a pas d’habitude. Il change de couleur toutes les demi-heures et tu le survoles, planant entre ses cheveux, et tu avales les teintures dont il t’inonde chaque seconde. Tu as cru que la teinture était une habitude, mais elle n’en est pas une. Elle n’est pas réconfortante, non, elle est un jeu du monde qui se joue de toi.

Ne vole pas trop haut, mais ne vole pas trop bas non plus! Tu pourrais frapper les tumeurs crâniennes de la terre ; tes chevilles pourraient se buter à une bosse, ou se nouer à un cheveu, et y rester accrochées à jamais, tout cela dans la viscosité d’une teinture qui ne serait peut-être pas la mienne.

Tu as refusé de croire que le monde n’avait aucun sentiments. Tu as eu tort et je t’ai tordu un bras. Les pierres, les chutes, les arbres et les beautés dont il est fait ne t’appartiendront jamais. Tu lui répètes sans cesse que tu l’aimes, mais jamais il ne t’entendra. Tu peux descendre sur son dos et marcher dessus, tu peux même l’aider à chercher, quelque part à pieds, un endroit agréable où il ferait bon vivre avec lui. Mais jamais il ne te répondra qu’il t’aime. 

Ne vole pas trop haut, ni trop bas, mais n’arrête pas de voler non plus! Tu pourrais te fatiguer à force de demander qu’on te porte parce que tu es fatiguée ; tu pourrais crever de fatigue et te résoudre à tomber amoureuse, sans eau ni nourriture, comme toutes celles qui sont mortes dans mes bras.

Tu as voulu voir ailleurs, ce à quoi je ressemblais vu d’ailleurs. Tu as cru que le monde comprendrait que tu puisses le survoler, et que tu puisses continuer à l’aimer même si tu ne lui parlais plus. Mais le monde est sauvage, il n’aime pas le monde et se moque de ce que tu penses lorsque tu penses à lui. Il te veut morte et stable, acquise dans ses bras, comme une poupée sur laquelle le sourire demeure cousu.

Ne vole pas trop haut, ne vole pas trop bas, n’arrête pas de voler, mais jure-moi que tu ne t’envoleras plus! C’est ce que le monde a dit. Et le mien t’a dit la même chose avant que tu me jettes.

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