21 décembre 2008

En deux




Tu m’envies
Je t’en mords

Tu t’endors
Je m’en lève

Tu m’ennuies
Je t’en jour

Enfin
Ensuite

Tu m’engueules
Je t’en bouche

Tu m’encenses
Je mens droit

Tu t’envoles
Je t’en prie

Entrain
Envoi

Tu m’enjambes
Je m’en tête

Tu m’entends
Je t’en prends

Tu m’enroules
Je m’en presse

Endos
Entorse

Tu m’entoures
Je m’en mêle

Tu m’enterres
Je mens vert

Tu m’enchaînes
Je m’en traîne

Ensemble
En être

Tu m’empires
Je tant mieux

Tu m’endures
Je tends mou

Tu m’emmerdes
Je tant pis

L'amour aux objets



J’ai caressé l’oreiller
Que tu caressais la nuit

Je me suis roulé dans les draps
Dans lesquels tu dormais nue

J’ai porté les sous-vêtements
Que tu portais l’été

J’ai embrassé les verres
Dans lesquels tu buvais

J’ai couvert mon corps
De la peau des oranges que tu mangeais

J’ai mangé le savon
Avec lequel tu lavais tes seins

J’ai respiré les mouchoirs
Dans lesquels tu te mouchais

Je me suis brossé les dents
Avec ta brosse à dents

J’ai sucé les bâtons
Des sucettes que tu suçais

J’ai lécher le siège de la toilette
Sur lequel tu t’assoyais



J’ai fait l’amour aux objets
Que tu touchais

Mais les objets ont été froids
Et je ne t’ai pas senti
Me toucher à travers eux

19 décembre 2008

CES ÉCRIVAINS QUI ÉCRIVENT SANS PROBLÈME


LA GRANDE PROBLÉMATIQUE

Quand on pense aux problématiques reliées à la création, on pense d’abord au blocage. Blocage de l’écrivain, blocage de l’artiste, on pense à tout ce qui peut de près ou de loin ébranler la création du créateur. Mais la véritable problématique de toute création, c’est bel et bien l’importance que l’on accorde à la problématique elle-même : c’est, en réalité, l’idée qu’il ne puisse pas y avoir acte créateur sans au préalable y avoir une problématique de base, vécue ou entendue, vaste ou brève. Autrement dit, c’est l’importance que l’écrivain accorde à l’impasse, de même qu’au temps qu’il a perdu à ne rien écrire de valable qui l’empêche de créer davantage.

En fait, la création elle-même se définit aujourd’hui bien plus par ce qu’elle pose comme problème à la société que par ce qu’elle lui donne comme solution. Et cela semble aller de soi. L’art n’offre pas de solution à quiconque le regarde : il offre un regard à quiconque cherche une solution.

Créer est un problème. D’ailleurs, le processus créateur est indissociable de la crise. Angoisse, épreuve du deuil, échec, tout cela renvoie à la condition pathologique de l’artiste dont parle Anzieu. Pourtant, l’artiste s’entête à créer. À combattre le blocage. À surmonter, et même à accepter l’expérience du saisissement. Mais qui sont ces écrivains qui écrivent sans problème?

Inexistants ou rares, ils échapperaient en tout cas au nombre embarrassant de créateurs dont les oeuvres prennent pour objet l’art lui-même. En effet, les problèmes reliés à la création ont investi, en majeure partie, le contenu de l’art contemporain. Peintres peignant la peinture, écrivains écrivant l’écriture - autoréférentialité, introspection maladive - l’art s’est replié sur lui-même, si bien qu’en fin de compte, pour l’artiste, ce qui détermine l’oeuvre d’art, c’est avant tout la misère avec laquelle il l’a créée. 

LA LITTÉRATURE : SOLUTION DE L’ACTE CRÉATEUR

Misère avouée, tolérée comme travail nécessaire, elle inonde le texte et déconstruit le mythe de l’artiste tourmenté. La mélancolie s’est effacée du paysage créateur pour laisser place au problème du devoir, du travail. L’écrivain compose. Il est devenu « travailleur ». Ce n’est plus la folie qui le guette, mais bien la dépression, la surcharge, le burn-out. Il ne reste du mythe baudelairien que le contenu de l’oeuvre d’art, un contenu décalé qui ne trouve plus sa source dans le réel, mais dans le souvenir d’une littérature. Prisonnier de ce qui « devrait être écrit », l’artiste affirme encore sa folie, mais cette fois sans aucune raison. Il affirme encore son mal de vivre, mais si celui-ci entraîne la mort, ce n’est pas dans une perspective sociale, mais par pur spectacle.

Un spectacle qui vise assurément l’originalité. Le critère de nouveauté d’une oeuvre, depuis les modernes, se définit par la valeur du problème qu’elle pose à la société : poser l’existentialisme, c’est poser le problème de l’existence ; poser le surréalisme, c’est poser le problème de l’inconscient, de la même façon qu’en posant le naturalisme, Zola pose le problème de la condition humaine.

Poser problème, remettre en question, provoquer de nouvelles perceptions... Est-ce là le but de l’art contemporain? Apparemment, oui. Il ne peut y avoir de réflexion sans problème. Mais le devoir de l’écrivain ne devrait pas être de « poser problème ». Seulement, nous ne voulons pas d’une oeuvre qui ne soulèverait aucun problème. Une oeuvre qui ne soulève pas de problème, pense-t-on, ne vaut pas la peine d’être entendue, car elle est celle d’un aveugle. D’un naïf.

L’art doit « ouvrir le réel ». C’est là une définition des plus communes. Mais le réel ne peut s’ouvrir indéfiniment, de même que l’art ne peut être dépourvu de limites. Au contraire, l’art est un espace clos, limité et simple, voire même unidimensionnel. Si l’on s’acharne à le complexifier et à en multiplier les approches, ce n’est que pour préserver le gage d’immortalité qu’il constitue, pour en assurer sa survie, sans laquelle nous ne saurions comment autrement laisser la trace de notre passage. Et par le fait même, consciemment ou non, nous faisons subir à l’art le même traitement que les humains subissent : nous en excluons une partie, nous en incluons une autre ; nous en jugeons une partie, nous en admirons une autre ; nous l’analysons ou l’observons ; nous tentons de le catégoriser, d’en faire une Histoire, mais surtout, nous tenons à ce qu’il évolue, car nous refusons son immobilité, tout comme sa mortalité. Comment avouer la non-progression de l’art contemporain, alors que, plus que jamais, l’humain ressent le besoin de progresser à tout prix? Le chef-d’oeuvre devient impossible pour l’écrivain, dit Barthes, car devant sa page blanche, « il ne dispose que d’une langue splendide et morte (...) au moment de choisir les mots qui doivent franchement signaler sa place dans l’Histoire ».

Les problématiques de la création ne cessent d’alimenter le travail créateur. Le roman n’est plus qu’une preuve de l’existence de la création. Malgré toute la volonté de l’auteur, le roman ne parvient pas à remettre en question quoi que ce soit, de même qu’il ne pose pas problème : le problème, c’est la création. Une fois le roman écrit, le problème est résolu. La littérature se donne alors comme solution de l’acte créateur, et l’artiste, comme celui qui solutionne.

LES ÉCHAPPÉES LUMINEUSES

Une oeuvre qui vise à poser problème ne vise au fond qu’à solutionner le problème de l’acte créateur.

Le mythe de l’artiste tourmenté se falsifie. Mais il demeure chez l’artiste une révolte, non pas dirigée à l’endroit de l’incompréhension, mais contre l’art lui-même. Puisque la création pose problème et que l’oeuvre n’est plus que le résultat d’un problème qui n’a pas lieu d’être, la révolte de l’artiste réside dans cette tentative de l’abolition de l’art et de son Histoire au profit de la vie, le danger d’une telle abolition étant qu’elle aboutisse à un refus catégorique de créer. Pourtant, nombre d’artistes ont annoncé le risque : on n’a qu’à penser à Anne Hébert, pour qui le refus de l’art s’incarne autant dans son oeuvre qu’en dehors, ou à Marcel Duchamp, qui à la fin de sa vie abandonne pratiquement l’art pour jouer aux échecs. 

Les problèmes liés à la création, de par l’ampleur qu’ils ont pris et l’importance qu’on leur a accordé au sein du domaine artistique, nuisent finalement à l’expression de l’oeuvre. Mais est-il possible d’écrire sans problème? La question revient plutôt au lecteur. Est-il possible de ne pas voir de problème dans ce que nous lisons? 

Il n’y a pas de réflexion sans problème, et donc, pour qu’un texte fasse réfléchir, celui-ci doit nécessairement poser problème. Et si l’objectif du lecteur est de réfléchir sur le texte, il faut que le texte lui pose problème. C’est précisément ce qui s’est produit pendant des années : nous avons lu pour réfléchir. Pourtant, ce qu’il faut faire ressortir d’un texte, ce n’est pas tant ce que le texte remet en question, ni même les nouvelles perceptions qu’il provoque, mais bien ce qu’il apporte de positif à une société, sans quoi l’art ne servirait qu’à traduire l’obscurité et la fatalité de notre incapacité à résoudre le réel.

En fait, le choix revient toujours au lecteur de faire d’une oeuvre un symbole d’obscurité ou de lumière, de même qu’il revient à l’artiste le choix d’une négativité ou d’une positivité dans son oeuvre. L’artiste aura toujours un choix à faire entre soulever un problème, ou aider non pas à sa résolution, mais à son abolition. Du moins, il aura toujours la possibilité de minimiser l’impact du traitement que le lecteur fera subir à son oeuvre.

Tout auteur de génie, aussi obscure son écriture puisse-t-elle paraître, ne peut se consacrer entièrement ni à l’obscurité, ni à la lumière : il doit savoir, au contraire, conserver l’un et l’autre des contraires, et si son écriture peut paraître plus obscure, ce n’est là que paraître ; ainsi, la faute reviendra toujours au lecteur de n’y voir qu’une chose ou l’autre, séparément, ou d’en exclure une partie au profit de la littérature qu’il tente de construire.

Sans doute, nous construisons l’image de notre littérature en dépit de ce que la littérature tente de donner à l’homme. Nous ne voulons voir de Kafka que ce qui semble être Kafka. Ce qui prime, ce n’est pas la façon dont une oeuvre saura former ou transformer la société, ce ne l’est pas du tout : ce qui prime, c’est au contraire la façon dont cette oeuvre saura former ou transformer l’art, tout simplement. Ainsi, nous négligeons bien plus l’impact que tel ou tel peintre aura sur l’homme que nous ne négligeons l’impact qu’il aura sur l’art.

CE MOT QUE L’ON TAIT

Si l’impact d’une oeuvre d’art se mesure par la force avec laquelle elle déploie une nouvelle perception sur le monde, ce que le monde soutire d’une telle oeuvre, c’est avant toute chose la réflexion que cette perception sucite. Et puisque toute réflexion découle directement d’un problème, la création renvoie inévitablement à la négativité de l’irrésolu. Ainsi, l’écrivain, au prise avec une écriture dominée par l’incapacité de résoudre, crée davantage dans la négativité du malheur que dans la positivité du bonheur.

« En littérature, tout est possible, sauf le bonheur. Il a cessé d’intéresser les auteurs : il est devenu un ressort usé et de mauvais goût. » 

C’est là un mouvement de balancier. Passant du noir au blanc, ce balancier ne date pas d’hier. Déjà chez Aristote, on remarque qu’une division s’opère dans l’art :

« La poésie se divisa suivant le caractère propre à chacun ; ceux qui avaient une âme noble imitaient les belles actions et celles de leurs pareils, ceux qui étaient plus vulgaires imitaient les actions des hommes bas, en composant d’abord des blâmes, tout comme les autres composaient des hymnes et des éloges. » 

D’un côté le bonheur, de l’autre le malheur ; le premier est tu, et le deuxième crié. Le bonheur est indicible. Le malheur, quant à lui, parle plus que jamais. Il dresse le faux portrait de la société. La vérité, c’est qu’on a donné à l’art le rôle précis de bouclier. Bouclier contre l’aveuglement, bouclier contre la naïveté, l’oeuvre peut tout être sauf aveugle. Elle a le devoir d’ouvrir, de faire voir, de nous ouvrir les yeux. De nous garder à l’affût d’un problème, d’une menace de mort. Elle porte en elle le propre de l’être humain : la réflexion.

Celui qui réfléchit, c’est celui qui distingue le génie de l’idiot, l’idiot du fou, quand pourtant la distinction n’a pas lieu d’être ; l’un est l’autre, comme l’autre descend de l’un, le génie descend de l’idiot, si bien que c’est lui qui fait le fou. 


8 décembre 2008

Carrés de terre





Les grands écrivains n’écrivent pas
Ils sont morts

Tomate

Petite verte naissante
Le soleil tape
Sur tes bourrelets
Brillants comme la lumière

Je t’ai versé de l’engrais
Tu as voulu de l’eau
Tu as courbé
Mouillée comme l’eau

J’ai eu peur de t’inonder
Si mon tuteur ne tenait pas

Le jaune a fait des picots
Sur tes pieds mous
Comme les vers de terre
Mous comme tes pieds

Tu as nagé
Presque noyée
Comme une petite nageuse
Rouge comme la couleur

Je me demande
Si je t’ai tuée

Les lilas parfument dehors
Leurs grappes roulent sur le vent

Je jardinais

Je n’écrivais pas
Je me mêlais
Mais la terre ne se mêlait pas

Je me fâchais
Comme d’autres tuaient des vaches

Je me détestais
Comme ceux qui me détestaient
Me détestaient

Mais un jour
J’ai tassé la neige
Et la lumière a été

Le soleil ne brûle pas les nuages
Il n’y a pas de nuages

Je me suis absenté

L’eau a glissé
Comme une goutte
Sur la peau d’une pomme

Chair blanche
Je garde le secret
De ta pelure douce

Tu n’es pas laide
Tu es belle

J’ai fermé l’escabeau
L’eau a coupé

Sur les traces d’une marche
J’ai couru
Je me suis coupé

Je saigne

Je ne suis pas un grand écrivain

Je tache ta peau
Je saigne encore

Nos corps se sont couverts
De mon sang
Du même sang

Je ne peux pas
Te caresser sans sang
Ni même
Te penser sans sang

Je ne t’aime pas
Je pense

Je ne veux plus penser
Et car l’écriture est pensée
Je ne veux plus écrire

Je joue dans les feuilles
Les feuilles
Tachées par la mort des feuilles

Je n’écris plus
Je contemple

Je n’écris pas
Je joue
Et dès lors que je joue
L’écriture se joue

Sur moi comme un cerceau

Elle tourne
Elle pleure
Comme un chien
Maigre devant son miroir

Je ne m’entends pas crier
Je ne m’écoute pas

Je retiens les mots
Je sais reconnaître

Ceux qui me sont venus
Ceux qui tardent à écrire

Une réplique
La terre et le vers

Les grands chevaux ne dorment pas
Ils sont debout

Je n’écris pas

J’écris peut-être
Parfois je n’écris pas

De la satisfaction d’un texte achevé
Je ne garde que le regret
D’avoir écrit

Et de n’avoir eu lieu qu’en dormant

Je ne rêve pas
Je m’émerveille

Je n’écris plus

J’invente la vie
Je prends soin

De ne pas écrire
De ne pas donner la mort

Car chaque fois que j’écris
Je néglige l’arrosoir

Chaque mot est une tomate morte

J’ai accepté de ne plus être dedans
J’ai accepté de me mettre sur

Tomate

J’ai vu ailleurs
Et tes bourrelets
Ne brillent plus

La lumière ne va plus

J’ai fermé les yeux

Les lilas ne parfument plus
Il n’y a pas de lilas

J’écris
Ce que j’ai répété
Mille fois dans le jardin

Je n’ai pas peur d’être entendu

Mais je n’ai pas besoin de carrés de terre
Pour me parler à moi-même

De même que je n’ai pas besoin de pages
Pour me prouver à moi-même

Je ne suis pas un grand écrivain
Mais je suis bien plus écrivain
Que mort

Je ne suis pas mort
J’écris



Les espaces se passent
Mais ton espace demeure

Le mien