18 août 2010

De l'amour et des menottes

Il est seul chez lui et boit et retourne le monde de travers, prend les caractéristiques humaines, vous voyez, et en fait un origami sur lequel il échappe du vin avant d’en déchirer les coins finalement enfin, à la fin de la soirée, il fait de tout cela un tas de confettis qu’il dirige sous la lumière et s’imagine en plein mariage, ou peut-être divorce, en tout cas une fête, qui lui donne une bonne raison d’être heureux sans moi.

Il ne voit personne, se dope en secret et préfère encore la solitude de son reflet philosophique dans le miroir aux réelles amitiés que nous avons connues ensemble vous voyez, je ne suis plus là et ne retiens plus les spasmes de ses mains nerveuses, mais au lieu de solidifier notre passé, il s’en crée un de toute pièce où je n’existe plus.

Il s’est acheté hier un pantalon à deux-cents euros, une veste à trois, des chaussures à cent cinquante, un chapeau à quatre-vingts et il porte tout ça devant lui-même, comme si son reflet allait résoudre la mort de quelqu’un de mort ou inventer la mort d’une autre qui ne l’est pas et cette autre est peut-être moi.

Il découpe des images qu’il trouve amusantes dans des revues pornographiques pour en faire des collages, mais il ne peut se retenir de toujours croquer le bâton de colle, parce que, dit-il, cela l’empêche de sourire. Il préfère être triste mais, l’autre jour, j’ai appris qu’il avait violé une jeune fille, elle devait avoir six ou sept ans, peut-être huit, vous voyez, et je me dis que cela a dû le rendre joyeux et, peut-être, que je suis devenue trop vieille pour lui enfin, c’est peut-être ma faute, je n’ai jamais fait gaffe aux rides parce que je n’ai jamais cru aux crèmes vendues en pharmacies, mais peut-être aurais-je dû en acheter quand on y pense, si je n’avais pas eu de rides, peut-être ne m’aurait-il jamais quitté?

Quand je l’ai revu, hier, il y a eu complicité, je veux dire, vous savez, j’ai compris ce qu’il ressentait dès le départ, même si je suis une femme et lui un homme et que ses désirs ne sont pas les miens. On devait se rencontrer pour parler de Matias, mais vous savez ce que c’est, il m’a offert un bol de son fameux spaghetti et on n’a pas du tout parlé de notre fils : je l’ai embrassé et j’ignore pourquoi, je n’ai pas été capable de me dire qu’il était un homme méchant.

D’ordinaire, je n’aime pas me faire frapper lorsque je fais l’amour, mais hier, ce soir-là, j’ai compris l’usage de son fouet, et de tous les objets sado-mazo qu’il utilise disons, et c’est très surprenant à quel point j’ai apprécié son tempérament violent. J’ai ressenti avec lui le plaisir qu’il avait lorsqu’il me secouait et, chaque fois qu’il me demandait s’il pouvait faire glisser son canif sur mon dos, je disais oui. 

Ce matin, quand je me suis réveillée chez moi, je me suis dit que, non seulement il avait été courtois de me payer le taxi, mais aussi que j’avais la forte envie de le revoir... Je sais ce que vous allez me dire : vous allez me dire que je fais bien de témoigner à la cour et que je devrais maintenant m’éloigner de lui. Vous allez me dire que je devrais l’oublier parce que, de toute façon, son procès sera terminé demain et qu’il sera bientôt derrière les barreaux. Mais c’est justement pourquoi je suis ici. C’est vous qui allez lui donner sa sentence alors, vous devez bien savoir : si je vous tuais, vous croyez que ce serait possible que vous m’enfermiez dans la même cellule que lui?

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