4 mai 2009

Les castors

 

I

- Tu te souviens Jenny, oh tu étais petite comme ça! Pas plus haute que ça!

Ma mère pendant le dîner répète toujours les mêmes histoires. Pour pas oublier. Elle répète les histoires de vacances, de chalet, de bateau... Je trouve ça ennuyant de l’entendre mais aussi je me dis tant mieux. Si elle oublie pas, c’est tant mieux. Il faut jamais oublier...

- Tu te souviens Jenny?!

Je me souviens je m’appelle Jenny. Mais moi petite comme ça... Ça j’ai oublié. Quelqu’un m’a volé les souvenirs... Nos souvenirs.

II

Ma mère vit au passé. Elle rêve son passé et boit et parle, et parle et boit parce qu’elle rêve :

- Qu’est-ce qui se passe Jenny? Tu ne dis rien! Ohhh mais Jenny! Dis quelque chose! Lorsque tu étais petite!... Bon d’accord, j’arrête. C’est l’idée de retourner au chalet qui te met dans cet état?

Non. Je mange mon rôti. Je mange mon rôti...

III

- Jenny! Qu’est-ce qui se passe? Ton cellulaire était déchargé ou quoi? J’essaie de te rejoindre depuis une heure!

Mon père vit au présent. Et quand il rêve, je sais pas à quoi il rêve mais j’aimerais qu’il rêve à autre chose...

- Dis-moi Jenny, ça t’embête si Lolita vient au chalet ce week-end? J’aimerais tellement que tu lui parles un peu...

Pour lui dire quoi. Qu’elle a piqué la place de maman. Qu’à cause d’elle maintenant c’est fini le rôti avec toi papa qu’à cause d’elle tous les matins maman se réveille seule qu’à cause d’elle les photos sont bonnes à déchirer comme le passé déchiré.

Le passé s’est déchiré papa. Il est déchiré. Tout seul sur le canapé seul. Et il boit sa heineken.

IV

Moi quand je rêve. Je fais du canoë avec ma chère Lolita que je déteste la conne jointe à mon père et je donne le coup de rame pour la faire chavirer moi quand je rêve, ça réussit car elle se noie comme une outarde morte dans le lac et je ris quand je rêve, je ris quand je rêve... je ris à mort.

V

Les arbres de la forêt ont changé depuis que maman est loin du chalet. Ils ont craqué. Ils meurent. Ils pourrissent aidés par les castors. C’est bourré de gris. De branches sales détachées d’où elles étaient.

Moi j’adore les castors. Je crois qu’ils me veulent pour amie. Ils vont rasé la forêt. Du coup le chalet se retrouvera tout seul au milieu de clairières. Tout seul au milieu de plaines. Tout seul! Et papa aura bien de la peine d’avoir quitté maman. Il dira les arbres ont changé depuis que maman est loin du chalet... Eh oui il dira les arbres sont laids depuis que j’embrasse ma laide...

VI

- Jenny, les pommes de terre, ne les jette pas à la poubelle. Mets-les là-dedans. Dans le bol.

Mon père veut faire moins de déchets. Ses poubelles sont vides. Au chalet, il met tout dans un bol qu’il déverse près du sapin dehors. Et les ratons et les animaux viennent manger ses merdes. Ça débarrasse.

- Tu te plais ici Jenny? Tu vois, l’escalier là, j’aimerais la refaire en acier. C’est un projet... Mais j’ai tellement de trucs à faire au chalet...

Mon père, ça l’occupe de

- Lolita! Ah!

De... de crier Lolita ah...

VII

- Bonjour Jenny... dit Lolita...

Je me sens faible. Il manque une partie de moi. J’ai pas la force de transcrire ses mots... Pas la force de résister aux bisous. Tant pis. Je ferme les yeux. J’ai envie de vomir...

VIII

- Ah les cons! Ils ont rongé mes boulots!

Papa. Ses ratons sont venus bouffer les ordures près du sapin mais les castors ont accompagné. Mais les castors, ce sont les écorces. Les écorces et un peu plus loin.

Deux boulots. Deux boulots coupés par les dents de mes castors. C’est pas suffisant. Mais c’est un début.

IX

- Salut Marie salut Corie, j’ai parlé. J’ai dit salut mes deux soeurs que j’adore arrivées au chalet.

Ça m’a fait un repos. De voir des familières. Mes soeurs détestent Lolita au moins autant que moi. C’est une peste salope piqueuse laide dégueulasse. Pour maman. Mes soeurs sont arrivées au chalet. Ça va barder je me suis dit. Ça va barder et mes soeurs ont des idées. De la suite dans l’idée. Et Marie a beaucoup de suites.

X

Une hache. C’est la suite de l’idée.

Je marche derrière Corie. Marie devant. Elle tient la hache. Un boulot. Celui-là. On le frappe. Marie prend la hache comme un homme et je l’adore. Elle frappe comme sur Lolita mais c’est un boulot. Pour faire croire aux castors.

- On dira que c’est les castors qui ont coupé! dit Marie. Et papa verra que les arbres sont laids depuis Lolita!

Marie en est à la moitié du boulot quand papa crie les chéries.

- Mes chéries vous m’aidez pour le dîner?!

Mais nous on est occuper à couper les arbres. De vrais castors. Et après la coupe on fera le barrage. Barrage entre papa et Lolita. Elle y touchera pas. Les chambres sont à maman. Il y a le meuble de maman. Personne n’y met rien. Il y a les armoires de maman. Personne n’y met rien!

Papa sort du chalet. Ses chéries sont pas loin. Près d’un boulot. Un boulot qu’elles hachent. Près du boulot aussi, un castor j’assure.

Papa trouve Marie avec la hache. Marie avec le bâton tueur. Quand papa s’approche elle frappe. Avec sa suite d’idées. Flap. Crr.......

XI

Pourquoi la poitrine et la hache... La hache dans la poitrine sur le cou de papa... Marie avait des idées dans la suite... Sur le chalet.

C’est une histoire à oublier. Une histoire que je suis incapable d’oublier.

XII

Quelqu’un a volé les souvenirs. Nos souvenirs. La voleuse de souvenirs, c’est Lolita. Elle aura pris mes souvenirs et nous, on pouvait rien faire! Alors on lui a pris papa...

J’ai tout oublié du passé. Et du présent aussi. Le présent de papa ce présent-là de la hache. Le présent haché poitrine-cou sous l’arbre sans feuilles.

C’est les castors. C’est les castors qui ont coupé! Et les arbres sont laids depuis Lolita!

XIII

Le chalet s’est terminé. Il y a eu Lolita en pleurs fausses comme les crocodiles que j’en ai jamais vus. Elle a vite oublié le passé mort. Elle vit au présent. Elle oubliera papa.

Mais maman. Maman répète toujours les mêmes histoires au dîner. Chez maman c’est toujours pareil.

- Tu te souviens Jenny! Tu étais haute comme ça! Pas plus haute qu’une hache! La hache! Tu t’en souviens? Parle-moi je t’en prie!

Non. Je mange mon rôti...

1 commentaire:

Charlotte Gautier a dit...

pauvre papa!!
mais quelle salope cette lolita!
lol
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