2 juillet 2012

La grosse qui écrit



Elle se demandait si ses difficultés respiratoires étaient dues à l’asthme ou à l’embonpoint. Quand elle respirait, c’était comme si elle avait le diaphragme coincé entre deux patates. Sa friteuse l’avait lâchée au début du mois. Tout comme l’écriture d’ailleurs, qu’elle avait abandonnée en même temps que son régime.
- Depuis que je suis grosse, elle disait, j’écris mal!

- Si vous vous trouvez grosse, répondit le médecin, vous n’avez encore rien vu! À votre insu, depuis votre naissance, depuis l’époque où votre tête semblait celle d’un singe, laide et partagée entre le sourire et la grimace, entre le bleu et le rouge; et même plus loin, à l’état fœtus, quand vous déformiez le ventre de votre mère en le gonflant de vos membres en une boule de graisse malléable, vous vieillissiez déjà! Vous grossissiez! Vous épaississiez!

La graisse sous ses aisselles ramollissait ses mots. Il fallait qu’elle redouble d’effort pour les relire. Et encore, elle les relisait au ralenti. Quand elle s’assoyait pour écrire et que son dos courbait, ses seins comme deux grosses bosses de chameau lui couvaient le ventre jusqu’au nombril. Elle était lourde. Parfois, quand elle écrivait un poème, alors seulement, elle se sentait des ailes. Mais ce n’était jamais que les ailes de poulet qu’elle faisait cuir au four.
- Il faut que vous vous trouviez un homme, ajouta le médecin, un homme qui vous aimerait telle que vous êtes.

Les garçons qu’elle avait l’habitude de fréquenter étaient pour la plupart des gros tas. Comme elle n’avait pas envie d’être la grosse tasse d’un gros tas, elle s’était résolue à demeurer célibataire et à écrire.
- Je ne veux pas rencontrer un homme! dit-elle. Je veux écrire comme quand j’étais mince! Je veux écrire la peau sur les os, en talons hauts, séchée dans les cercueils d’un salon de bronzage! Il paraît que, des cochons, on en fait du proscuitto. Il doit bien y avoir une façon de m’amincir dans une machine de boucherie, et de me vendre, en tranches fines ou en paragraphes! De vendre mes mots et de faire dire à mes lecteurs que j’écris aussi bien que ce qu’ils mangent!
- Vous êtes grosse. Il faut vous rendre à l’évidence. Vous auriez du mal à courser contre un enfant de deux ans.

Tout à coup, elle a souri. En même temps qu’elle souriait, elle écrivait cette phrase dans le cahier qu’elle tenait devant elle : « je ne suis pas mince, mais qu’est-ce qui m’empêche, pour écrire comme lorsque je l’étais, de faire semblant que je le suis? »

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