2 juillet 2012

Réflexions jubilaires





Je me suis assis, comme j’ai l’habitude de le faire depuis plus de cinquante ans, pour réfléchir à quelque chose. Puis j’ai oublié pourquoi je m’étais assis. Je me suis relevé. On eut dit que mes yeux embués avaient été lavés par un inconscient. C’est vrai. Une mouche aurait pu entrer par ma narine, faire un parcours de course, et ressortir première qualifiée de mon oreille. Ma tête était aussi vide qu’un circuit de course l’hiver; aussi vide qu’un aquarium tout juste acheté à l’animalerie quand ils ne vendent pas l’eau avec.

L’idée m’est revenue de m’asseoir pour réfléchir. Je me suis rassis avec l’idée de me seoir, et c’est bien ce que j’ai fait, je me suis si, et si seulement les idées ne m’avaient pas fuit comme la peste, j’aurais pu penser l’humanité comme une blessure. Eh bien je n’ai jamais pensé à la panser. Je n’ai rien pansé. Je n’ai pensé à rien. C’est bien la faute de mes neurones.

Avez-vous déjà vu des neurones manifester? Les miens le font chaque jour. De neuf à cinq.
Ils revendiquent le droit à une meilleure tête. Comme si la mienne ne leur suffisait pas, ils en font des caricatures où ils multiplient la longueur de mon nez, amplifient mes maladresses et, sur un décor de cirque, rient de ma laideur. C’est vrai que je suis laid. Mais il n’y a pas que ça. Ils m’en veulent à cause de mes calculs mathématiques qui finissent toujours en forme de i, et aussi à cause des engourdissements psychotropes que je leur fait subi. Subir, pardon. J’écris comme je calcule, et je fais des fautes, comme avec les mots. Je calcule mal.

Le 21 ou le 12 décembre, ou peu avant Noël (ce n’est pas intéressant), j’ai reçu en cadeau une tête de cochon. Le cochon était vivant (il l’était avant que d’être mort) et sa tête, je l’ai offerte à mes neurones. Curieusement, aucun d’entre eux n’en a voulu.

Ils ne savent pas ce qu’ils osent vouloir. Ils revendiquent une nouvelle tête sans savoir qu’ils ne savent plus revendiquer. Ils ont oublié la mort. C’est à croire qu’ils sont prêts à mourir au profit de leur idéal. J’ai vu un neurone sauter en parachute sans parachute. Il se sentait des ailes électriques qu’il ne sait pas encore faire voler.

Je me suis rassis à la table (je développe parfois des assemblées générales avec moi-même où je discute d’enjeux importants, à main levée, tels que le café ou la crème). L’issue du vote a été celui-ci : j’ai décidé de passer la hachette (c’est un dictionnaire et une arme) à travers le cou de ma douce moitié (moitié, à tout le moins, elle l’est devenue). J’ai jeté son corps aux ordures (l’éboueur s’afférera à le réduire en miettes). Quant à la tête, que j’ai gardée, j’ai solennellement proposé à mes neurones de l’habiter.

Ils n’en ont pas voulu. Mais quelle tête espèrent-ils? Je m’assois chaque soir et réfléchis aux crimes que j’ai commis. Comme si ce n’était pas assez d’y réfléchir, ils continuent de manifester. Ils veulent ma tête en même temps que d’en demander une autre. Je ne sais plus qu’en penser.

J’en étais arrivé à m’asseoir devant le miroir, à me trouer le crâne avec les triangles d’un miroir cassé. Le sang n’hésite jamais à s’enfuir des pores de ma peau. Mais ces sacrés neurones, eux; faut-il que je me hachette la nuque, à grands coups de dictionnaire, pour qu’enfin ils puissent naviguer vers d’autres cerveaux le long de mes fils de sang?

Oui, c’est ma tête qu’ils veulent. Ils l’ont déjà. Mais ils continuent de la vouloir quand même.

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