11 février 2009

Le cheval de mer


I

Y avait sur l’océan de gros bateaux larges comme ça, avec de la tôle en morceaux, et des fumées très noires, comme du temps des chemin de fer crasseux, et les bateaux qui transportaient des cargaisons un peu mystérieuses. Le bateau dans lequel j’étais servait à transporter des caisses de légumes vers les pays, rien de méchant. On voulait pas la guerre et ce qu’on avait, nous, c’était principalement des carottes et des pommes de terre. 

C’était mon travail de me faire transporter comme ça. Faut dire, c’était facile mais pas payé cher. Souvent après le voyage c’était la mort pour plusieurs. Je détestais mon travail. Faut dire, on fait pas ce qu’on veut. Ni, on est pas ce qu’on veut non plus. J’étais toujours avec les légumes et je déteste les légumes. Je préfère les fruits. Mais y avait pas de fruits. 

Y avait les amis et on se tenait compagnie dans le bateau. On se moquait des origines, de la couleur de notre peau qui était brune ou jaune ou blanche, faut dire, parfois rouge mais c’était rare parce que les amérindiens, chez nous, ça existe pas.

Y en a eu un, quand même, peau rouge, qui a débordé dans la cave. Il est arrivé en craquant le bois. Il a ouvert sa caisse. Et on a vu des pommes de terre sortir. Au début elles sortaient, mais après elles explosaient. Nous, on avait les peaux un peu brunes toutes impressionnées de voir la peau rouge faire des ravages. Je dis ça, parce que c’est peut-être à cause de lui, le rouge et le manque d’attention et que tout s’est mis à branler dans la cave. 

Des morceaux de tôle et ça n’a pas pris de temps que notre bateau s’est changé en épave. Et la fumée très noire sur le dessus de l’océan. Moi j’ai coulé comme les autres et j’ai perdu de vue. J’ai perdu connaissance. Je suis tombé dans les pommes comme de la musique très loin et très creux. De la sourdine et j’ai vu ma vie qui défilait. Mais ça n’était pas intéressant.

Y avait le fond de l’eau. Et nos peaux qui étaient devenues bleues ou vertes. Et mes amis qui avaient arrêté de se moquer. Ils faisaient plus rien sauf être morts comme de la poutine. Moi il me restait encore un peu de temps. Et moi même si je meurs je me moque quand même, ça m’empêche pas, parce que c’est ce que je préfère.

J’ai cherché des yeux pour me moquer. Y avait la carcasse pas vivante et les boulons de la cave avec les caisses qui voulaient presque flotter mais refusaient de. Et y a eu l’hippocampe.

II

Y avait cet hippocampe sur une roche. Il était bébé parce qu’il était vraiment bébé. Il répétait à peu près les mêmes mots, monté sur la roche. Il se mettait à m’énerver parce qu’il parlait avec l’écho des océans pleins de coraux qui écorchaient comme sa voix :

- Je suis un cheval de mer! Je suis un cheval de mer! qu’il disait en se dandinant sur la roche et il imitait très mal le galop d’un vrai cheval.

Je le regardais avec tout ce que je bougeais pas dans la poussière de mon épave. Il était flou. Un peu plus il était invisible. Et il galopait très mal :

- Arrête de dire que t’es un cheval de mer, j’ai dit. Tu peux pas dire que t’es un cheval. T’as pas le droit. Si tu peux pas galoper avec les sabots que t’as pas, avec la crinière que t’as pas, arrête de dire que t’es un cheval! 

Et puis il hennissait très mal :

- Hi Han! Hi Han! Mais je suis vraiment un cheval! Je suis un cheval! qu’il s’entêtait à dire. 

- Ouais, c’est ça... Si t’es un cheval, moi je suis une patate...

- Mais oui, qu’il dit. C’est ce que tu es... Hi Han! Hi Han! Une patate!

C’est vrai, j’avais oublié ma peau un peu brune et puis un peu rougie je lui ai accordé son statut de cheval, gentiment, parce qu’y paraît, les chevaux ça aime beaucoup les patates.

III

- Bon d’accord le cheval, j’ai dit. Je veux pas finir poutine. Et je veux encore moins finir noyé. La peau ratatinée, c’est amusant pour les frites, mais pas pour les patates encore toutes rondes. Alors prouve-moi que t’es un cheval et tire-moi de là!

Il a encore henni comme un âne. Il arrêtait pas et j’ai eu envie de rire mais j’ai pas ri. Il a enroulé sa queue en spirale autour de ma pelure. Il a tiré. Il hennissait parce qu’il forçait beaucoup et il m’a ramené à la surface de l’eau comme un étalon et un peu plus je l’aimais.

Y avait le soleil dehors dans du ciel bleu. C’était la catastrophe mais tout brillait comme si c’était le jardin. 

- Tu sais ce qu’ils aiment manger les chevaux? j’ai demandé à l’hippocampe. 

- Des patates. Hi...

- Han! Non! j’ai dit. Ils détestent ça les patates. Ça goûte la terre. Et les chevaux font caca sur la terre. C’est dégueulasse. Les chevaux ils aiment les carottes. 

- Je veux pas ce qui goûte les crottes.

- Les carottes. Pas les crottes. Et je sais où y en a plein de carottes. C’est sur la terre. La terre ferme.

- À la ferme. Hi! Han!

- ...Oui, bon d’accord, si tu veux. À la ferme...

IV

Les petits bourrelets de l’eau sur le dos de mon hippocampe et il avait faim alors il nageait très vite. Je me foutais bien qu’il aime les carottes ou pas. Je voulais qu’il me ramène sur la terre ferme. 

Il transportait très bien, très confortable. J’étais dans le creux de sa spirale de queue et je racontais ce que je savais des chevaux. Ils dorment debout. Ils regardent de travers. Mon hippocampe regardait aussi de travers, il faut le dire l’effrayant, j’avais peur qu’il fonce dans les icebergs. S’il y avait eu des icebergs.

Je l’ai guidé comme sur un chariot. Et à la plage. Accostés comme deux naufrages. Et après la plage, c’était le terrain gazonné. Le carré de terre. J’ai dit c’est un jardin. J’ai dit c’est une ferme. 

Mon hippocampe a cherché des chevaux mais y avait pas de chevaux. Et j’ai vu la cage avec les grillages et j’ai eu envie de rire mais je sais pas si j’ai ri. J’ai pointé un petit lapin et j’ai dit :

- Voilà ce que c’est! Un cheval! Un vrai!... Comme toi! Tu vois ce qu’il mange? C’est une carotte!

- Un cheval, qu’il a dit. C’est blanc. C’est petit. Et les oreilles...

- Quoi les oreilles? Qu’est-ce qu’elles ont ses oreilles elles sont bien ses oreilles. Non?

- Je ressemble pas à ça.

- Mais oui que tu ressembles à ça! Pourquoi tu te déçois. Tu veux une carotte? 

Et mon hippocampe s’est senti mal et j’ai cru que c’était mon lapin qui lui donnait le mal de coeur mais c’était autre chose parce que l’hippocampe a étouffé. Il manquait d’eau parce que les hippocampes ça vit dans les eaux. Pas dans les airs. Et moi j’étais gorgé.

Il est tombé et moi je suis monté dans la cime d’un arbre pour me moquer. Je moquais beaucoup et la musique jouait creuse dans les trous d’oreilles de l’hippocampe. J’étais flou sur la branche. Je me suis senti invisible avec mon écho de voix :

- Je suis une pomme de terre! Je suis une pomme de terre! que je disais en me dandinant sur la branche.

L’hippocampe-cheval-de-mer a retrouvé sa voix et il me regardait très immobile :

- Arrête de dire que t’es une pomme de terre... qu’il m’a dit mourant. Tu peux pas dire que t’es une pomme... T’as pas le droit. Si tu peux pas tomber des arbres avec la pelure verte que t’as pas, avec la petite tige que t’as pas... Arrête de dire que t’es une pomme! 

Et puis je chantais très bien dans l’arbre en dansant avec le vent :

- Hiou! Hiou! Mais je suis vraiment une pomme! Je suis une pomme!

- Si t’es une pomme, moi je suis un hippocampe...

- Mais oui, que j’ai dit. C’est ce que t’es... Hiou! Hiou! Un hippocampe!

V

L’hippocampe m’a accordé le titre de la pomme. Et je l’ai tiré de là. J’essayais de le transporter jusqu’à l’eau il a dit je veux pas de l’eau, j’ai faim! Et c’était vrai parce qu’il avait pas voulu de ma carotte. Alors il mourait de faim.

- Tu veux manger quoi? je lui ai demandé.

- Je veux des crevettes...

- C’est quoi une crevette?

- C’est un fruit de mer! qu’il me dit.

J’ai regardé mon hippocampe. Il m’a regardé aussi. On s’est demandé. Un fruit de mer? Et là, je me suis dit il faut que je lui parle, à cette stupide crevette qui se prend pour un fruit...

À Charlotte

2 commentaires:

Anonyme a dit...

:D excellent! xxxxxxxxx

Anonyme a dit...

haha! le premier texte de mon blog s'appelle le cheval de mer :P