14 novembre 2011

Fissure de verre

Il y a une fissure dans mon verre que je n’avais jamais vue. C’est intéressant. Il y aurait une histoire à faire avec ça. Avec un verre brisé, des tas de gens peuvent se blesser, voire même se tuer. Il peut y avoir quantité de morts et d’intrigues :

- Qui a été le dernier à boire dans le verre? Le serveur avait-il placé un quartier de citron sur la fissure pour la dissimuler? Et ce serveur, portait-il un chapeau? Si oui, ce chapeau était-il melon?



J’ai arrêté de fumer. Je mange du pain sec. Il se peut que mes intrigues ne n’en soient pas de vraies et que j’écrive un peu trop de mots inutiles parfois là où il n’en faut pas. Avant, je ne réfléchissais jamais sans fumer une cigarette. Maintenant, je ne réfléchis jamais. Ouganda rime avec koala. Mes plus intenses activités cérébrales se résument à cela.



Sans la cigarette, je suis un joueur d’échec incapable de prédire ni les coups de son adversaire, ni ses propres coups. Je cours à ma perte. On m’a bouffé mon fou. J’attends qu’on me bouffe ma reine. J’aurai toujours mon roi, avec lequel je pourrai cabotiner sur l’échiquier, mais pour ce qui est de la victoire, je vous la donne. Mon talent pour ceci, pour cela, je ne sais pas. Il y a quelque chose qu’on m’a piqué. Quelqu’un a bu dans mon verre en disant que « pour ta santé, il faudrait que tu arrêtes de boire, ou bois autre chose, ou bois du jus de mangue exotique et fais gaffe que ton verre n’ait pas de fissure. »



Quelqu’un a bu dans mon verre et s’est coupé la lèvre sur ma fissure.

(Silence,

silence, concentration, effort

pour ne pas m’en allumer une,

et puis bon)



Que je suis incapable d’écrire sans fumer, eh c’est faux parce que. Après tout, j’ai tout de même écrit quelque chose.

Ces choses que je veux sans le vouloir

Je ne veux pas mourir. Mais à force de ne pas vouloir la mort, parfois, je la veux. Pour faire changement. Parce que la vie m’ennuie. Parce que j’ai envie de dire une phrase différente que « je ne veux pas mourir ». Vouloir une chose que je ne veux pas, c’est ma façon de me révolter. D’autres brisent des vitres, moi je change mon fusil d’épaule. Mes plus grands moments de révolte sont ceux où je décide tout à coup de détester ce que j’aimais : aux zèbres je dis que je préfère les chevaux, et aux chevaux je dis le contraire. Je ne me contredis pas, seulement je change d’idée. Rapidement et souvent. Aussi souvent qu’un sabot touche terre puis s’en éloigne pour se gratter le derrière. Je veux mourir. Comme ouvrir une fenêtre et respirer du nouvel air.



Pour se suicider, il y a un âge à respecter. On ne peut pas se suicider à deux ans. Les enfants qui meurent à deux ans, même lorsqu’ils s’étouffent avec une bille, on ne dit jamais qu’ils se suicident. On dit qu’ils meurent. Au mieux, on dit qu’ils n’ont jamais vraiment existé. On qu’ils sont des anges. Maman n’a jamais dit que j’étais un ange. Elle disait : sois un ange et brosse-toi les dents. Alors je me les brossais, avec mes doigts, sans eau ni dentifrice. Ça ne fait pas de moi un ange. Pour être un ange, il me faudrait soit mourir, soit de l’eau et du dentifrice.



Le suicide me fascine. Le goût de la mort m’appelle. Comme la crème glacée en hiver. Elle m’envoûte, mais il fait si froid que je n’ose pas y goûter. Quand il fait froid, je m’empresse de changer d’idée : je me dis qu’il fait chaud. Aussitôt, la mort devient chaude elle aussi. Comme une soupe l’été. Et, à moins d’être malade, la soupe l’été, ça ne se mange pas.



Je ne veux pas mourir. Je veux pouvoir mourir quand je le veux et pouvoir ne pas mourir quand bon me semble : profiter de ma liberté tout en sachant que je n’en ai pas, choisir d’aimer le brocoli et le faire bouillir, puis choisir de ne plus l’aimer. Le jeter à la poubelle. Le regarder ramollir au fond des ordures, puis décider de le manger. Le déguster. Le vomir dans la cuvette et tirer la chasse d’eau. Choisir de regretter mon choix : remonter le temps et sortir le brocoli de la cuvette, le manger et le digérer. Puis le déféquer dans la cuvette avant de tirer la chasse d’eau une dernière fois.



Je ne veux pas mourir. Je veux être indécis sans jamais avoir tort. Je veux hésiter, et cela toute ma vie. Entre jambon et poulet, je ne veux pas donner de réponse. À la question « que mange-t-on ce soir? », je veux répondre jambet ou poulon.



Si un jour je choisissais de me marier à une femme, j’aimerais qu’elle soit un homme. Un homme comme moi, de la même taille que moi. Je pourrais porter ses vêtements usés pour repeindre les murs de l’appartement. La nuit, par contre, il serait une femme. Je lui ferais l’amour, après quoi elle accoucherait d’enfants qui seraient un jour garçons, un jour filles. Les jours où ils se disputeraient, je déciderais de ne plus les aimer. Je les mettrais à la porte, tout simplement, sous la pluie, jusqu’à ce qu’ils décident de redevenir gentils. Alors je les inviterais à rentrer. Dans le salon ou la cuisine, nous mangerions l’été de la crème glacée. Et l’hiver de la soupe.



Si un jour je trompais ma femme avec une gardienne de moutons, je lui dirais que je la préfère mille fois à cette gardienne. À la gardienne, je dirais que c’est elle que j’aime. Je ne veux pas mourir. Je veux des enfants avant de mourir. Je ne veux pas que mes enfants aiment le chocolat. Je veux qu’ils en mangent à Pâques. Mais la semaine, qu’ils mangent des brocolis. Le week-end, je veux manger du pop-corn. Je veux regarder un film que mes enfants voudront regarder. Je ne veux pas de télé. Je veux que mes enfants étudient. Je ne veux pas qu’ils aient de plaisir. Je veux mourir. Je veux que mes enfants veulent mourir. Je veux qu’ils meurent à l’âge de deux ans.



Je veux qu’ils soient des anges.

Ma littérature

Un papillon est né dans mon cerveau. Aucune caméra ne pourrait le voir. Le cinéma ne pourrait expliquer la naissance de ce papillon dont les ailes ne peuvent êtres décrites autrement que par le biais de mes mots, mauves; la couleur de ses ailes, illisible si ce n’était de la virgule précédant le mot mauves, dont je ne ferai aucune histoire, à peine vous la lirez qu’elle sera renversée par votre impression de ne rien lire.



Dans ce texte, vous ne trouverez pas ce que vous rêvez de savoir. Vous n’y trouverez pas le nom du premier homme à avoir marché sur la lune, la façon dont les abeilles se reproduisent, et si les ours sont prêts à vendre leur peau en échange d’une gorgée de miel. Non. Je vous parle d’un papillon que j’ai éventré, dans mon cerveau; la poudre de ses ailes s’est dispersée comme poussière et interfèrent présentement avec quelques nerfs nerveux, dont celui qui prévient les répétitions et les pléonasmes du genre « nerfs nerveux ».



Mon papillon n’est pas l’anecdote d’un roman plus grand que moi. Si j’avais voulu écrire un roman, j’aurais raconté l’anecdote que j’avais écrite, il y a longtemps de ça, dans laquelle un couteau s’enfonçait dans le mamelon d’une femme à qui j’avais préalablement fait l’amour, après l’avoir déshabillée. Elle criait tant et tant que de ses yeux pleurait un étang, et plus elle criait, plus le couteau s’enfonçait, du mamelon jusqu’au lait, afin qu’à jamais les mots tant et étang ne se parlent.



La vive anecdote réside dans cet usage du mot « couteau », car à cette époque où je fouillais les dictionnaires à la recherche de synonymes exprimant mieux que moi ce que je voulais dire, à l’instar du mot couteau, j’avais cru que, par l’exotisme recherché de son k, le mot kirpan coupait mieux que le couteau. Je ne me doutais pas que la connotation religieuse de l’objet faisait de son détenteur un Sikh. Enfin, du mamelon au couteau, seul le mot kirpan créa un discours chez mes lecteurs, ce qui, à mon grand désespoir, me poussa à prendre mes distances vis-à-vis des mots inventés par les Sikhs. Aujourd’hui, c’est d’autant plus décevant que chaque fois que je raconte cette anecdote, mes verbes prennent la forme du passé simple.



Le papillon, quant à lui, n’est ni une anecdote, ni une histoire. Il n’existe que par le bon vouloir de mon vocabulaire qui décide, oui ou non, d’apposer un mot et puis un autre, ne créant jamais de fissures, jamais d’incohérences, à moins toutefois que l’envie me prenne de dire qu’il existe en Asie un papillon sosie du mien. Les cinéastes seraient les premiers à rire de moi s’ils trouvaient un tel papillon, mauve, à partir duquel ils réaliseraient un film où mon nom apparaîtrait au générique. Cette possibilité peut être drôle, peut-être, car souvent l’humour travaille de possibilités en possibilités, je m’en détache toutefois car si mon objectif était de faire rire, je vous aurait raconté la blague du papillon qui avait peint ses ailes en bleu.



Ce papillon demanda à la première chenille qu’il croisa :

- Pourquoi n’as-tu pas d’ailes?

- Parce que je n’en ai pas encore, dit-elle. Et toi, pourquoi tes ailes sont-elles bleues?

- Parce que, des ailes bleues, je n’en ai pas encore...



Mon papillon n’est pas une blague. Il se loge sans humour dans la tête de ceux qui le lisent. Il aime communiquer avec eux avant de déféquer sa ridicule réalité dans leurs méninges. Et ça, ce n’est ni drôle ni absurde. Si j’avais voulu écrire quelque chose d’absurde, j’aurais dit absourde, et puis j’aurais dit absoudre. Mais je ne l’ai pas fait.



Mon papillon, c’est ma littérature. Pour rien au monde je n’accepterais qu’un cinéaste me vole mes ailes. Le jour où je verrai dans ma télé l’exacte réplique de mon papillon, je vous jure qu’ils ravaleront leurs images, ces foutus cinéastes qui, incapables de puiser leurs idées à même leur art, viennent jouer dans le mien. Mon texte ne peut être servi que par l’écriture. Je le dis que la littérature n’aura de définition que le jour où ses écrivains commenceront à écrire des textes qu’aucune autre forme d’art ne pourra s’approprier. Tout comme le peintre s’est affranchi de la photographie par des techniques exclusives à la peinture, ce qu’il nous faut, c’est une distanciation vis-à-vis de la télévision monstre pour laquelle, trop souvent, nos auteurs sont prêts à vendre leur littérature.

Les mitopemiânes

Au centre de la terre, vous avez du feu. Vous avez du feu, et aussi, des taupes. Vous avez des taupes qui creusent comme la terre est un bouclier sur leur museau. Votre feu les brûle, mais tout juste avant de mourir, vos taupes se reproduisent, créant une descendance qui mourra très jeune mais qui au fil des années s’adaptera à votre feu.

Je vous le jure qu’un jour il y aura vos taupes au centre de la terre. Ne pleurez pas. Ce jour arrivera. Ces taupes seront les vôtres. Elles tourneront sur elles-mêmes, cherchant dans votre feu autre chose qu’un fils ou un frère pour s’accoupler. Et le jour où elles tomberont sur mon bel âne poilu blanc, oui ce jour viendra.

Mon âne aura creusé votre feu avec ses sabots de bois. Par mégarde peut-être, il aura piétiné quelques-unes de vos taupes molles, mais grises dans la survie, il les fécondera, oh oui qu’il peuplera le centre de la terre d’organismes mi-âne mi-taupe. Cette sous-espèce, nous la créeront ensemble. Vous et moi. Je vous le jure que notre espèce perdurera jusqu’à la fin des temps, y compris la lune et tous les endroits célestes où il sera bien vu d’habiter, crinière et oxygène dans le futur. Vos taupes auront la crinière et les sabots qu’elles s’en serviront pour galoper de cratères, de lunaires, de mers et tout obstacle d’eau ou de terre que nous devrons inévitablement, éviter, sans quoi elles se noieront dans la marre que j’en ai de décrire les mouvements incessants de vos taupes. C’est clair, il me semble, que vos taupes n’existeraient pas sans mon âne : il ne faut pas prendre des vessies pour des lanternes, et toutes les expressions que je n’ai aucune idée d’à quoi ressemble ma vessie, lanterne ou lampadaire, que je n’ai jamais vu d’urine qui soit lumineuse ni éteinte.

Mon âne boira l’urine de vos taupes, et vos taupes de même l’urine de mon âne, la jolie affaire, que de s’entre-lichouiller le cratère des planètes que vous déciderez si nous sommes aptes à y vivre ou à y mourir. La jolie affaire, vous et moi, intelligences mélangées, sur une x planète, dans l’x futur, taupes et âne accouplés, animaux fétiches et jeux sexuels dont vous oubliez les règles au fur que je parle, sur la lune ou ailleurs, que je dis :

- La jolie affaire! Hein! Vos taupes! Surveillez-les! Que mon âne ne les piétine pas!

- Mes taupes? vous dîtes. Ce sont les vôtres! C’est moi qui ai l’âne!

- Non, moi j’ai l’âne! C’est mon âne à moi qui piétine! Vous, vous avez les taupes qui résistent au feu!

Il faut toujours que vous demandiez à l’âne ce qu’il en pense. Dès qu’une dispute éclate entre nous, incapables de régler ça à l’interne, vous faites interférer l’animal avec nous. Pourtant, vous devriez le savoir, que l’âne répète toujours la même chose :

- Je ne suis ni à l’un ni à l’autre, qu’il dit, je suis aux taupes depuis le jour où je les ai fécondées.

- Bouh! que je dis. Le lâche! Gros chanceux d’âne que je n’aie pas de peinture ni pinceau, que je n’hésiterais pas à te déposséder de ton statut d’âne en te faisant zèbre ou faisan zébré! Je rigolerais bien de te peindre sur le dos des attributs qui ne sont pas les tiens!

Mon vieil âne mourra, je le sais, en même temps que vos vieilles taupes, et ni plus vieux et ni plus jeune, au même temps exact que votre feu décidera que le temps calcine. Après toutes ces morts, on s’efforcera, vous et moi, de croire notre âne-premier mieux que nos mi-taupes mi-ânes nouvellement nées (que nous appellerons mitopemiânes pour faire plus simple).

Nos mitopemiânes ouvriront leurs yeux d’ânes, et creuseront avec leurs pattes de taupe, si bien qu’elles verront et creuseront plus creux que le centre de la terre.

- Plus creux que ça, vous jurerez, que c’est impossible. Il n’y a plus creux que le centre de la terre que le crâne d’un homme vis-à-vis d’un autre.

Vous, chaque fois que vous ouvrez la bouche, c’est pour dire quelque chose d’intelligent. Je vous déteste, que ça m’énerve de vous détester, royalement autant que justement, rois et toute forme d’abomination hiérarchique, entre vous et moi, les couronnes et le lala que je dis. Aussi curieux que paraisse le fait que je dise aussi curieux que paraisse, le fait est que si je devais me marier avec quelqu’un avant de mourir, au centre de la terre, ce serait avec vous.

Nos intelligences, l’une jumelée à l’autre, imaginez; la vôtre renforçant la mienne, la mienne atténuant la vôtre. Le mariage parfait d’un homme vis-à-vis d’un autre. Je saurais vous convaincre de vous laisser convaincre. Je vous ferais l’amour comme à des milliers de taupes, après quoi vous accoucheriez d’autres taupes qui, elles, sauraient galoper comme moi les cratères de grands champs d’ânes soudains réconciliés.

Je suis un âne, je vous le dis, pour peu que vous l’êtes aussi, il n’y a que moi qui puisse faire apparaître des ânes au centre d’où vous êtes. S’il le faut, je signerai mon nom sur le dos de mon âne prochain afin d’en être l’auteur, à jamais, vos mots liés aux miens, à jamais de l’âne et de la taupe; je l’énonce clairement, là, l’exacte douleur que vous refusez d’entendre, que votre intelligence équivaut la mienne, ni plus ni moins, y compris les taupes, y compris mon centre extérieur au vôtre, et votre centre centre d’un âne, et nos centres qui ne seront jamais, jamais centres, ni de vous ni de moi.

L'Escalier du manoir

Dans un manoir (appelez-le château si vous voulez, c’est vous le roi), un vieillard (qui pourrait être jeune si la jeunesse vous plaît davantage), avait du mal à monter l’escalier (ou à le descendre, tout dépendant de si vous considérez l’homme en haut ou en bas) qu’il avait fait construire pour son épouse (belle ou laide, selon votre style) dans les années trente (1830, 1930, 2030; selon que vous préférez les récits futuristes ou passés).



C’est non sans pleurer les années passées que le vieillard décida de faire détruire l’escalier où jadis il courait jusqu’à la chambre à coucher (ou la salle de bain, ou le garde-robe, enfin, les lieux où vous faites l’amour me sont inconnus) pour faire l’amour à sa femme. Au moment de la destruction de l’escalier (la destruction escalière, escalaire, ou tout autre mot que vous pourriez inventer pour le dire), il se rappela entre autres (ou alors il ne se rappela que de cette fois-là (je ne voudrais pas brusquer votre pudeur)) d’une nuit où il avait fait l’amour tant et tant que, le matin suivant, il avait dû rester coucher, incapable de bouger les jambes.



Voyant que son mari ne pouvait plus marcher, l’épouse avait téléphoné à un médecin (si, depuis le début de l’histoire, vous préférez un cheval et une jument plutôt qu’un homme et une femme, il faudrait dire vétérinaire). Le médecin (toubib et autres synonymes) n’avait rien prescrit au vieillard (et/ou placebo). Il n’avait rien pu faire, sinon conseiller à l’épouse de porter son mari chaque fois qu’il voulait descendre ou monter l’escalier du manoir. Étant donné l’âge respectable de l’épouse (80 ou 4 ans, selon votre respect), elle n’avait pas les muscles nécessaires pour porter un tel corps. Une seule fois (ou deux, ou trois fois), elle tenta de soulever le corps de son mari. Cette fois-là (ou ces fois-là), elle mourut des suites de ses déchirures musculaires.



Le vieillard (l’homme, l’époux, enfin, vous savez de qui je parle) décida de faire détruire l’escalier parce qu’il en avait marre, dit-il, de vivre sur le deuxième étage du manoir depuis la mort de son épouse. Il prétendait (et vous êtes libres de ne pas y croire) vouloir vivre sur le premier étage.



En réalité, secrètement (secret qui n’en est plus un puisque je vous en informe), le bonhomme ne souhaitait que le suicide. Il avait calculé que, en retirant l’escalier, le toit s’effondrerait sur le deuxième étage, qui lui s’effondrerait sur le premier. Il avait organisé sa mort de façon si précise qu’aucun ingénieur (pas même vous) n’aurait pu le soupçonner.



Dans la poussière de la déconstruction escalière, le vieillard poussa quelques mots (des mots que vous choisirez, ouch, boum, mon amour, ma chérie, mon oiseau et tous les noms que peuvent donner les maris à leurs épouses). Les démolisseurs comprirent qu’ils avaient, malgré eux, causer la mort d'un homme. Et vous, vous avez compris ce que vous vouliez comprendre.

Le dentiste (pas vétérinaire)

Dans la salle d’attente d’une clinique, un dentiste a installé une caméra. La caméra enregistre le passage de chacune de ses clientes.



Jusque là, c’est assez clair, il me semble : une caméra, accrochée au plafond, filme les clientes d’un dentiste.



Le soir venu, dans son bureau, le dentiste repasse la vidéo en boucle en se mordant les lèvres. Il se mord les lèvres parce qu’il y voit parfois de jolies clientes. Ne faites pas semblant de ne pas comprendre : quand un dentiste a du désir pour quelque chose, il se mord les lèvres. Bien sûr, tous les dentistes ne se mordent pas les lèvre. C’est vrai, mais je ne vous parle pas DES DENTISTES EN GÉNÉRAL, je vous parle de MON DENTISTE À MOI.



C’est un dentiste que j’ai inventé. Appelons-le Gustave, si vous voulez. Marc, si vous préférez, c’est sans importance. Vous n’êtes peut-être pas d’accord avec le nom. De toute façon, ce dentiste n’est pas mon dentiste à moi. Je n’ai jamais vu de vrai dentiste. Dans la vraie vie, je n’ai pas de problèmes dentaires. C’est une histoire que je vous raconte, et dans mon histoire, mon dentiste, MARC, se mord les lèvres parce qu’en repassant la vidéo de la salle d’attente en boucle, il voit plusieurs jolies clientes.



La salle d’attente n’est pas en forme de boucle. Elle est carrée, comme toutes les salles. Toutes les salles ne sont pas carrées, vous me direz. Elles sont parfois rectangulaires. Alors je dirai rectangulaire. Et vous me direz qu’elles sont parfois triangulaires. Ce que j’essaie de dire, c’est qu’à force de se mordre les lèvres, le dentiste n’en a plus.



De lèvres. Le dentiste n’a plus de lèvres. Comment voulez-vous qu’il n’ait plus de force? J’ai dit qu’À FORCE de se mordre les lèvres, le dentiste n’en avait plus. De lèvres! ÉVIDEMMENT! Si je vous dit que le cheval noir de Berthol est noir, allez-vous croire que Berthol est noir lui aussi?!



Votre intelligence m’a fait faux bond. Je ne connais pas la couleur de Berthol. Il n’est pas un personnage. Il est un exemple. J’aurais beau vous dire qu’il s’appelle Berthol parce que je n’en ai pas trouvé d’autres, parce que le nom de Marc était déjà utilisé, vous me demanderez toujours de trouver un nom au cheval noir. Si vous voulez un nom pour votre cheval, trouvez-le vous-mêmes. Tout ce qui vous intéresse, c’est ce cheval. Et pourquoi pas une vache? Pourquoi pas un chevreuil?



PARCE QUE J’AI DÉCIDÉ DU MOT CHEVAL. CHEVAL-CHEVAL. DENTS DE CHEVAL EST-CE QUE C’EST POSSIBLE DE REVENIR À MON HISTOIRE INITIALE.



Je pense que vous n’êtes pas de vrais lecteurs. Vous êtes des écrivains qui n’osez pas écrire. Vous aimeriez inventer à ma place, mais vous n’avez pas le courage de le faire. Alors vous critiquez chaque mot afin que celui-ci devienne l’exacte réplique du mot que vous auriez aimé écrire.



Lâches. Vous êtes lâches.



Le jour où votre cheval aura mal aux dents, vous reviendrez me voir. Vous me demanderez si mon dentiste ne pourrait pas plutôt être vétérinaire. Je dirai non. Il est dentiste parce que j’ai décidé qu’il l’était. La seule chose qui puisse le faire changer de métier, ce sont les jolies clientes. Et vos juments, sincèrement, il n'a jamais rien vu d'aussi laid.

Le pluriel

- Tout le monde se demandait s’il était normal.

- Qui ça il?

- Le monde.

- Oui, d’accord, mais quand tout le monde se demandaient s’il était normal, ils parlaient de qui?

- De lui!

- Qui lui?!

- De toutes les femmes qui se demandaient si elles étaient normales, et de tous les hommes qui se demandaient s’ils étaient normaux!

- Ah!... Alors tout le monde se demandaient s’ils étaient normaux!

- C'est ça. Tout le monde se demandait s’il était normal.

- Je sais pas... Y a quelque chose de pas normal dans ta phrase...

Amours alcooliques

Quand elles ont bu un verre de trop, les femmes téléphonent souvent aux hommes avec leur cellulaire. Elles leur laissent des messages auxquels les hommes ne répondent pas parce qu’ils sont occupés à conduire leur voiture même s’ils ont bu un verre de trop.



Nous vivons dangereusement.



Quand elles n’ont pas bu, les femmes conduisent parfois. Quand ils n’ont pas bu, les hommes conduisent en parlant au cellulaire.



Nous vivons dangereusement.



Quand les femmes et les hommes se rencontrent, ils prennent un verre de trop ensemble. Ils conduisent la voiture ensemble, tout en parlant ensemble. Les hommes disent que les femmes devraient parler un peu moins souvent. Les femmes disent que les hommes devraient conduire un peu moins souvent.



Ça pourrait devenir dangereux.



Heureusement, ils rencontrent très souvent un ami qui ne boit pas et qui sait conduire. Cet ami sait conduire à la place de l’homme, et sait aussi parler au nom de la femme. L’homme n’écoute plus la femme. Il écoute son ami. La femme n’entre plus dans la voiture de l’homme. Elle se laisse conduire par l’ami.



Ça s’en vient dangereux.



Un jour, l’ami couche avec la femme. L’homme décide de ne plus parler à l’ami. La femme, elle, décide d’avoir des enfants avec l’ami. Elle n’arrête pas de boire pour autant. Son ami lui dit d’arrêter. L’homme, lui, se demande si ses amies n’accepteraient pas de coucher avec lui si elles buvaient plus souvent.



Les enfants de la femme naissent. L’ami leur apprend à marcher. La femme boit pour oublier que le père de ses enfants aimerait qu’elle cesse de boire. L’homme, lui, boit pour oublier qu’il n’a pas d’amis avec qui boire.



C’est dangereux.



Quand il voit sa femme ramper sur le plancher, l’ami se demande si elle sait encore marcher. Les enfants, eux, marchent souvent sans savoir où aller. La femme demande à l’ami de la laisser ramper vers où elle veut. L’homme, lui, à plat ventre sur son plancher, prie que les lèvres de la femme rampent jusqu’à lui.



Ça pourrait être mieux.



La femme embrasse ses enfants. L’homme n’ose pas embrasser les enfants qui ne sont pas les siens. La femme aimerait avoir d’autres enfants. L’homme aimerait embrasser des enfants qui sont les siens.



C’est déjà mieux.



La femme appelle l’homme. L’homme prend sa voiture. Les enfants marchent avec leur père sur le trottoir. L’ami ne sait plus où aller. Il aurait envie de boire lui aussi, jusqu’à ramper lui aussi, mais il s’efforce de rester droit vis-à-vis de ses enfants.



L’homme prend la femme. L’ami se suicide. La femme achète un bouquet de fleurs pour cet ami avec qui elle a eu des enfants. L’homme, lui, garde son argent pour les enfants qu’il aura peut-être un jour.



L’homme prend sa voiture même s’il a un peu trop bu. La femme lui parle même si elle a un peu trop bu. La femme pleure l’ami. L’homme pleure l’amie qu’il n’a jamais eu. La femme se jure que plus jamais elle n’aura d’ami. L’homme pareil, se jure que pas plus qu’aujourd’hui il n’aura d’amie.



Enfin, les deux se marient en dehors des amis, en dehors des autres, et je pense que c'est là tout ce qu'ils pouvaient espérer de mieux.

Le capitalisme n'est pas plus éternel qu'un pharaon momifié dans un sarcophage

e suis profondément con. Ce que je n’écris pas ne prive personne de rien. Je suis profondément inutile à votre destin beau et grave que vous avez dessiné de la façon que vous l’avez imaginé. Je n’irai pas mettre mon coup de crayon dans ce fouillis, gâcher le désordre que vous tentez de construire. De toute façon, sur vos chantiers, mon coup de marteau importe peu, que je le donne sur tel ou tel clou, il sera oublié aussitôt que le clou pour lequel vous avez voté aura parlé à votre place et justifié qu'il est exactement celui-là sur lequel j'aurais aimé frapper avec mon marteau que j'aurais acheté si j’avais eu les moyens de m’en payer un.



Un marteau. Je n’en ai pas. Personne ne donne de marteau à personne. C’est croche que les clous continuent à diriger alors que personne n'a les moyens de se payer un marteau pour frapper sur eux. Ils sont beaucoup trop hauts, ailleurs, dans des tours éclairées avec beaucoup d’argent que moi je n’en ai même pas assez pour prendre l'autobus jusqu'à chez Rona.



D’abord si je pouvais me payer un marteau chez Rona, je le ferais avec mon argent de poche, délaissant à la caisse une partie de mon pantalon dans les poches du clou que j’aurais aimé lui clouer la face. Je me retrouverais sans culotte, tout nu, marteau dans les mains, ne sachant même pas si un jour j’aurais l’occasion de frapper la tête du clou pour lequel vous avez voté.



Je ne suis pas con. Je suis profondément con. Ceux qui n’ont pas d’argent, c’est ce qu’ils font. Ils font les cons dans les rues. Et avec raison. Les cons sur la rue, même s’ils se transforment sous l’effet parfois de drogues, parfois d'autres choses, transforment à tout le moins mieux la société que ceux intelligents qui, avec leurs mots auxquels on répond qu'ils ne sont ni clou ni marteau, n'arriveront jamais à transformer.

New living

I’ve got a new living. Can’t explain it itself it’s, like it’s like a big mushroom carrot going down into my rabbit’s troat’n’hole, confusion in neck and deep under my new feet feeling like a new born animal, new between the ungrown teeth i’ve got when i’m saying i’m, ma’am i’m i, i’m like i can’t explain it myself why am i on a new living, coarse but good, butt but boot, a girl on my back booting my butt, i’m asking why christ did you throw me on this unfair earth without any boot so i ain’t got nothing to hit against that hideous girl named i don’t know the less she sounds like the bell clocking for i should return as the humain being i used to be, escaping this rabbit body i had for i’m a mushroom or a carrot, i’m telling you, if i’m carrot, i should eat myself right away; that girl no won’t eat me anyway so at least, if i eat myself, i can die thinking somebody have loved my new rabbit living, and if i’m mushroom, i’ma go give myself to that girl for she eats me in a vomit repulsion so i can eat back what she throws off on me while i’m beginning to understand what exactly love is.



Telling you. I'd be on a new living if i refused to eat what she gives me t'eat. I ain't no rabbit. Surely no carrot. No teeth. No nothing at all. Just a someting a girl with big boots thinks i am whenever she eats a carrot or a mushroom in front of me.

Billy

J’ai encore Bill un peu de pertes de mémoire, encore un peu Bill de laideur, tu es un peu encore mon meilleur ami d’enfance. J’ai encore un peu d’enfance dans l’âme je me demande, c’est qui le hochet, c’est qui l’objet de plastique que je n’arrive pas à mordre parce que je n’ai pas de dents.



Je t’ai perdu comme mes dents, dans une rue qu’on a attaché ma gueule derrière un autobus qu’on a roulé dedans l’école et quelques morts que je m’en sors vivant mais je ne suis plus sûr de si je suis vivant ou mort. Bill. Pas sûr de rien. Il y a eu l’accident de ton voyage loin de moi sur lequel tu ne m’es jamais revenu pour me demander comment ça va. Ceux qui sont restés n’ont jamais été mes amis. Ils me demandent si je sais écrire. Je leur réponds non, je ne fais que pas faire de fautes mais je me souviens trop bien de la faute que j’ai commise la fois que je ne t’ai pas mordu quand tu es parti.

- L’avion est à trois heures et quart.



Le temps est laid inimitable. Je t’ai perdu comme les secondes. Je deviens saoul et je t’aime parce que je deviens saoul. Je demande d’autres bières pour t’aimer plus et il y a la limite qui m’appelle je sais. Un jour je t’aimerai jusqu’à vomir dans une toilette et je scanderai encore ton nom dans le creux d’une toilette blanche devenue rougi parce que j’ai mangi du spaghetti et tout ce qui rime avec.



Billy.



Tu es mon ami. L’enfance est là. Reviens-moi enfance de hochet plastique tes dents sur les miennes on s’embrassait comme pour savoir ce que ça fait d’être embrassé et tu me disais :

- Ne dis jamais qu’on s’est embrassés.



Billy mon ami je l’ai dit, que je pense à toi et que tu ne voulais pas que je le dise. Tu t’es sauvé. T’es aux hommes ou aux femmes, ou à l’enfance, à moi, si t’étais à moi tu serais là à jouer à ce qu’on jouait des bonhommes de neige qui se battaient après quoi ils ne s’embrassaient pas.



Billy. On s’embrassait pas. Je le dis qu’on ne s’embrassait pas. Reviens-moi.

Dove Story (Vous avez des humains)


Dans les douches, vous avez de l’eau, du savon, des serviettes. Aussi, vous avez des humains, séparés les uns des autres par des cloisons. Plus encore que d’être vus, ce que redoutent vos humains, c’est de voir leur voisin. Du moment que l’un observe l’autre, l’autre l’afflige d’une morsure qui parfois s’avère mortelle.

L’agressivité de vos humains tient à la crainte de se faire dérober leur savon. Aucun autre objet n’est plus précieux que celui-là. Il leur sert à quantifier le temps qu’il leur reste avant de retourner au dortoir. Tant que leur bloc n’est pas complètement dissout, ils ont la permission de rester sous l’eau. C’est une règle que les plus futés savent déjouer en récupérant les morceaux de savon tombés par terre, à partir desquels ils fabriquent d’autres savons. Leur réticence à l’endroit du dortoir s’explique par le fait qu’ils y sont contraints de dormir les uns avec les autres. Des suites de cette proximité obligée, bon nombre d’entre eux meurent, étranglés par les insomniaques.

Dans le dortoir, une sélection naturelle s’opère, et cela en dépit de vos pouvoirs : du moment que l’un de vos humains plie les genoux pour se reposer, sitôt a-t-il les yeux fermés que les insomniaques les lui dévorent, convaincus que l’ingestion d’yeux de dormeurs suffit à vaincre la fatigue. Ils disposent ensuite le corps de la victime par-dessus les autres, dans un coin du dortoir. C’est de cette pile nauséabonde que se dégage l’odeur dont ils tentent de se débarrasser, le matin, dans les douches.

Tous les matins, en sortant du dortoir, vos survivants trouvent un panier de savons près de la porte. Le nombre de savons y est toujours équivalent au nombre de survivants. Personne n’a jamais vu l’humain qui distribue les paniers de savons. Il le fait à l’insu de tous. Sa capacité de prédire le nombre de survivants qu’il y aura le matin est pour le moins déconcertante.

Vos humains se partagent les savons du panier sans se disputer. C’est une fois dans les douches, quand ils ouvrent les robinets, que l’agressivité s’installe. Le nuage que crée la vapeur d’eau est si épais que personne ne peut y voir personne. Ainsi, n’importe qui peut dérober le savon d’un autre, et ce, dans le parfait anonymat. Vous êtes le seul à voir vos humains à travers la vapeur. Quand l’un d’eux échappe un savon par terre, tous se mettent à ramper, couverts de mousse, à la recherche du savon perdu. Dès qu’ils s’en approchent, vous faites glisser le savon un peu plus loin avec votre pied. Ça vous fait rire, de les voir ramper jusqu’à ce qu’ils prennent froid. C’est lorsqu’ils retournent sous leurs jets d’eau respectifs que vous ajoutez le savon perdu à ceux que vous accumulez déjà, dans la poche de votre pantalon. L’humain qui a perdu son savon, lui, s’agenouille. Il baisse la tête et prie pour que vous le lui redonniez, mais vous faites semblant de ne pas l’entendre. Sa vie ne vaut pas un savon. Si j’étais vous, je ne le laisserais pas en gaspiller davantage.

Statistiquement, d’après vos observations, les humains pieux sont les premiers à mourir. La poubelle près de la porte est remplie de miroirs que vous pourriez utiliser comme autant d’objets tranchants. Le pouvoir de tuer vous appartient. Les statistiques indiquent que le deuxième humain à mourir sera celui qui essaie de se laver sans se mouiller les cheveux. Il secoue la tête en psalmodiant des phrases que personne ne comprend. Il élabore des théories d’après lesquelles il infère que les humains ayant le plus de chances de survivre sont ceux qui ne se mouillent pas les cheveux. Il est malade. Persuadé d’avoir découvert un remède contre la mort, il se départira bientôt de son savon. C’est une question de temps avant que les autres l’imitent et que l’absurdité se propage parmi tous vos humains.

Les savons tombent. Vous vous en mettez plein les poches. Plutôt que de remettre de l’ordre dans vos humains, vous coupez l’eau froide. Vos humains s’ébouillantent. Ils vous demandent pardon. Ils jurent qu’ils n’élaboreront plus de fausses théories. Leurs cris se transforment en un sifflement qui, peu à peu, devient silence. Vos humains meurent. Un seul survit à votre châtiment. Étonnamment, il tient encore debout. Il n’en a plus pour longtemps. Ses paupières sont lourdes. Cette nuit, il dormira. Je le prédis.

Votre dernier survivant, vous choisissez de l’appeler Perruq. Vous dites que ce nom lui convient parfaitement et que vous n’hésiteriez pas à me mordre si j’osais rire de votre choix. Nous ne nous battrons pas. Vous avez le pouvoir d’attribuer le nom que vous voulez à votre humain. Le seul pouvoir que vous ne détenez pas, c’est celui de prolonger votre vie durant un laps de temps supérieur à celui que j’ai prédit.

Malgré la fatigue, Perruq rampe au sol. Il cherche le savon qu’il a laissé tomber. Cette fois, vous ne riez pas. Vous vous agenouillez devant lui. Votre comportement est risqué. Il pourrait remarquer votre présence. Du revers de la main, vous faites glisser le savon vers lui. Il le saisit et, sous l’emprise d’une incompréhensible loyauté, s’en retourne bouillir sous votre jet d’eau bouillante. Tôt ou tard, le savon de Perruq sera dissout. Que ferez-vous, lorsqu’il regagnera, seul, le dortoir dont il sera l’unique maître; lorsqu’il pliera les genoux et s’endormira?

Ses jambes, affaiblies par la fatigue, ont peine à le porter jusqu’au dortoir. Sitôt arrivé, Perruq s’endort. Le matin, il se réveille, mais plutôt que d’ouvrir la porte du dortoir, il se rendort. Vous l’avez tant fait souffrir sous la douche que, sachant que l’eau y est désormais bouillante, il préfère endurer l’odeur des cadavres que d’y retourner.

La survie de Perruq vous aura été utile à conserver la certitude qu’il y aura, chaque matin, un nouveau savon au fond du panier. Ainsi, vous avez le loisir de vous doucher sans craindre le regard des autres. Lorsque vous échappez votre savon, personne ne rit de vous. Vous ne rampez jamais plus loin que le banc sur lequel vous avez déposé votre pantalon. C’est de là que vous soutirez d’autres savons, de sorte que personne ne puisse vous voir ramper. Personne ne vous voit. Dans la victoire et la solitude, vous ne craignez rien. Pour peu que les douches ne soient investies de nouveaux humains, vous croyez ne rien craindre. Mais un jour, je vous le prédis : ma présence fera glisser la vôtre, et votre crainte alors sera celle de ne plus croire à rien.

30 septembre 2011

Les savants de la communication



L’intelligence ne m’intéresse plus. Le raisonnement est devenu pour moi une chose indigne de toute considération : à chacun sa raison, à chacun ses neurones, je me dis, et je pense que les trajets cérébraux que la raison emprunte ne provoqueront jamais l’illumination que l’on espère générer par une phrase, un mot, une bêtise.



La bêtise de l’un l’emportera toujours sur l’intelligence de l’autre, et vice-versa. Il n’y a pas de compromis possible. Les mots n’y peuvent rien, les arguments non plus. Jamais un humain n’acceptera d’adhérer au fonctionnement du cerveau d’un autre. Puisque le cerveau est ce qui nous définit en tant qu’être vivant, adhérer à la pensée d’un autre, c’est aller à l'encontre de notre survie.



Ni l’idiot ni le savant ne prendront le risque de mettre leur cerveau entre les mains de qui que ce soit. Dès lors que nous entrons en communication, il y a cette hiérarchie qui s’invente, plaçant l’émetteur au rang du savant et le récepteur au rang de l’idiot. Les deux s’échangent, se battent afin de renverser les pôles, mais au bout du compte, l’un et l’autre demeureront toujours, dans leurs têtes respectives, savants impermutables.



Aucun être sur terre ne se qualifiera jamais d’idiot. Et c’est bien le problème, je pense, et c’est bien pourquoi jamais nous ne pourrons communiquer ensemble. Nous sommes tous des savants à la recherche d’idiots à qui parler. C’est un monde où les mots sont incapables de se reproduire par la parole.



Parfois, oui, nous pensons avoir trouvé l’idiot dont nous avions besoin. Il n’a pas d’études, pas d’idées, pas d’ambitions. Il est le sujet parfait, pur et pauvre, à qui nous pourrons parler avec la satisfaction de croire que nous sommes en mesure de tout lui apprendre. Nous le traiterons d’idiot, de temps à autres, en chuchotant, tout en le gardant de l’humiliation du monde qui sévira un jour ou l’autre, nous le savons, sur ses épaules.



Nous l’aiderons à être devenir mieux qu’idiot. Nous transformerons son cerveau, puisqu’il nous en laisse l’accès, afin qu’il puisse devenir aussi savant que nous le sommes. Nous entrerons littéralement dans son cerveau pour corriger ce qui ne va pas. Tout en l’améliorant vers le meilleur, nous prendrons conscience au passage des liens logiques qui se créent d’une façon toute spéciale chez lui.



Nous lui poserons des questions, auxquelles il pourra répondre, et puis nous dirons des mots qu’il ne comprendra pas. Son incompréhension nous déconcertera, évidemment. Nous le battrons avec des mots ou des armes, qui sait, nous le tuerons peut-être, et une fois qu’il sera mort, nous continuerons à marcher, à la recherche de l’idiot idéal qui ne sera pas apte à comprendre le fonctionnement de notre superbe cerveau mais qui saura y répondre avec de vraies réponses.



C'est ça, l'intelligence.

Amours alcooliques

Quand elles ont bu un verre de trop, les femmes téléphonent souvent aux hommes avec leur cellulaire. Elles leur laissent des messages auxquels les hommes ne répondent pas parce qu’ils sont occupés à conduire leur voiture même s’ils ont bu un verre de trop.



Nous vivons dangereusement.



Quand elles n’ont pas bu, les femmes conduisent parfois. Quand ils n’ont pas bu, les hommes conduisent en parlant au cellulaire.



Nous vivons dangereusement.



Quand les femmes et les hommes se rencontrent, ils prennent un verre de trop ensemble. Ils conduisent la voiture ensemble, tout en parlant ensemble. Les hommes disent que les femmes devraient parler un peu moins souvent. Les femmes disent que les hommes devraient conduire un peu moins souvent.



Ça pourrait devenir dangereux.



Heureusement, ils rencontrent très souvent un ami qui ne boit pas et qui sait conduire. Cet ami sait conduire à la place de l’homme, et sait aussi parler au nom de la femme. L’homme n’écoute plus la femme. Il écoute son ami. La femme n’entre plus dans la voiture de l’homme. Elle se laisse conduire par l’ami.



Ça s’en vient dangereux.



Un jour, l’ami couche avec la femme. L’homme décide de ne plus parler à l’ami. La femme, elle, décide d’avoir des enfants avec l’ami. Elle n’arrête pas de boire pour autant. Son ami lui dit d’arrêter. L’homme, lui, se demande si ses amies n’accepteraient pas de coucher avec lui si elles buvaient plus souvent.



Les enfants de la femme naissent. L’ami leur apprend à marcher. La femme boit pour oublier que le père de ses enfants aimerait qu’elle cesse de boire. L’homme, lui, boit pour oublier qu’il n’a pas d’amis avec qui boire.



C’est dangereux.



Quand il voit sa femme ramper sur le plancher, l’ami se demande si elle sait encore marcher. Les enfants, eux, marchent souvent sans savoir où aller. La femme demande à l’ami de la laisser ramper vers où elle veut. L’homme, lui, à plat ventre sur son plancher, prie que les lèvres de la femme rampent jusqu’à lui.



Ça pourrait être mieux.



La femme embrasse ses enfants. L’homme n’ose pas embrasser les enfants qui ne sont pas les siens. La femme aimerait avoir d’autres enfants. L’homme aimerait embrasser des enfants qui sont les siens.



C’est déjà mieux.



La femme appelle l’homme. L’homme prend sa voiture. Les enfants marchent avec leur père sur le trottoir. L’ami ne sait plus où aller. Il aurait envie de boire lui aussi, jusqu’à ramper lui aussi, mais il s’efforce de rester droit vis-à-vis de ses enfants.



L’homme prend la femme. L’ami se suicide. La femme achète un bouquet de fleurs pour cet ami avec qui elle a eu des enfants. L’homme, lui, garde son argent pour les enfants qu’il aura peut-être un jour.



L’homme prend sa voiture même s’il a un peu trop bu. La femme lui parle même si elle a un peu trop bu. La femme pleure l’ami. L’homme pleure l’amie qu’il n’a jamais eu. La femme se jure que plus jamais elle n’aura d’ami. L’homme pareil, se jure que pas plus qu’aujourd’hui il n’aura d’amie.



Enfin, les deux se marient en dehors des amis, en dehors des autres, et je pense que c'est là tout ce qu'ils pouvaient espérer de mieux.

Clous démocratiques

Je suis profondément con. Ce que je n’écris pas ne prive personne de rien. Je suis profondément inutile à votre destin beau et grave que vous avez dessiné de la façon que vous l’avez imaginé. Je n’irai pas mettre mon coup de crayon dans ce fouillis, gâcher le désordre que vous tentez de construire. De toute façon, sur vos chantiers, mon coup de marteau importe peu, que je le donne sur tel ou tel clou, il sera oublié aussitôt que le clou pour lequel vous avez voté aura parlé à votre place et justifié qu'il est exactement celui-là sur lequel j'aurais aimé frapper avec mon marteau que j'aurais acheté si j’avais eu les moyens de m’en payer un.



Un marteau. Je n’en ai pas. Personne ne donne de marteau à personne. C’est croche que les clous continuent à diriger alors que personne n'a les moyens de se payer un marteau pour frapper sur eux. Ils sont beaucoup trop hauts, ailleurs, dans des tours éclairées avec beaucoup d’argent que moi je n’en ai même pas assez pour prendre l'autobus jusqu'à chez Rona.



D’abord si je pouvais me payer un marteau chez Rona, je le ferais avec mon argent de poche, délaissant à la caisse une partie de mon pantalon dans les poches du clou que j’aurais aimé lui clouer la face. Je me retrouverais sans culotte, tout nu, marteau dans les mains, ne sachant même pas si un jour j’aurais l’occasion de frapper la tête du clou pour lequel vous avez voté.



Je ne suis pas con. Je suis profondément con. Ceux qui n’ont pas d’argent, c’est ce qu’ils font. Ils font les cons dans les rues. Et avec raison. Les cons sur la rue, même s’ils se transforment sous l’effet parfois de drogues, parfois d'autres choses, transforment à tout le moins mieux la société que ceux intelligents qui, avec leurs mots auxquels on répond qu'ils ne sont ni clou ni marteau, n'arriveront jamais à transformer.

Sur l'imagination

Mon imagination ne fait pas d’histoires. Elle crée des possibilités. Il y a une différence. Si j’avais le choix de me marier avec quelque chose, ce serait avec mon imagination. Je lui ferais l’amour comme à des milliers de monstres, après quoi elle accoucherait de milliers de romans à qui je dirais de sortir de chez moi : mes chers petits romans, je vous le dirais comme ça, que je n’attendrai pas que vous sachiez marcher pour vous mettre sous la pluie, pour voir si dehors vos pages mouillées savent encore trouver les mots pour dire à votre maman que vous l’aimiez.



Je sais qu'évidemment ma dame imagination ne me laisserait pas vous mettre à la porte comme ça. Chaque fois que j’écris, elle intervient sur moi pour ne me laisser imaginer que ce qui s’imagine. Elle joue avec mes mots, ma boue et mes ordures, puis elle nettoie la crasse entre mes doigts comme si elle m’aimait, comme si elle avait le plan intime de me rendre meilleur.



Je le dis quand même : je ne veux pas de roman. Un roman est un film où il n’y a que des sous-titres, un truc auquel il manque un autre truc. Je n’en veux pas, d’enfants. Je ne veux pas écrire que je ne veux pas d’enfants, je veux écrire que je ne veux pas écrire de roman. Voilà.

New living

I’ve got a new living. Can’t explain it itself it’s, like it’s like a big mushroom carrot going down into my rabbit’s troat’n’hole, confusion in neck and deep under my new feet feeling like a new born animal, new between the ungrown teeth i’ve got when i’m saying i’m, ma’am i’m i, i’m like i can’t explain it myself why am i on a new living, coarse but good, butt but boot, a girl on my back booting my butt, i’m asking why christ did you throw me on this unfair earth without any boot so i ain’t got nothing to hit against that hideous girl named i don’t know the less she sounds like the bell clocking for i should return as the humain being i used to be, escaping this rabbit body i had for i’m a mushroom or a carrot, i’m telling you, if i’m carrot, i should eat myself right away; that girl no won’t eat me anyway so at least, if i eat myself, i can die thinking somebody have loved my new rabbit living, and if i’m mushroom, i’ma go give myself to that girl for she eats me in a vomit repulsion so i can eat back what she throws off on me while i’m beginning to understand what exactly love is.



Telling you. I'd be on a new living if i refused to eat what she gives me t'eat. I ain't no rabbit. Surely no carrot. No teeth. No nothing at all. Just a someting a girl with big boots thinks i am whenever she eats a carrot or a mushroom in front of me.

Billy

J’ai encore Bill un peu de pertes de mémoire, encore un peu Bill de laideur, tu es un peu encore mon meilleur ami d’enfance. J’ai encore un peu d’enfance dans l’âme je me demande, c’est qui le hochet, c’est qui l’objet de plastique que je n’arrive pas à mordre parce que je n’ai pas de dents.



Je t’ai perdu comme mes dents, dans une rue qu’on a attaché ma gueule derrière un autobus qu’on a roulé dedans l’école et quelques morts que je m’en sors vivant mais je ne suis plus sûr de si je suis vivant ou mort. Bill. Pas sûr de rien. Il y a eu l’accident de ton voyage loin de moi sur lequel tu ne m’es jamais revenu pour me demander comment ça va. Ceux qui sont restés n’ont jamais été mes amis. Ils me demandent si je sais écrire. Je leur réponds non, je ne fais que pas faire de fautes mais je me souviens trop bien de la faute que j’ai commise la fois que je ne t’ai pas mordu quand tu es parti.

- L’avion est à trois heures et quart.



Le temps est laid inimitable. Je t’ai perdu comme les secondes. Je deviens saoul et je t’aime parce que je deviens saoul. Je demande d’autres bières pour t’aimer plus et il y a la limite qui m’appelle je sais. Un jour je t’aimerai jusqu’à vomir dans une toilette et je scanderai encore ton nom dans le creux d’une toilette blanche devenue rougi parce que j’ai mangi du spaghetti et tout ce qui rime avec.



Billy.



Tu es mon ami. L’enfance est là. Reviens-moi enfance de hochet plastique tes dents sur les miennes on s’embrassait comme pour savoir ce que ça fait d’être embrassé et tu me disais :

- Ne dis jamais qu’on s’est embrassés.



Billy mon ami je l’ai dit, que je pense à toi et que tu ne voulais pas que je le dise. Tu t’es sauvé. T’es aux hommes ou aux femmes, ou à l’enfance, à moi, si t’étais à moi tu serais là à jouer à ce qu’on jouait des bonhommes de neige qui se battaient après quoi ils ne s’embrassaient pas.



Billy. On s’embrassait pas. Je le dis qu’on ne s’embrassait pas. Reviens-moi.

Poursuites fictives

Je suis encore sorti de chez moi aujourd’hui. Je m’excuse de l’avoir fait. Je ne sais pas à qui je dois m’excuser, mais je m’excuse quand même. C’est la deuxième fois ce mois-ci que je ne sais pas pourquoi je m’obstine à sortir. Il n’y a pourtant rien à voir dehors sinon les autobus, des humains qui attendent l’autobus et des abris-bus qui attendent que des pigeons leur défèquent sur les toits.



Chaque fois que je sors, c’est la même chose : le bruit des foules me prend à la gorge et je suis, parmi tous les humains que je croise, le seul à se révolter contre le bruit que ça cause quand leurs jambes avancent trop vite et que j’aimerais les amputer afin qu’elles ralentissent à une vitesse synchronisée sur la mienne.



Aujourd’hui, j’ai pris le transport en commun. Je me suis commis dans le centre-ville pour rencontrer Louis Gerog. Il est éditeur je pense, qu’il voulait me rencontrer pour publier un texte que j’avais écrit il y a de ça longtemps, dans mon enfance, les luttes maternels qui me remontent constamment et que je pourrais faire de l’argent si j’imprimais tout ce dont je me souviens quand je pense à ce que j’ai vécu, moi, moi qui n’ai rien vécu vraiment.



Je marchais dans le centre-ville les poings plus fermés qu’une serrure de banquier. Le bruit des gorges qui se saluaient à la sortie des édifices m’ont coupé le souffle. J’ai failli mourir. Je le dis que je repense à ma mère, à mon père, qui eux n’ont pas failli mourir. Louis Gerog m’a dit de respirer :

- Nous n’allons pas mourir, il a dit. Nous allons discuter du texte que tu as écrit. Nous n’allons pas discuter de toutes les feuilles des arbres qui défilent plus vite que les pieds de ceux intelligents qui ont quelque part où aller dans des autobus sur la rue.



Les autobus ne l’intéressaient pas. Il m’a remis un texte sur du papier très blanc, avec des lettres dessus, imprimées à l’ordinateur. J’ai lu. J’ai dit c’est bon mais est-ce que je peux retourner chez moi maintenant. Il a dit non :

- Le texte que tu viens de lire n’est pas tout à fait bon.

- Alors dites-le à l’auteur, j’ai dit, qu’il en écrive un meilleur.

- C’est toi, l’auteur.

- Alors j’en écrirai un autre. Un jour. J’en écrirai d’autres. Ce n’est pas un problème. Maintenant il faut vraiment que je me sauve.

- J’aimerais que tu changes la fin de ton texte, et que tu corriges les quelques erreurs de syntaxe, et que tu ajoutes une histoire, un suspens, un peu d’amour, un tout petit peu...



J’ai poussé les chaises. J’ai couru dans les rues du centre-ville. C’était pareil que de courir sur les ravages d’une bombe atomique. Je n’étais ni Allemand ni Américain et tout le monde mourait mais vivait. C’était incompréhensible que je courais sans être poursuivi mais que je me sauvais de ceux qui me poursuivaient.



Louis Gerog ne m’a pas poursuivi. Il aurait pu me poursuivre. Il aurait pu le faire. Je ne saurais pas vous dire pourquoi il l’aurait fait, mais s’il l’avait fait, j’aurais simplement dit qu’il était comme ça. Louis Gerog. Un homme qui poursuit les gens pour les tuer. Ça existe. Mais il ne m’a pas tué. S’il l’avait fait, je ne serais pas en train d’écrire qu’il aurait pu le faire. Je serais mort et je n’écrirais rien du tout. Je flotterais dans l’air, fantôme et néant à travers les autobus.



Je suis rentré chez moi. Je me suis excusé d’être sorti. Je me suis juré que plus jamais je ne ressortirais. Louis Gerog m’attend peut-être encore au centre-ville. Il garde peut-être espoir que je corrige mon texte, que j’y ajoute une histoire, avec du suspens et des trains de banlieue. Louis Gerog est peut-être mort maintenant, aussi, comme ça arrive souvent même dans les meilleures familles.



Les mots saccadent mon stylo comme les poignets de maman quand elle était malade. Je ne vois rien à corriger. Je ne vois pas d’histoires à ajouter. Même si j’en ajoutais une, qu’est-ce que vous en auriez à foutre, que Louis Gerog se soit suicidé, ou qu’il ait demandé à sa soeur de le tuer, et qu’elle ait accepté de le faire; vous en auriez quoi à foutre qu’elle le tue par amour, et qu’elle ne dise pas un mot au moment où le couteau fait ce qu’il a à faire?

- C’est ridicule, vous diriez. Pourquoi aurait-elle accepté de tuer son frère? Quelles étaient ses motivations?



Aucune. Elle était comme ça. Lucia Gerog. Il n'y a rien à justifier. Ne jouez pas aux cons avec moi. Ne faites pas semblant de croire aux histoires que j’invente. Vous le savez que c’est moi l’auteur. Vous le savez que tout n’est que fiction, qu’aucun personnage n’a besoin de motivation pour accomplir une saloperie, que tous font ce qu’ils ont à faire parce que j’ai voulu qu’ils le fassent et si ça vous emmerde, vous n’avez qu’à cesser de lire. Sauvez-vous. Vite. Je ne vous poursuivrai pas. Et je n’en ferai pas d’histoires.

Le balai à boeuf

Je pense que je deviens fou que je ris pour rien et m’enferme dans les toilettes publiques parfois quand HAHA ça ne va pas vous avez vu, j’ai ri pour rien encore, comme un tique nerveux, il y en a certains qui frottent leurs mains dans leurs culottes, d’autres qui foutent leurs doigts dans leur nombril moi je ris, HAHA ça me prend même quand ce n’est pas drôle, quand c’est triste que j’ai perdu Jouvence la petite femme de ma vie partie s’en aller quitter déguerpir trouver (je peux vous en dire des milliers d’étoiles en forme de verbes comme celles-là filantes que je trouve parfois dans mon jardin tout juste tout près des tomates que j’arrose une fois semaine mais quatorze fois par mois, allez savoir comment je fais tout ça avec un seul arrosoir) ailleurs des histoires moins drôles que la mienne que pourtant je m’efforçais de rire pour lui faire croire que c’était drôle quand elle saignait du coin de la lèvre dans le coin de la chambre que je l’avais percutée avec un balai à boeuf HAHA vous vous demandez, vlan, ce qu’est un balai à boeuf eh bien je ne vous le direz pas, parce que je suis comme ça, vlan, mes cachotteries sont mes mystères, et mes mystères me rendent drôle incroyable perruque sur la tête et langue sortie comme ça, ALLLLAAAAH, je lèche souvent le plafond pour rire encore plus fort, je le lèche jusqu’au ciel et c’est peut-être, je pense, la raison justement pour laquelle Jouvence m’a quitté oui c’est vrai elle m’a dit une fois qu’elle me trouvait curieux sur un tapis marbré de motifs genre âne de scander le plafond jusqu’au ciel dans l’espoir que ce dernier m’eusse donné la force de parvenir à mes fins extrêmes, je veux dire, frapper ma jolie femme avec un balai à boeuf HAHA et la première à s’être demandé ce qu’est un balai à boeuf, ce n’est pas vous (non vous n’avez rien d’original dans la pensée, tout ce que vous avez réfléchi, quelqu’un d’autre aurait pu y réfléchir à votre place, tout ce qu’il faut, c’est naître au bon moment, au bon endroit, et l’évolution étant ce qu’elle est, oui il arrive que certains humains inventent certains objets qui auparavant n’existaient pas), c’est Jouvence, la dulcinée splendide qui m’a demandé à quoi ressemblait un balai à boeuf et la seule chose que j’ai osé lui montrer, c’est ma main avec laquelle je lui ai tapé le visage en lui disant : oui, le balai à boeuf fonctionne aussi avec les vaches HAHA et j’ai ri, j’ai ri et je n’ai jamais cessé depuis.

Les fourchettes de Naomia

Naomia est belle comme quinze pieds nus, quinze nez blancs de neige froide quand elle respire sous ses yeux ce qu’elle voit. Elle respire moi, et je la regarde moi aussi.



Elle dit qu’elle aimerait devenir cuisinière dans un restaurant que je ne connais pas mais que je m’en fous. Je ne crois pas qu’elle ait de véritable talent en cuisine. Je me demande si elle saurait faire griller une tranche de pain dans un grille-pain qui n’est pas branché. Je ne crois pas que ses mains soient faites pour brancher un grille-pain. Elle a des mains de serpent. Je veux dire qu’elle n’en a pas.



ELLE N’A PAS DE MAINS.



Elle n’a pas de bras non plus. Elle les a perdus à la naissance : « À la naissance, on peut perdre un nombril, on peut perdre une mère, un père, mais des bras hahaha allez savoir, la naissance est quelque chose d'incontrôlable qui nous suit toute notre vie. »



C’est avec sa bouche qu’elle noue son tablier derrière son dos. Vous pouvez la voir pliée en deux comme ça comme elle est belle n’est-ce pas. Elle serait deux fois plus belle dans un cirque je trouve; un cirque que je n'ai jamais trouvé mais où elle aurait pu faire toutes les acrobaties dont elle est capable. Je pense. Je pense que c'est dans la cuisine qu'elle est idiote. Elle refait chaque soir la même soupe que la veille : un bouillon de poulet acheté à l’épicerie dans lequel elle ajoute des nouilles.



Elle prend le sac de nouilles entre ses dents et le verse dans le chaudron. Elle dit qu’elle a toutes les recettes du monde dans un livre, caché quelque part, dans une armoire très haute qu’elle ne peut atteindre. Je suis là, pourtant, moi, et j’ai des bras. Je pourrais l’aider à transporter un tabouret afin qu’elle y monte jusqu’à l’armoire. Mais non, elle ne veut pas. Évidemment, elle préfère danser sur les chansons qu’elle chante :

- La colombe est belle, le sang sur les ailes, je suis belle lalala, et pas de plumes sur les bras, les épaules et cetera, ya ya ya.





Elle lève la jambe. Moi, c’est ma moustache qui lève. Je pense à mes poils sur ses jambes :

- Chérie, tu m'écoutes? Je te parle de jambes poilues. Et ça me dégoûte et ça m’attire, comme si je ne savais plus ce que je voulais, qui je veux et qui je suis, et c’est ça le suprême sentiment de l’amour.

- Le sentiment suprême de l’amour! elle crie mes mots en les mélangeant et ça la fait rire de tourner son pied dans les airs, et de l’autre pied, de l’autre pied que voulez-vous qu’elle fasse. Que voulez-vous que je fasse? elle vous demande. Je tiens mon équilibre, mes chéries!



Elle ne me parle pas. Là. Elle vous parle à vous. Elle a de l’affection pour les objets mais pas pour moi. Vous n’êtes que des fourchettes, je sais. Je sais que vous la désirez vous aussi. Vous aimeriez piquer dans sa chair tendre et goûter sa respiration quand elle danse. Je me demande franchement comment tout ça va finir. Je pense que vous allez finir dans sa bouche à elle et moi, seul avec ma moustache aux bouts des doigts, je ne mangerai pas. Je ne mange jamais. Je préfère la regarder danser sur la céramique que j’ai installée il y a deux ans de ça quand nous avons emménagés ensemble et elle s’en fout.



VOICI L’HISTOIRE D'ELLE AVAIT ACCEPTÉ D'EMMÉNAGER AVEC MOI À CONDITION QUE JE FASSE QUELQUES RÉNOVATIONS DANS L'APPARTEMENT :



J’ai fait les rénovations qu’elle a voulues. Tout se déroulait comme prévu, jusqu’au jour où vous êtes arrivées. Sales fourchettes. Je ne sais pas pourquoi la mère de Naomia a décidé de vous porter ici comme un cadeau. Si je n’avais pas jeté mes vieilles fourchettes à la poubelle, laissez-moi vous dire que vous ne seriez plus là. Mes fourchettes à moi auraient su vous tordre les dents jusqu’au sang. Elles vous auraient fait la peau. LA PEAU QUE VOUS N’AVEZ PAS HAHA.

- Veux-tu une ou deux fourchettes mon chéri? Naomia me parle à moi.



Chut. Elle me parle à moi. Évidemment, puisque vous êtes vous-mêmes des fourchettes (hum hum : si elle vous avait demandé si vous vouliez deux fourchettes, elle vous aurait demandé si vous vouliez deux de vous-mêmes, et ce n’est pas ce qu’elle a demandé).



Elle a dit :

- Tu ne me réponds pas?

- Si j’étais deux fois moi, j’ai dit, m’aimerais-tu deux fois plus?

- Oui. Mais aussi, je te détesterais deux fois plus.

- Alors ce qu’il faut savoir, c’est combien tu m’aimes et combien tu me détestes.

- Je t’aime comme dix.

- Dix quoi?

- Je ne sais pas. Dix fourchettes.

- Et tu me détestes comme quoi?

- Dix cuillères.

- Alors c’est égal?

- Non.

- Qu’est-ce qu’on mange ce soir?

- De la soupe.



Ce soir, vous resterez dans vos tiroirs. ON MANGE DE LA SOUPE! Je ne veux pas vous voir. Je ne veux voir qu’une chose : Naomia qui trempe ses orteils dans sa soupe. Elle les trempe puis les déguste dans sa bouche. Ce soir, je ne mangerai ma soupe que si j'arrive à la goûter elle.



Elle dit :

- Mais il faudra des couteaux pour couper le pain.

- Des couteaux? D’accord. J'ouvre le tiroir. Je prends les couteaux.

- Et des fourchettes.

- Non! J'échappe les couteaux.

- Pourquoi tu échappes les couteaux?

- Toi, pourquoi tu veux des fourchettes?

- Il faudra des fourchettes pour faire joli sur la table. Une table sans fourchette, c’est comme la jupe sans talons hauts. Il manque quelque chose.

- Je trouve ça très beau ta jupe sans talons hauts.

- Mes pieds sont laids.

- Oui, mais toi au moins tu en as. Des pieds. Moi je les ai perdus à la naissance.



HAHA LA NAISSANCE QUE C’EST HORRIBLE MAIS QUE JE VIS AVEC.



Elle a mis ses talons hauts. Elle a pris un rouleau de papier adhésif. Sur chacune de ses épaule, elle a scotché une fourchette.

- Tu pourrais t'en fabriquer, elle a dit, des pieds avec des spatules. Regarde-moi, je me suis collé des fourchettes à la place des bras. Ils ne sont pas doux mes bras, mais au moins j'en ai.

- Ils piquent, tes bras. Ils veulent me crever les yeux. Tes bras. Je ne les aime pas tes faux bras.

- Et toi des jambes tu n'en as pas.

- Je n’en veux pas.

- Alors tu ne me veux pas.

- Je veux jouer à mon jeu vidéo.



BOUM. BOUM. DANS MON JEU VIDÉO, C'EST LA BELLE FICTION. J’AI DES JAMBES YEAH!



Naomia est venue s'assoir sur moi. Ses jambes pendaient au bout de mes cuisses. De loin, l’illusion était parfaite. Vous avez vu ça? C’est comme si ses jambes étaient les miennes. Ses jambes faisaient les miennes, et mes bras faisaient les siens. Nous ne faisions qu’un. Nous n’avions plus besoin de fourchettes.



NOUS N’AVIONS PLUS BESOIN DE VOUS!



J’ai dit :

- Tu n’as plus besoin de tes fourchettes. Range-les dans les tiroirs et allons manger ta soupe.

- Mais j’adore couper le pain au couteau, et piquer le pain à la fourchette, et mettre le pain dans ma soupe, et manger mon pain à la cuillère...

- Tu n'as pas de bras pour tenir les ustensiles! Tu fais toujours tout tomber sur la céramique! La céramique que j’ai faite il y a de ça un mois! Un an! Deux ans!

- J’adore l'acier des ustensiles sur la douceur de la nappe...

- Tu renverses toujours ta soupe sur la nappe! Tu ne sais pas manger!

- Alors je me débrouillerai pour manger toute seule! Et une fois que j'aurai mangé, j'irai dormir dans le lit, et tu te débrouilleras tout seul pour monter l'escalier avec les jambes que tu n'as pas!



Je me demande franchement comment tout ça va finir. En fait, je ne me le demande plus. C’est toujours la même histoire, je n’invente rien, vous irez dans sa bouche à elle et moi je ne mangerai pas. Je ne mange jamais. Je regarderai la céramique que j’ai installée il y a je ne sais pas combien de temps de ça et elle s'en foutra. Elle mangera toute seule. Elle dansera pour me rappeler que je n'ai pas de jambes et moi je jouerai à mon jeu vidéo pour lui rappeler que mes doigts font BOUM BOUM et mon coeur fera je ne sais pas quoi et mes jambes, je n’en ai pas, je les ai perdus à la naissance HAHAHAHA JE L’AI DÉJÀ DIT ALORS FOUTEZ-MOI LA PAIX!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!



LA PAIX!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!



LA PAIX!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!



et des spatules pour mes jambes si vous en avez...

Soleil rose

Le soleil joue sur vos joue rose. C’est le soleil qui est rose. Je place ici et là des virgules ambiguës et des trémas. Vous me laissez faire. Vous dites rien. Rien. Vous ne dites pas rien. Vous dites rien. Le mot rien. Vous le dites chaque fois que je vous demande ce que je devrais faire. Vous dites rien :

- Rien. Nous disons rien car si nous disions tout, il ne te resterait plus rien à dire.

- Mais plus vous dites rien, plus je dis rien. Si vous disiez tout, je dirais tout! Dites-moi tout!

- Et tu nous diras tout?

- Promis!

- Tout.



- Le soleil joue sur vos joues rose.

- Ça, tu l’as dit déjà.

- Non, je n’ai jamais dit déjà. Une fois, peut-être, il y a longtemps de ça. Mais vous l’aviez dit avant moi.

- Tu nous caches quelques chose.

- Je ne cache rien.

- Tu caches tout.

- Je ne cache pas tout.

- Alors que caches-tu?

- Rien.

- C'est pas tout.



Le soleil vous cache quelque chose, peut-être, mais moi pas. Je pourrais vous dire ce qu'est ce quelque chose, mais vous, vous dites parfois quelque chose, mais vous ne dites jamais parfois. Alors comment voulez-vous que je croie que vous dites parfois quelque chose?

- Parce que nous le disons maintenant. Quelque chose.

- Maintenant n'est pas parfois. Maintenant, c'est toujours.

- Nous disons toujours quelque chose.

- Non. Vous mentez. Vous ne dites pas tout.

- Nous disons toujours quelque tout chose.

- Non. Ça ne se dit pas. Vous dites des choses qui jamais ni déjà ni même parfois ne se disent. Et ça me fait dire des choses qui ne se disent pas.



Le soleil ne vous a pas dit ce qu'il m'a dit. Il m'a dit qu'il vous détestait. Vous croyez que je vous dis là ce qu'il ne vous dira pas, mais non. Ce qu'il ne vous dira pas, je ne vous l'ai pas dit. Ce qu'il ne vous dira pas est quelque chose d'autre. Vous criez :

- Dis-nous quelque chose d'autre!

- Je ne dis rien. Je pense.

- Dis-nous ce que tu penses!

- Je pense que le soleil a déjà joué sur vos joues rose et qu'il y joue encore parfois.

- Tu ne dis rien. Tu penses.

- Je dis ce que je pense.

- Ça ne vaut rien.

- C'est vrai, ça ne vaut pas tout. Mais ça vaut plus que le rien que vous dites parfois pour me faire dire quelque chose que le soleil a peut-être déjà dit alors que vous aviez déjà tout dit.

26 septembre 2011

Le mauve

Je ne sais pas si c’est clair quand je parle, dîtes-le-moi si non, quand je dis qu’il y a du mauve. Ce n’est pas le genre de mauve bleu. C’est le genre de mauve noire. Le lilas. La lavande. Le noir qui se retrouve parfois dans le mauve après les incendies. La suie. Ça n’a rien de clair.

Je n’ai ni couleur ni pinceau pour vous expliquer. La vie ce que c’est, c’est un mot et puis un autre, parfois le même mot à la suite de le même mot, et puis ça tombe et retombe dans constamment comme un adverbe mal placé les mêmes troubles, dépendances et autres synonymes que vous savez écrire mieux que moi.

Les mots sont trop peu pour écrire. Il faudrait en inventer d’autres pour recréer l’exact moment que j’ai eu ce jour-là où le ciel était mauve. Ce n’était pas un jour. C’était nulle part. C’était ma tête où tout était mauve, comme toutes ces choses qui ne sont pas mauves. Rien n’était mauve, mais tout l’était, parce que je n’avais pas d’autres mots que celui-là mauve qui me traversait la tête. Il me criait de lui inventer un frère mais je n’en trouvais pas.
- Bleu? que je lui ai proposé.
- Bleu n’est pas mon frère.

C’était un ciel. Ce n’était pas un ciel. C’était un nuage sur un nuage, sur un nuage, sur un nuage, et le soleil très brillant mais pas brillant du tout parce que derrière un nuage sous un nuage nous un nuage, sous un nuage. Il n’y avait pas de soleil mais il y en avait un. Et puis il y en avait autant qu’il y avait d’étoiles dans l’univers, mais il n’y avait pas d’étoiles.

J’en ai marre de parler du ciel. J’en ai marre du mauve inexplicable. J’aimerais parler d’autre chose de plus clair. Mais je ne peux pas. Du moment qu’on commence à parler d’une chose, absolument il faut finir ce qu’on a commencé, placé les adverbes comme il se faut et ne jamais ajouter de pronoms là où il ne faut pas.

Même si j’inventais un homme dans la quarantaine, même si je lui inventais une vie, une maison, des cheveux et une copine, il perdrait ses cheveux du moment que je lui mettrais une tuque sur la tête, et perdrait sa maison dès que j’y mettrais le feu, et sa copine, il la perdrait de toute façon. Tout tombe à néant. Ça ne sert à rien. Ce que je veux, c’est décrire un ciel mauve qui n’est pas mauve. C’est un ciel que je ne pourrais décrire exactement qu’à la condition de pouvoir le décrire sans mots. Le ciel était. Ne cherchez pas. Il n’était pas blanc.

De la même façon, pour que mon homme dans la quarantaine puisse garder ses cheveux, je n’ai qu’à taire la possibilité qu’il ait porté une tuque. Et pour qu’il soit âgé de l’âge que je veux (qui n’est ni quarante ni quarante et demie), je n’ai qu’à taire la quarantaine. Cet homme est. Un point c’est tout. Voilà. Il est comme je le vois. Et si je veux qu’il soit mort, je n’ai qu’à dire cet homme.

Dès que le verbe être disparaîtra, vous comprendrez que l’homme est mort.

1. Quand je dirai que le ciel était, vous comprendrez que je parle du ciel vivant.
2. Quand je dirai que le ciel, vous comprendrez de quel mauve exactement je voulais parler.

Le ciel. Le ciel. Le même mot suivit de le même mot. Dès que je dis « je tue » je tue. Inutile d’écrire. Les mots s’expliquent mieux dans le silence que dans l’explication. L’imagination est la grande reine de toutes nos pleures. Votre imagination est. La mienne l’est aussi. Les mots ne sont porteurs de rien. Tout comme l’intelligence n’est rien vis-à-vis du silence. Le silence domine absolument tout, absolument. Il est roi dans sa terre de bêtise.

Et l’intelligence, l’intelligence...

17 septembre 2011

HOT-DOG

Je ne sais plus où j’ai lu cette recette, dans un menu peut-être, ou dans le livre que je lisais l’autre midi, au restaurant, en même temps que je lisais le menu. Il y avait, en tout cas, dans ce livre ou dans ce menu, le mot hot-dog. Ça m’a paru anglais, ça m’a paru trait d’union, chaud et chien, enfin, j’ai demandé à la serveuse un dictionnaire anglais-français afin de ne pas me méprendre quant à la nourriture que j’allais payer. Elle m’a apporté un dictionnaire de 1971 avec des taches de sauce de je ne sais quel type de pizza, je dirais toute garnie, si bien que je ne pourrais vous dire qui sont les auteurs de ce dictionnaire.



J’ai mis beaucoup de temps à chercher le mot hot-dog dans ce dictionnaire. J’ai d’abord cherché dans la section des noms composés, mais cette section n’existait pas dans ce foutu dictionnaire, alors je me suis rabattu sur la lettre G, avant d’aboutir sur le H (qui fort heureusement existait en 1971) où le mot hot-dog se trouvait, oui, trait d’union suivi d’une traduction :

- Chien chaud et pain auquel les gens normaux ajoutent du Ketchup, et ceux pas normaux de la relish, et ceux encore moins normaux du chou. (Dictionnaire plein de sauce, 1971).



À en juger par les photos qu’ils avaient mis sur la quatrième couverture, ceux qui avaient rédigé ce dictionnaire étaient de grands barbus assez spéciaux qui, probablement, mangeaient leur hot-dog avec du chou. À la fin de chaque définition, ils avaient inscrit la date entre parenthèses, comme pour dire excusez-nous, nous sommes en 1971, l’enjeu de notre société n’a pas été celui du vocabulaire mais de la drogue et de tout ce qui vient avec, le sexe et tout ce avec quoi vous pourriez jouer si vous arrêtiez de jouer avec les mots.



J’ai redonné le dictionnaire à la serveuse, et mon menu et mon livre aussi. Mon livre était un roman d’Azimov je pense, rien d’extraordinaire, tout comme son menu qui tombait dans la bêtise tout autant que le dictionnaire. Enfin, je n’ai rien voulu commander. Franchement, j’étais offusqué par la façon dont ces barbus du dictionnaire m’avaient abordé. Vous aussi, vous auriez été offusqués au point de donner à une inconnue un roman d’Azimov. Si un barbu de 1971 vous attaquait en disant que les gens de 2011 sont tous de gros dépressifs du futur. Vous seriez fous de rage, avouez.



Quoi qu’il en soit, j’avais la recette du hot-dog et je me suis dit que j’étais capable, seul, de me faire chauffer un chien dans une tranche de pain. Je n’avais pas besoin d’une serveuse aux souliers roses dont les pantalons éléphants me rappelaient trop les années que je déteste.



Je suis rentré chez moi. J’avais un chien. Ça tombe bien. Il mesurait presque exactement deux fois la taille d’un pain baguette. Il me fallait pour mon hot-dog un pain baguette deux fois plus grand, et c’est pour cette raison que je suis allé voir la boulangère au coin de ma rue. Bourbine elle s’appelle. Elle est grosse comme toutes les boulangères. Elle a un tablier vert auquel elle a ajouté quelques dentelles en forme de chameaux. Elle est spéciale comme ça. Le désert et le sable. Les chameaux et les bosses. Ça ressemble aux biscuits. Chaque fois que je la vois, je suis sûr qu’elle est du genre à mettre de la relish partout, et du chou.



J’ai demandé à Bourbine qu’elle me fasse un pain de la taille de mon chien. Elle m’a dit bonjour. Je ne lui ai pas répondu. Je voulais économiser du temps parce qu’elle met beaucoup de temps à servir ses clients. Il lui manque une jambe à ma boulangère. C’est très long quand elle marche dans la farine.



Bourbine m’a fait mon pain. Elle me l’a emballé dans des draps tachés de sang, les draps où dormait autrefois son enfant qu’elle a perdu un soir d’octobre, elle ne sait pas trop où, après qu’elle lui ait passé le couteau à pain sur le front. J’ai payé mon pain. Trente-cinq sous vingt-deux. C’était son prix à elle. Il aurait fallu que je divise un sou en plusieurs morceaux, mais je n’ai pas été capable. Je lui ai rendu trente-six sous et je lui ai dit de garder la monnaie.



Elle est comme ça. Ma boulangère.



Je suis rentré chez moi avec un pain baguette de la taille idéale pour mon chien. Ridiculominet. C’est le nom de mon chien. J’aurais aimé avoir un chat à la place, mais grand-maman était allergique aux chats. Je n’ai jamais vu grand-maman. Je n’ai jamais vu de chats non plus. J’aurais aimé les voir tous les deux, sur le fauteuil du salon, grand-maman et le miaou du chat. Mais grand-maman est morte et le miaou n’est jamais arrivé. Alors je me suis acheté un chien.



J’ai fait bouillir Ridiculominet dans une marmite que j’utilisais souvent, à une certaine époque, pour faire bouillir des homards; à une époque où j’avais de l’argent pour manger des homards avec une fille à qui je disais souvent que je faisais bouillir des homards alors que c’était faux. Je lui faisais des truites bouillies. Elle adorait que je les fasses bouillir avec la tête. Elle était comme ça. Elle grignotait les yeux avec ses petites dents de lapin.



Je n’ai jamais eu de lapin. J’avais un chien et je l’ai fait bouillir. Il est devenu tout rose. Sa gueule a figé dans la souffrance, c’était joli à voir, tous ses crocs dirigés contre l’air alors que je m’apprêtais à le manger. Avec un couteau, j’ai retiré ses dents. J’ai gratté son palais jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien de dur. J’ai pensé à des mots, que j’aurais pu chercher dans le dictionnaire, mais je n’avais pas de dictionnaire chez moi. J’ai pensé me raser le visage et écrire un dictionnaire. Mais j’avais trop faim pour penser aux mots.



J’ai coupé le pain sur la longueur. J’ai sorti mon chien de la marmite et l’ai mis dedans. J’ai ajouté du Ketchup. J’ai croqué le pain et la cuisse de mon chien. Ça a coulé un peu de sang et j’ai ajouté la relish et le chou que j’avais acheté chez l’épicier.



Mon épicier est un homme avec une cravate. Il me parle comme à quelqu’un qui achète un chou. Il ne se doute pas qu’après lui avoir parlé, je passe à l’animalerie. J’achète des chiens et je les mange chauds dans du pain.



Si j’avais à rédiger un dictionnaire, en 2011, je dirais que le hot-dog crée une dépendance. Il fait grossir, c'est vrai. Il fait acheter de la relish, du chou, mais le plus grave dans tout ça, c'est qu'il fait acheter des chiens.