23 septembre 2010

Le téléroman

Je suis tanné d’écrire. Mes histoires tournent en rond. La recette est toujours la même. Je pars d’une idée de base : par exemple, « c’est l’histoire de Justin qui prend un bain ». Avant même de commencer à écrire, je sais d’emblée que quelqu’un mourra dans ce bain, par suicide ou par meurtre, comme si tout devait toujours finir par la mort de quelqu’un ou de quelque chose.

Je suis incapable d’écrire une histoire téléromanesque, où il y aurait par exemple un homme nommé Gilles qui jouerait au foot et qui se casserait la jambe, et après un séjour à l’hôpital, on lui découvrirait également une tumeur à la rotule, après quoi il deviendrait chauve, ou rasé, et sa femme Lili le supporterait dans ses traitements parce qu’elle est passionnée de lui, mais aussi passionnée de randonnées pédestres dans les montagnes feuillues du Québec, alors elle serait supra déçue le jour où le médecin Fontaine lui apprendrait qu’il devra opérer son mari pour lui retirer sa rotule tuméfiée. 

Lili remettrait son couple en question et tout le kit, puis elle irait faire de la randonnée pédestre avec Luc, un scientifique qui en connaît large dans le domaine de la rotule et qui adore le sexe, les lofts, la céramique multicolore, les lavabos carrés, les usines d’épuration d’eau et Lili. Il serait un peu plus vieux qu’elle, mais ça ne l’empêcherait pas de courser avec elle jusqu’à tout en haut de la montagne, avec son bâton de marche orange fluo, et d’avoir encore assez de souffle pour rire comme une mouette.

Luc sortirait une pomme verte de sa sacoche brune et dirait que lui, il est une pomme ; contrairement à elle, qui est une roche. Tout cela deviendrait poétique et/ou romantique sur la falaise et les cris des mouettes autour seraient inaudibles grâce à la perche du preneur de son : Luc cognerait la pomme contre la roche pour exprimer à quel point il se sent démoli chaque fois qu’il tente d’approcher Lili. 

Puis il tenterait sa chance, sachant que Gilles n’a plus de rotule pour gravir les rochers. Luc approcherait sa grosse tête en gros plan de celle de Lili, et Lili accepterait son baiser et ce serait super beau, mais aussi super dégueulasse parce qu’on verrait quasiment les langues se flatter le dos, et aussi honteux parce que Lili serait devenue la pute aux yeux des téléspectateurs conservateurs qui eux, préfèrent le pauvre Gilles qui souffre avec sa rotule et qui passe son temps à écrire des lettres d’amour pour sa Lili qui vient le visiter chaque soir et un soir, ce serait ce soir-là où elle lui apporterait une pomme et la mise en scène et les dialogues à ce moment-là seraient méga symboliques alors Lili retomberait dans les bras de sa rotule et avec la trame sonore d’une larme, l’épisode s’achèverait. 

On ferait défiler le générique où il y aurait des noms très fameux, et les comédiens reviendraient à l’écran dans un petit cadre pour nous montrer ce qui se passera dans le prochain épisode et on verrait Gilles qui rencontre Luc en sortant de l’hôpital, mais ils ne se connaissent pas alors il ne se passerait rien, ou alors Luc qui revoit la femme de Gilles avec Gilles, au restaurant du coin, et qui s’interpose entre les deux avec une pomme dans la main, ou encore Gilles qui surprend Lili et Luc ensemble, au restaurant du coin, et qui s’interpose entre les deux avec une rotule dans la main. 

Mais je n’écris pas ce genre de choses. J’écris plutôt dans les draps nostalgiques, dans les univers poreux où tout le monde meurt sans trop de raison, sinon la fin du récit elle-même, ou parfois aussi, dans la cuisine, ou plutôt, dans les troubles psychologiques d’un psychopathe dans une cuisine, dans la sur-multiplication des doubles, des êtres bizarres, vicieux, incestueux, alcooliques ou mauvais, gentils pour personne ou dans la folie, autiste, dans un garçon qui ne sait pas plus parler que je ne sais écrire.

Je n’ai rien de véritable à écrire. Rien auquel un lecteur normal pourrait se rattacher. Je perds mes lecteurs par de trop grandes et inutiles questions et je les perds, j’en suis sûr, dès la première ligne.

Et quand, à la fin, je suis sûr que plus personne ne me lit, je réécris les seuls mots qui sachent me délivrer de l’anxiété, pour me faire vivre encore : poisson cru.

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