25 août 2008

Syndrome


Je ne connais pas le syndrome de la page blanche. Je trouve toujours l'inspiration et ma créativité ne fait jamais défaut.

Chaque fois que j’écris une phrase dont je suis passablement fier, je la relis immédiatement. Je la relis deux, trois, quatre fois. Puis, à force de relire, il m'apparaît indispensable de retravailler ma phrase. J’enlève aussitôt tous les mots qui ne me plaisent pas. Et même s’il ne reste plus que la moitié des mots qui se trouvaient dans ma phrase de départ, j’en enlève encore. Il ne reste plus que le quart des mots mais, puisque je sens qu’il le faut, je continue l’élaguage. Enfin, je retravaille tant la phrase initiale qu’il n’en reste plus rien. 

Lorsque j’écris un pragraphe, le même processus s’enclenche. J’élague. J’ôte tous les mots que je n’aime pas, jusqu’à ce qu’il ne reste rien de rien. Ensuite, à partir de rien, j’écris une deuxième phrase en sachant très bien que cette phrase subira le même traitement que la précédente. 

Quelqu’un m’a dit que ça s’appelait le syndrome de la page blanche. Mais dans mon cas, ça serait plutôt le contraire. J’écris sans arrêt. J’efface, puis je recommence. La page n’est jamais blanche. 

C’est pour ça que je n’appelle pas ça le syndrome de la page blanche. J’appelle ça le syndrome de l’écriture noire.

19 août 2008

La gravité de l'aimant

Dans la cuisine, j'étais raide comme un piquet. Je la voyais tourner sur elle-même. Elle ne savait pas que je la regardais. Mais d’où j’étais, je voyais tout. Je l’observais taper du pied. Elle ramassa un petit camion en plastique qui traînait au sol. 

Elle le tendit devant moi. Elle ouvrit légèrement les mains et le camion roula vers moi. Il roula le long de mon corps, sur mon ventre, puis il descendit jusqu’à mes genoux. 

Elle savait que je l’observais. Elle m’embrassa sur le front. Son collier glissa de son cou et tomba sur mes lèvres. Il resta collé sur mon menton. J’étais comme un aimant : ses boucles d’oreille pointaient en ma direction comme si elles étaient attirées par ma peau. Ses cheveux aussi étaient attirés par mon visage. Ils m’enveloppaient comme un rideau. 

Je ne voyais plus rien. Elle tassa ses cheveux et je regardai le bleu du plafond. Elle mit ses mains à côté de mes épaules pour ne pas s’effondrer sur moi. Elle poussa de toutes ses forces et s’éloigna tranquillement.

Elle quitta la cuisine. Elle arrosa les fleurs dehors. Je me mis à pleurer, espérant qu’elle revînt au-dessus de mon berceau. Mais jamais elle ne revint me border. 

Tout cela n'était qu'un rituel.

14 août 2008

Le soleil et les papillons

«J’aime ton texte mais encore 
une fois je le trouve sinistre... 
J’imagine que les grands 
écrivains n’écrivent pas sur 
le soleil et les papillons! ;)»

Les grands écrivains n’écrivent pas sur le soleil et les papillons ; 
Ils n’écrivent pas.
Les stylos ont été déposés sur le jardin. Les ordinateurs sont éteints.

Le soleil ne brûle pas les nuages ; 
Il n’y a pas de nuages.
Les lilas ont parfumé dehors. Leurs grappes roulent sur le vent.

Les grands chevaux sauvages ne sont pas tachés par les ombres ; 
Il n’y a pas d’ombres.
Notre peau a bronzé lentement. Elle sent la noix de coco.

Rachel ne m’aide pas à arroser les fleurs ; 
Je n’arrose pas les fleurs. 
Je ne me suis pas ennuyé de Rachel. Je suis avec elle.

On n’entend pas les voisins crier ; 
On n’écoute pas.
On a contemplé. Les grappes ne roulent plus sur le vent.
Il n’y a pas de vent. Il n’y a pas de parfum. Il n’y a que le calme.

On ne se chicane pas ; 
On se parle.
On a fermé les yeux. Les grappes ne roulent plus sur le vent.
Il n’y a pas de grappes. Il n’y a pas de lilas. Il n’y a que le calme.

Rachel ne se trouve pas laide ; 
Elle est belle.
Elle ne réfléchit pas. Elle est restée avec moi.

Les grands chevaux sauvages ne dorment pas ; 
Ils sont debout.
Je ne dors pas. La nuit n’est jamais venue.

Les papillons n’accrochent pas leurs ailes ; 
Ils flottent.
Les fleurs ne font pas l’amour. Les insectes n'ont pas butiné.

Je ne suis pas un grand écrivain ; 
J’écris sur le soleil et les papillons.
Je m'émerveille. Je ne rêve pas.


13 août 2008

24 heures de ma vraie vie écrite à la troisième personne du singulier




Il dormit pendant huit heures. Je vais ramer jusqu’à la chute! Et au moment de tomber on n’aura qu’à se laisser aller c’est un ravin tu n’as pas des bons yeux tu ne peux pas conduire un bateau prends-moi la main tout ira vite, je sais conduire jusqu’à prendre de la vitesse et sauter de l’autre côté de la falaise pleine d’eau, l’eau va rouler et on va traverser le vide on va tomber et on ne le fera pas par-dessus le vide tu entends les ambulances sont déjà sur leur chemin on n’a qu’à attendre, qu’ils viennent ramasser les restes de nos cadavres et j’attends, que tu me pinces papa, tu es pas capable de me dire si tu as aimé le manège oui ou non? Oui ou non?! Tu es pas capable de me dire regarde ta mère, encore, regarde-la! Surveille-la...

À 5h00, le cadran sonna. William dut se lever. Il sortit de son lit. Son cauchemar le bousculait encore. Malgré la noirceur, il parvint jusqu’à la cuisine les yeux à moitié fermés. Il n’ouvrit qu’une petite lumière. L’ampoule traça les premiers éclats de l’éveil. Sur le plancher de l’appartement, des images de bateaux et de morts flottaient. William mit le pied sur l’ombre d’une chaloupe et accosta tout près de la cafetière. D’abord le filtre, puis le café. Il se fit un café. Le café noir dans sa tasse attendait le lait. William ouvrit la porte du frigo. Il y eut un déclic et l’ampoule du frigo mit un terme à la lenteur de l’éveil.

Le blanc du frigo heurta sa rétine. Le blanc ne se détacha plus de l’oeil. D’abord le lait, puis le sucre. William but une gorgée de café. Il marcha, cette fois en ligne droite, jusqu’au salon. Un instant, William crut voir un cadavre sur la table du salon, mais ce n’était qu’un bouquet de fleurs. Il alluma la télé. Et l’écran mit un terme à l’angoisse de ses premières hallucinations.

Ce n’est pas un cadavre, c’est un bouquet de fleurs, se répéta-t-il. Et il répéta encore une fois qu’il n’y avait pas de cadavre. Il répéta, simplement pour fermer la gueule à ce cauchemar qui lui criait de retourner au lit poursuivre ce qu’il avait commencer.

À 5h15, l’émission que William attendait commença. Il prit la télécommande et augmenta légèrement le volume. Un prêtre commentait alors l’homélie qui venait d’être lue.

- C’est comme si le Christ avait été crucifié en Irak. Le climat de guerre à l’époque devait être semblable à celui d’aujourd’hui. Et pendant que Jésus se faisait fouetter, sa mère disait quoi de tout ça? Elle disait rien! Ah, c’est ben sûr que nous, les pécheurs, on voudrait venger notre fils si il lui arrivait la même affaire qu’à Jésus! Mais Marie a préféré pleurer. Pleurer dans le silence. Elle a préféré prier. Comme ça. Doucement. Elle priait. Voyez-vous maintenant comment c’est important de prier?! Si vous priez pas la vierge Marie, c’est un peu comme si vous fouettiez Jésus... 

Il éteignit la télé. William n’était pas encore tout à fait réveillé que déjà, sans le savoir, il fouettait Jésus. La journée s’annonçait lourde. La télé cessa de jeter ses remords. William termina son café. Il saisit sa tasse à deux mains et il fit une prière au petit Jésus.

- Tu sais Seigneur, les mamans c’est pas toujours facile. La mienne a probablement pas plus d’instinct maternel que la tienne... Elle pleure toujours. Elle pleure en silence. Est-ce qu’elle prie pour moi quand elle pleure? Si oui, elle prie beaucoup trop quand papa est méchant. Seigneur, je vous le dis que c’est vrai, j’aimerais que maman arrête de prier pour moi...

J’ignore si la mère de William arrêta de pleurer à ce moment-là, mais il y eut à la suite de cette prière un certain retour au calme. Les cauchemars s’étaient éloignés, loin de plus de vingt minutes, et William put ouvrir l’ordinateur l’esprit en paix. D’abord internet, puis le blog d’Alicia.

Je devrais peut-être faire comme Alicia, pensa William : sur son blog, elle écrit tout ce qui lui passe par la tête ; elle raconte sa vie dans les moindres détails ; elle parle même de ses journées les plus maussades. 

Il réfléchit, mais il ne trouva rien à écrire. L’inspiration ne vint pas. Il eut beau chercher, rien ne fut concluant. William se cassait toujours trop la tête. À tant vouloir écrire des choses utiles, il n’écrivait rien. Jamais il n’accepta qu’un de ses textes sautât du coq à l’âne, jamais il ne voulut que les mots ne servissent que l’absurde et la bêtise. Il se cassa la tête encore un moment, puis l’heure vint pour lui de mettre ses bottes de travail et d’aller travailler. Le chantier s’ouvrait de soleils avec le matin et le sable parfumait dehors. 

Il travailla pendant huit heures. Je vais clouer jusqu’à la fenêtre! Et au moment de dîner on n’aura qu’à s’asseoir près des ravins tu n’as pas de lunch tu ne peux pas manger seulement des biscuits prends la drill et tout ira vite, je vais percer les trous des clôtures et tu n’auras qu’à les placer au niveau on va finir de bonne heure tu entends les maçons sont partis tu n’auras qu’à manger chez toi si tu n’as pas dîné William, tu es pas capable de me dire si tu as mangé aujourd’hui? Tu es pas capable de me dire regarde papa, encore, regarde-moi! Surveille-moi...

À 13h00, William revint à l’appartement. Il n’entendit pas Toulouse japper. Il ne l’entendit pas courir vers lui. Le bruit des perceuses avait gravement atteint ses tympans. 

Il ôta ses bottes de travail. Ses jambes fatiguées avaient peine à le porter. Dans le salon, Rachel faisait une sieste sur le divan. Il l’embrassa, mais il ne l’entendit pas se lever. Il ne l’entendit pas soupirer que la journée avait été longue.

À 13h15, il prit une douche. La céramique de la salle de bain tournait de fatigue. William se lava. Ses mains tremblantes échappèrent le savon. Il se pencha pour le ramasser. Le jet d’eau lui fouetta le dos. Les gouttes pesaient lourd sur ses muscles fatigués. Son corps tenta de s’évader par les eaux. Sa tête menaça même de tomber au fond de la douche.

Pas besoin de se casser la tête, pensa William. La moindre petite chose banale est importante à écrire. La moindre petite chose banale est un coup de fouet, parce qu’il n’y a personne qui veut pleurer pour moi.

William sortit de la douche. Il s’habilla. Dans la cuisine, il ouvrit la porte du frigo. Le blanc du frigo ne lui sembla pas éclatant. William se tourna vers le divan. Rachel lui sembla éclatante.

Il s’était ennuyé d’elle. Il voulut célébrer leurs retrouvailles. Comme il se cassait trop la tête, aussi il se cassait la tête à trop vouloir célébrer. Il offrit un verre de vin à Rachel. Je crois qu’il eut envie de montrer à Rachel qu’il était possible d’arrêter le temps. Une seconde. Le temps d’une phrase qui durerait huit heures. 

Le temps peut éclater, pensa-t-il. Pour l’éclat de la fatigue. Il prit une bière.

Il but pendant huit heures. Je vais boire jusqu’à demain! Et au moment de se réveiller on n’aura qu’à s’asseoir près des bouteilles tu m’as manqué tu ne peux pas dormir prends-moi la main et tout ira vite, je vais te raconter et tu n’auras qu’à rire on va finir ensemble tu entends la musique est partie tu n’auras qu’à danser si tu n’entends rien, tu es pas capable de me dire si tu veux une bière? Oui ou non? Tu es pas capable de me dire embrasse-moi, encore, embrasse-moi! Aime-moi...

À 21h00, la musique cessa de vibrer. William se brossa les dents. Sa brosse à dents prit l’allure d’une chaloupe et le jet du robinet, celle d’une chute. Il éteignit les lumières. Les yeux à moitié fermés, il distingua les premières ombres étranges des cauchemars. Ses cils se refermèrent sur les murs. Il eut peine à marcher jusqu’à la chambre. L’alcool lui monta à la tête.

Je vais dormir, ou alors je vais travailler, je ne sais plus, pensa-t-il. Huit heures passeront vite...

À 21h15, il entra dans la chambre. Il se coucha à côté de Rachel et, avant de s’endormir, il pleura. Rachel lui demanda ce qui se passait. Mais il ne répondit rien. 

Rien. Je prie. Je prie pour moi.

12 août 2008

Dix minutes pour écrire

Il partira pour Laval dans dix minutes. Alors il écrit, qu’aujourd’hui sera mieux qu’hier et que demain sera mieux que X, si X est égal à A il manque à ma formule d’algèbre une certaine donnée qu’on appelle l’espoir si je réfléchis, rien ne me semble cohérent en y pensant bien, je me demande. Où sont mes bottes de travail.

Il me restait dix minutes, et je les ai gaspillées à me casser la tête.