9 février 2009

Carnets de Luc Harnais III

XVI


Sylia parut triste au téléphone. C’était le festival des regards tristes. Je dis cela à cause de sa voix bien sûr. Elle avait une voix au regard triste. Une voix toute aïgue. Toute tremblante. Toute laide. Après qu’elle eût raccroché, je fixai le téléphone pendant un long moment. Encore le regard triste qui ne me quittait pas et je ne quittai pas le téléphone du regard. 

Je priai pour qu’il sonnât de nouveau. Je l’observais, plein d’ennui, les deux paumes sur les joues. Tout tremblant. Tout laid. J’essayais de me rappeler la voix de Sylia. Au cas où je ne l’entendrais plus. Je n’avais pas son numéro. Elle seule pouvait m’appeler. Mais elle ne me rappelait pas.

Je m’entendais parler mais pourquoi elle ne m’appelle pas elle quittera s’en ira à Londres sans moi ; je me dis tant pis pour elle si elle préfère Londres c’est bien tant pis pour elle, j’ai pourtant dans mes culottes un Big Ben bien plus grand rien que pour elle et elle crache dessus - non en fait, elle ne crache pas dessus, même ça elle ne le fait pas. 

Et je commençai à divaguer de la sorte. Pour m’éloigner de la souffrance de son absence, il fallut bien que mes pensées se dirigeassent vers autre chose que son absentéisme dégueulasse, alors elles se dirigèrent vers des choses plus sensuelles et puis voilà. Je fantasmais en français, puis en anglais aussi : et si je vous épargne les détails de mes fantasmes, c’est que vos petits yeux purs sont de petits black holes qui à mon avis ne sont pas prêts pour de telles revelations

XVII

Le lendemain plein d’ennui les éclats défaits autour de mes yeux hier éclatants quelques ciels perdus, perdus oui mais perdus dans le creux de mes mains je passai au D’Artagnan. Si j’avais eu du mascara il m’aurait coulé je demandai à la réception La chambre de Sylia s’il vous plaît La chambre de Sylia! Et j’allai cogner à sa porte. 

Sylia m’ouvrit. Son regard flirta, flirta c’est vite dit deux syllabes avec moi, mais il se déplaça bien vite dans toute la chambre. Puis vers la télé. Puis oui c’est vrai cette histoire de zèbre et de Provence ils en parlent à TF1. Sylia me demanda des explications :

- C’est quoi cette histoire? C’est à cause de toi que ce zèbre existe?

- Oui... lui répondis-je. J’ai voulu planter des pissenlits de Sorel... Et j’ai voulu voir les zèbres de Provence... Et peut-être j’ai trop prié un zèbre m’est apparu. À Arles.

- Et maintenant...

- Je dois aller...

- À Arles...

- Voir mon petit zèbre...

- Dans le champ...

- Peut-être mort...

- Qui sait...

- Sylia...

- S’il y a de la place pour deux...

- Tu veux venir avec moi?

La question m’était venue naturellement. Je n’attendais pas de réponse. De toute façon, je ne l’écoutais pas. J’étais captivé par les variations de son accent français. C’est tout ce que j’entendais. Un accent que je voulais m’approprier. J’en voulais un pareil. Je le voulais dans ma bouche.

- Je dois prendre le train bientôt et... je dis, le train va arriver et je vais partir alors tu ne seras

Je l’embrassai. Sans qu’elle ne s’y en attendît. Puis je pensai : crie-moi dans la gorge. Sylia. Crie fort. Peut-être après j’aurai ton accent...

XVIII

Elle avait accepté de m’accompagner à Arles. Nous partîmes ensemble pour la gare de Lyon. À Paris. Pas à Lyon. À Paris. Nous arrivâmes à la gare de Lyon. À Paris. Pas à Lyon. J’étais mélangé. C’était elle qui me mélangeait. Non c’était la gare. Non c’était... Elle ne connaissait rien de moi et j’eus l’irrésistible envie de me dévoiler à elle petit à petit. Comme du temps dans un sablier.

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