15 décembre 2007

Le siffleur

Chaque fois qu’il faisait chaud, il se mettait à siffler comme une bouilloire oui, exactement comme une bouilloire, quand il faisait chaud, il sifflait, par une température comme celle-là, c’est une bouilloire qui siffle, ça bouillonne en lui que les notes de son sifflement l’étourdissent quand il fait chaud, il siffle pendant des heures les journées chaudes, cet homme siffle toujours, à condition qu’il fasse chaud, on l’entend siffler de sueur dans le soleil quand il fait chaud, il siffle comme une bouilloire en train de bouillir sur le rond du poêle chaud, dehors comme en dedans, il siffle chaque fois qu’il fait chaud, l’été dans la piscine ou l’hiver près du foyer, il siffle des notes lisses qui se suivent quand il fait très chaud, il siffle des notes plus saccadées mais jolies, quand le temps le lui permet, il s’abandonne au sifflage et on l’entend partout dans le village, ça siffle comme une bouilloire oui, exactement comme ça, le bruit qui sort du capuchon de la bouilloire quand ça bouillonne, c’est le bruit de sa sifflerie l’été, je crois l’avoir dit, que l’été cet homme n’a de bouche que pour ses sifflements dans le quartier, parfois ça énerve ceux qui dorment, parfois son sifflonnage en fait siffler d’autres, lorsqu’il fait chaud, je crois l’avoir dit, que cet homme sifflait quand il faisait chaud et cette journée-là chaude, il faisait plutôt chaud, aussi l’homme sifflait plutôt, plutôt beaucoup, ou même assez, il n’hésitait pas à siffler pour que d’autres sifflent à leur tour, si la gêne ne les retenait pas, ces autres sifflaient sur l’air d’une chanson puis d’une autre, mais jamais aussi bien, mais jamais avec autant de justesse que cet homme qui sifflait par temps chaud comme une bouilloire oui, exactement comme une bouilloire et si je parle de bouilloire, c’est parce que la mère de cet homme avait l’habitude de faire bouillir l’eau d’un chaudron avant d’y jeter les pâtes sèches, aussi cette mère avait l’habitude de siffler pendant que l’eau du chaudron bouillait et, même s’il ne s’agissait pas d’une bouilloire, il fallait que toute eau bouillonne de mousse qui éclabousse dans la cuisine sinon, pas de spaghetti et, cet homme qui avait sifflé toute la journée était entré voir sa mère pour lui siffler quelques notes très simples dans l’oreille et s’il sifflait encore, c’était parce qu’il commençait à avoir chaud pour une autre raison que ce soleil sans vent : à tant regarder les pâtes dans l’eau bouillante de sa vieille mère qui se faisait de plus en plus vieille dans les vapeurs de l’eau qui ratatine la peau, il en avait la face rougie de chaleur sans toutefois que ça ne l’importune il sifflait, avec les lèvres arrondies qu’il avait comme celles des poissons cela dit, aucun poisson n’aurait survécu à une telle température, par une journée aussi chaude je crois bien avoir déjà dit qu’il faisait chaud et que la mère préparait le dîner pour son fils qui tournait autour d’elle en sifflant, le sifflotage étant contagieux, elle aussi s’était mis à siffler et les deux sifflaient en attendant, puisqu’il faut que pâte ramollisse, ils attendaient en sifflant dans la chaleur de leur fumée d’eau bouillante jusqu’à ce que les nouilles soient molles, la mère a fini par sortir de ses tiroirs une fourchette pour retirer au hasard une nouille du chaudron, voir si toutes étaient cuites mais trop chaudes, la mère et son fils ont dû souffler sur la nouille en question pour la refroidir, ce qui a provoqué un autre sifflement enfin, les deux sifflaient sur la nouille avant de la croquer et ça faisait une musique aux notes très constantes et très soutenues dans les airs chauds, manger du spaghetti par un temps aussi chaud, ça ne pouvait finir autrement que par de la sifflonnerie familiale de la mère et de son fils enfin, il avait fallu attendre que le père rentre du travail pour se faire dire qu’on va-tu finir par le manger c’te crisse de spaghetti-là là, j’ai faim!

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