7 juillet 2007

Diagnostic d'un écrivain

J’aurais dû faire médecin. Les médecins, on les écoute. Les écrivains, eux, on les lit et puis c’est tout. Quand on lit une histoire ou n’importe quoi d’écrit qui est pas dans un journal laid avec une grosse couverture tragique, on prend jamais rien au sérieux. Même quand on lit des romans de peur qui parlent de la mort et de ces choses-là graves, on a quand même le sourire aux lèvres chaque fois qu’on finit un chapitre. C’est tant mieux pour les livres mais, après dans la rue, quand les gens voient un écrivain, ils ont rien à lui dire sauf, ils lui demandent comment il a fait pour écrire aussi bien que ça.


C’est rare qu’on demande à un écrivain : « Est-ce que ma santé est bonne? Est-ce que mes enfants vont bien? Est-ce que je vais mourir? ». Pourtant, c’est ça que tout le monde veut savoir. Les écrivains répondent à des tas de questions en écrivant, mais ils répondent à des questions que personne a posées. Souvent même, les écrivains inventent leurs réponses avant de commencer à écrire alors, ils inventent des problèmes romanesques pour placer leurs réponses quelque part. Parce qu’on le sait, il y a rien de pire qu’un écrivain qui se couche le soir avec dans la tête des réponses pas placées.


Pour les médecins, c’est différent. C’est plus spécial. Les médecins sont comme les sorciers, mais avec des mains de Dieu dans les poches. Ils ont tous les pouvoirs. Moi je pensais que les oracles, les druides, les pharaons et ces choses-là comme ça remplies de pouvoirs étaient toutes disparues et qu’on consultait juste des professionnels qui gagnent de l’argent mais non. Les vieilles madames malades, quand elles vont voir un médecin, c’est pas un monsieur normal qu’elles vont voir. C’est celui qui pourrait les purifier de tout. C’est celui qui mettra fin à leur peur de mourir, elles pensent, les vieilles. Quand elles demandent au médecin si elles vont mourir, elles mettent leur vie entre les mains de ce toubib-là et si il dit non tu mourras pas, elles lui sautent au cou c’est sûr. Pour l’embrasser c’est sûr.


Les médecins sont capables de faire réagir les gens avec presque rien. Un petit oui, un petit non, et c’est fait. Ils tiennent le monde entier à leurs pieds. C’est amusant parce qu’ils ont juste à donner un minuscule coup de pied par devant et tout s’envole. Et si le médecin sort de sa poche le diagnostic d’un cancer, les espoirs du patient sont détruits en une fraction de seconde.


Les médecins détiennent une vérité, comme. Parce que les vieilles le savent pas si leur tête est correct. Tandis que le médecin, lui, il a des instruments pour mesurer plein de choses. Et les instruments, ça a toujours l’air 1- crédible 2- sérieux 3- sûr 4- vrai. Les mêmes qualificatifs que les juges et les policiers. Et ces instruments-là, on les a jamais à la maison. De toute façon, même si on les avait chez nous, on dirait qu’on est pas capables de les utiliser correct : ça prend un vrai docteur. Alors les bureaux des médecins sont aussi pleins que les urgences. C’est pour ça que je me diagnostique toujours moi-même, chez moi dans mon salon, et comme ça aussi j’ai le temps d’écrire.


Ce matin, je me suis diagnostiqué une anxiété morbide. Ouais, je me la suis diagnostiquée moi-même. Il était temps que je le fasse. Ça devait faire trois semaines que je me demandais ce que j’avais. Des étourdissements. Une fatigue assez chronique. L’impression d’être déconnecté de la réalité.


Il doit y avoir deux milliards de personnes qui ont une anxiété grave sur Terre, et dans leur tête ça tourne mais, ils apprennent tous à vivre avec. Au début, ils croient à des lésions au cerveau, des troubles paranoïaques ou même, la folie. Ils vont tous voir un médecin qui leur dit prenez ci, prenez ça, mais c’est d’un psychologue qu’ils ont besoin. Et c’est rare que les médecins réfèrent à des psys. Ça serait comme un prêtre qui envoie un chrétien chez un archéologue. Ça se peut pas.


Alors les anxieux prennent leurs médicaments sauf, c’est sans résultat. Ils sont déçus des réponses du médecin parce que leur stress fait qu’augmenter. Ils ont toujours la tête qui tourne. Et quand ils s’aperçoivent que ça s’arrête de tourner quand ils écoutent la télé, ils se disent que finalement la maladie va passer. Mais c’est pas un remède, la télé. Ils le savent alors ils s’inventent d’autres remèdes et d’autres réponses, comme les écrivains font.


Ils se mettent à tomber amoureux de n’importe qui, pour se changer les idées comme devant une télé. La vie ça devient un téléroman. Des fois aussi, ils font de l’exercice et deviennent des gros musclés. Super musclés. Un peu trop musclés. Et puis, il y en a aussi qui se mettent à manger bio et à boire beaucoup d’eau. On sait pas.


C’est comme ça partout. Je connais personne qui est pas névrosé. Tout le monde a peur de mourir sans avoir vu un médecin. D’ailleurs je me demande, en Afrique, de qu’est-ce qu’ils ont le plus besoin : des médecins ou de l’eau? Quand c’est rendu qu’on a autant besoin d’un homme que d’un océan…


Moi si j’angoisse, c’est que je pense trop. Je pense à la mort et ça m’angoisse. Quand j’y pense, j’aurais dû faire médecin. Les médecins ont pas le temps de penser à la mort, eux, ils sont trop occupés à régler celle des autres.


J’aurais aimé que les patients me regardent comme si j’étais leur sauveur. J’aurais pu faire médecin, ou alors j’aurais pu être un océan. Un des deux. Mais les écrivains, ça sauve rien. Ça écrit des choses qui existent pas pour se prouver à eux-mêmes qu’ils existent.


En tout cas, pour me sauver moi, je me demande ce que ça me prendrait. Un médecin avec une gourde. Ouais, c’est ça qu’il me faudrait. Un médecin avec une gourde remplie d’eau.