23 septembre 2010

L'alcoolique

Vous savez moi monsieur j’ai toujours fait tout, j’ai travaillé, je me suis exilé, j’ai appris sur moi et j’ai évolué, et ensuite je crois que si les gens n’ont pas évolué au même rythme que moi, ce n’est pas ma faute. Sincèrement, si j’ai été témoin d’un acte de violence comme vous le dites, je ne m’en souviens pas. Ceux qui sont violents, je les oublie. Voilà. J’oublie ce qui est mauvais.

Alors si vous espérez que je vous raconte l’acte violent qui apparemment ce serait déroulé sous mes yeux, vous vous mettez le doigt dans l’oeil, parce que je ne m’en souviens pas. De toute façon, je n’ai rien à raconter, je ne suis pas narrateur moi, je suis, triste je parle. Comme ça, je vous parle. Si vous voulez, on peut sortir d’ici, aller prendre un verre ensemble et discuter. C’est joli votre uniforme. Je ne dois pas être le premier qui vous le dis! C’est très répandu, les fantasmes reliés à l’uniforme, je pense que c’est l’autorité qui nous excite. Je suis ouvert aux propositions vous savez, on peut rester ici, mais je prendrais bien un verre de vin blanc avant.

Vous ne prenez jamais d’alcool? Vous devriez, ça détend. Moi je prends deux bouteilles de vin blanc par jour, je n’ai pas honte de le dire. Toutefois, un jour, on m’a dit que l’alcool me rendait trop affectueux, alors depuis, je fais attention au nombre de caresses que je distribue par jour. Sinon, le vin blanc me rend juste parfaitement heureux. 

Vers les dix heures le soir, il m’arrive de pleurer un bon coup, signe que l’alcool élimine les idées noires. Je les transpire par les yeux. Je pleure surtout pour... Je ne sais plus pourquoi. J’oublie ce qui est mauvais. Je pleure, c’est tout. Ensuite j’appelle mes enfants et je pleure un peu au téléphone. Je pense que c’est bon, qu’ils entendent leur père pleurer de temps en temps. Je leur demande s’ils m’aiment, et je leur dis que je les aime, et ensuite je leur redemande s’ils m’aiment, et je leur dis que je les raime. Je pleure avec eux. Mais eux, ils ne pleurent pas. Lorsqu’ils me raccrochent la ligne au nez, je continue de pleurer, mais lorsqu’ils ne me raccrochent pas la ligne au nez, je pleure quand même. Ça m’émeut beaucoup de leur parler lorsque j’ai bu. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça. Peut-être parce que j’ai un peu bu.

Vous ne buvez pas? Vous devriez. Ça détend. Je vous ai vu bouger la jambe. Vous êtes nerveux. Moi, c’est le vin blanc qui me permet d’être bien, juste assez mou. Vous avez des tics nerveux, comme mon fils. Ça vous dit qu’on s’embrasse, là, maintenant? Ça vous détendrait. Un petit french kiss, ça n’a jamais fait de mal à personne. 

Oui, je bois souvent, mais je ne fais de mal à personne. Mon mari, lui, lorsqu’il boit, il devient violent. Il a un problème avec la boisson. Je pense qu’il devrait arrêter. Souvent, le soir, lorsque je finis ma troisième bouteille de vin, étendu, très détendu, sur le plancher du salon, très tranquille, il vient m’insulter. C’est presque violent, je vous dis, sa façon de jeter les chaises sur les murs. Je m’inquiète pour lui. Vous devriez l’interroger. C’est lui qui a un problème. Vous voulez sortir prendre un verre? 

Je peux appeler mes fils, ils ont votre âge, on pourrait sortir tous ensemble! Franchement, je n’ai rien de plus à vous raconter, je ne vois pas de quel acte de violence vous voulez parler. Vous me parlez de cette soirée où mon mari et moi étions allé chez mon garçon, je me souviens avoir mangé, mais de toute façon, cette soirée est oubliée. 

Ça m’étonnerait que l’un ou l’autre de mes fils ait été tué par mon mari cette soirée-là, parce que j’ai parlé à mes fils encore hier soir, pendant la nuit, ou alors c’était avant-hier, le matin, ou la semaine passé, ou le mois passé enfin, Monsieur, répondez franchement : vous vous souvenez, vous, de la soirée que vous avez passé chez votre garçon le mois passé? Je suis sûr que non. Tout le monde oublie, et c’est bien normal. 

Si j’avais le choix, écoutez, j’ai souffert, moi, dans la vie... Si l’alcool finissait par me faire oublier mes fils, est-ce que je continuerais à boire oui, je crois que oui. La question ne se pose pas. Mourir soûl mort, personnellement, à mon avis, il n’y a pas de plus belle mort. D’ailleurs, j’ai toujours dit à mon mari que j’aimerais mourir ivre mort.

Et si je peux vous dire un secret, je crois que c’est pour cette raison, qu’il essaie de me tuer, toutes les nuits avec une chaise, alors que je dors sur le plancher du salon...

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