21 décembre 2007

L'Histoire du Poisson



Il était une fois un Poisson.

Il était, cette fois, un Poisson qui vivait dans une mer; mer qu’on disait bleue, mais transparente comme le verre.

Il n’y avait, cette fois-là, dans cette mer bleue qu’une seule pierre. Aucune autre. Et sous cette pierre était le seul endroit où pouvaient se cacher tous les poissons de la mer.

Il était une fois, cette fois où l’on vit ce Poisson poursuivi par de grands Requins blancs, ce Poisson qui se cacha sous la pierre pour échapper aux dents des Requins.

Il était donc une fois, cette fois qui n’en était rien qu’une, un Poisson qui profita de sa solitude pour implorer Dieu : « Je suis au fond de la mer, caché sous la pierre, dit le Poisson. Me voyez-vous? Puisque je suis si bas, au plus creux des eaux, et vous si haut dans les cieux, je doute que vous m’aperceviez. Mais je vous appelle, car je garde espoir que vous m’entendiez. »

Dieu ne répondit pas. Pas cette fois.

Dieu était partout, cela était vrai : il était parfois ici, parfois là-bas. Mais parfois aussi, il était ailleurs. Ainsi, celui qui souhaitait voir Dieu apparaître devant ses yeux devait user de patience.

Seul les êtres les plus patients verraient, une bonne fois, leurs conditions changer par l’apparition de Dieu. Or, seul un Poisson fut capable d’attendre que la bonne fois se présentât.

***

Sous la pierre, dans la mer bleue, le Poisson implora Dieu pour une deuxième fois : « Je vous appelle encore, dit le Poisson. Et parce que je vous adore, je vous attends. »

Dieu ne répondit pas. Pas cette fois.

Dieu tardait à apparaître. Mais le désespoir n’existait pas chez le Poisson.

***

Enfin, il était cette fois où la fois fut la bonne. Cette fois où enfin on vit une exception. Un miracle se produisit pour celui qui avait su attendre.

Le Poisson implora Dieu une troisième fois. Il pria : « Dieu, j’ai faim... Toute ma famille meurt de faim... Je vous implore, car les Requins menacent de nous manger. Je dois sans cesse nager pour me sauver d’eux, mais voilà que, maintenant, mes muscles s’affaiblissent. Je vais mourir si vous ne me donnez pas quelque chose à manger… »

Le Poisson se fit entendre. Dieu lui répondit : « Tu as su attendre, Poisson. Ainsi, je te répondrai autant de fois qu’il y aura de petites ou de grosses pierres au fond de cette mer. »

Le Poisson n’en compta qu’une seule. Il saisit sa chance, puis sortit de sous la pierre.

Dieu apparût au-dessus de la mer bleue. Comme il n’y avait qu’une seule pierre dans la mer, il ne dit qu’une seule chose : « Avant mon apparition, il y avait la faim et la faiblesse. Dorénavant, il y aura de la nourriture pour toute ta famille. Toutefois, tu devras nager pour chercher la nourriture que je placerai au hasard, pour toi, dans la mer. »

Et le Poisson vit les doigts de Dieu disperser toute nourriture sur les vagues de la mer bleue. La nourriture coula jusqu’au fond et se déposa, un peu partout, dans le sable et les algues. Le Poisson n’eut donc qu’à ramasser, chaque jour, la nourriture dont il avait besoin.

***

Tous les hommes de la terre vivaient en ce temps-là au bord de cette même mer bleue. Ils virent ce que Dieu avait donné au Poisson, et considérèrent ce don comme une injustice. Jaloux, ils prièrent eux aussi : « Dieu, dirent les hommes, c’est une injustice que de donner à ce Poisson ce qu’il demande, car nous aussi avons faim! »

Mais Dieu ne fit rien pour l’Homme. Pas cette fois.

Les hommes se sentirent délaissés. Frustrés, ils cessèrent de prier Dieu.

Bien sûr, ils trouvèrent suffisamment de nourriture pour survivre, mais ils furent obligés de se piller les uns les autres. Cela provoqua une grande guerre qu’on mena au nom de Dieu.

Beaucoup s’entretuèrent, jusqu’à ce qu’un homme vint enfin, un peu plus tard, près de la mer bleue. On appela cet homme César. Il ne fit qu’une brève apparition : pour se venger de ce Poisson qui avait demandé l’aide de Dieu, il lança à la mer une pierre grosse comme la main d’un homme. Il espéra que la pierre blessât le Poisson. Puis, ce fut le calme.

La pierre qu’il avait lancée frappa la surface de l’eau et coula pour rejoindre la pierre sous laquelle le Poisson avait l’habitude de se cacher des Requins blancs. Le Poisson ne fut pas blessé.

Dans toute la mer bleue, on put alors compter deux pierres.

***

Le Poisson avait accepté de toujours nager pour ne pas mourir de faim. Chaque jour, il trouvait un peu de cette nourriture que Dieu avait déposée dans le sable et les algues. Bientôt, il parvint aisément à nourrir toute sa famille et à faire des provisions en vue des temps plus froids.

La famille du Poisson demeurait le plus souvent à l’abri, cachée sous la pierre. La mère du Poisson s’occupait à entasser les surplus de nourriture, tandis que le père guettait les réserves afin qu’aucun Requin ne volât ce qu’on tentait d’accumuler.

Un jour, on remarqua qu’une deuxième pierre s’était ajoutée à la mer, appuyée contre celle qui s’y trouvait déjà. Trois poissons moururent sous le poids de cette pierre, mais du reste, c’était une bonne chose, car une nouvelle pierre rendait plus grande la cachette du Poisson et de sa famille.

Du coup, plusieurs petits vinrent au monde sous ces deux pierres.

Des jours passèrent. Le Poisson ne cessa pas de nager pour approvisionner sa famille. Peu à peu, cette famille devint village; ce village devint pays, et en ce pays, le Poisson voulut retourner vivre avec sa famille.

Le pays fut trop grand, et trop de bouches demandèrent à être nourries.

Tous les poissons ne cherchèrent pas la nourriture de Dieu dans le sable et les algues. Tous se contentaient chaque jour de tourner en rond, dans un même lieu, espérant que Dieu déverse à cet endroit le repas du matin, du midi et du soir.

La nourriture vint à manquer au pays : « Dieu ! cria le Poisson. J’ai nagé à la recherche de nourriture, comme vous me l’aviez demandé. Seulement, j’ai aujourd’hui tout un pays à nourrir. Les familles se sont multipliées. Certaines ont tourné en rond, à la surface de la mer, et sont devenues riches en récoltant toute nourriture qui tombait de vos doigts. D’autres, faibles et pauvres, n’ont pas eu autant de chance. J’ai cru bon de donner toutes mes réserves aux plus pauvres, mais bientôt, je n’aurai plus rien. Ne puis-je donc rien faire pour tous ces riches qui tournent en rond et ces pauvres qui ne savent pas chercher? Dites-moi, Dieu : quel est donc le sens de ma quête? »

Dieu entendit encore une fois le Poisson. Il avait bien répondu à sa première demande, ainsi il ne put lui refuser la deuxième.

Il répondit au Poisson, même si cela rendait l’Homme jaloux, car deux pierres se trouvaient maintenant au fond de la mer bleue : « Si tu ne sais quel sens donner à ta quête, tu n’as qu’à bâtir une maison pour toi et ta famille au fond de la mer : cette maison sera la vôtre, et vous y serez maîtres. Il en ira de même pour toutes les familles. Il y aura dans ce pays autant de maisons qu’il y aura de familles. Ceux trop faibles pour en bâtir viendront cogner à ta porte. Tu les accueilleras. Je te promets, Poisson, que si tout ton peuple obéit à mon commandement, je viendrai porter chaque jour, devant la porte de chaque maison, la nourriture nécessaire pour vivre. Enfin, Poisson, tu seras riche, et si tu ne sais que faire dans la maison que tu auras bâtie, tu n’auras qu’à raconter à ta famille des histoires que tu inventeras : telle sera le sens de ta vie ; telle sera ta quête. »

Tous les poissons obéirent au commandement de Dieu. Ils bâtirent des maisons et accueillirent ceux trop faibles qui ne pouvaient en bâtir.

***

Près de la mer, ce jour-là, les hommes se questionnèrent aussi le sens de leur quête : « Nous ne savons ni où aller, ni qui nous sommes. Dieu, nous vous demandons de définir l’existence humaine, car nous ignorons même si nous existons! »

Mais Dieu ne fit rien pour l’Homme. Pas cette fois.

Les hommes, offusqués par l’absence de Dieu, écrivirent des histoires pour se venger du vide qu’on leur imposait. Leurs histoires finirent par expliquer les raisons de leur existence.

Vint alors un homme qu’on appela Descartes. Celui-ci lança à la mer une pierre grosse comme la tête d’un homme. Il voulut qu’elle assommât le Poisson.

Le Poisson ne fut pas assommé.

Cela fit trois pierres dans la mer bleue.

***

Au fond de la mer bleue, un tas de maisons furent construites. Celles-ci abritaient tout autant de familles. Le Poisson put vivre avec les siens sans avoir à toujours nager à la recherche de nourriture.

Un soir, il inventa une histoire qu’il raconta aussitôt à sa famille : « Il était une fois, dit le Poisson, un petit Piranha qui se croyait très rusé.

Ce Piranha, bien qu’il fût petit, avait grand estomac. Il avait toujours faim.

Rien ne rassasiait ce petit Piranha qui avait l’appétit d’un grand Poisson.

Un jour, ce petit Piranha nageait calmement dans la mer bleue lorsqu’il rencontra une Baleine bleue près d’une épave : « Madame la Baleine, dit le Piranha, vous êtes bien trop grosse! Si vous le voulez bien, je mangerai un peu de vous. Ainsi, vous maigrirez et n’aurez plus à supporter votre poids trop lourd. Vous pourrez nager sans vous épuiser. Si vous me laissiez vous manger un peu, je vous en serais très reconnaissant car j’ai toujours faim.»

La Baleine ne s’était pourtant jamais sentie grosse. Mais, afin de rendre ses déplacements plus faciles, elle accepta de se faire manger quelques morceaux. Elle rapetissa et devint aussi grosse qu’un Requin blanc. Le Piranha se trouva très rusé.

Le jour suivant, le Piranha passa encore près de l’épave. Il y rencontra un Requin blanc : « Monsieur le Requin blanc! dit le Piranha. Vous êtes bien trop gros! Laissez-moi vous dévorer un peu, ainsi vous serez plus à l’aise pour chasser les truites et les saumons! Aussi vous serez si rapide que vous dominerez toutes les espèces. »

Le Requin blanc n’avait jamais chassé de proies, mais il crut bon de le faire. Il accepta que le Piranha lui dévorât un peu le corps. Le Requin blanc devint alors aussi gros qu’un Dauphin.

Le jour suivant, le Piranha rencontra un Dauphin près de l’épave : « Monsieur le Dauphin ! dit le Requin. Vous êtes bien trop gros! Si vous me laissiez manger ce que j’ai à manger, vous seriez ensuite plus agile. Il vous serait facile de faire toutes sortes de pirouettes à la surface de l’eau. »

Le Dauphin n’avait jamais eu l’idée de faire de telles pirouettes, mais il trouva l’idée bonne. Il se fit manger quelques morceaux et devint aussi gros qu’une Truite argentée.

Le jour suivant, le Piranha vit une Truite argentée près de l’épave : « Madame la Truite argentée, dit le Piranha, vous voilà bien grosse aujourd’hui! Toute cette chair que vous avez en trop attirera les Requins blancs… Ils n’hésiteront pas à vous dévorer tout d’un coup! Je vous propose donc de ne gruger que quelques petits morceaux de vous. Ainsi, vous serez plus en sécurité. »

La Truite argentée n’avait jamais craint les Requins blancs, mais elle accepta de se faire manger la moitié du corps. Elle devint aussi grosse qu'un Piranha.

Le jour suivant, le Piranha passa près de l’épave et vit un autre Piranha. Il le salua : « Bonjour, Monsieur le Piranha! Il ne me semble pas vous avoir déjà vu. Qui êtes-vous? »

Le Piranha répondit à l’autre : « Vous ne me reconnaissez pas? Pourtant, moi je vous connais! Vous venez chaque jour me dévorer un peu plus!

- Vraiment? demanda l’autre. C’est impossible, je devrais vous connaître! Dites-moi votre nom! Qui êtes-vous donc?

- Ah, si vous saviez… Je suis tant de choses! J’ai été une Baleine bleue, puis un Requin blanc, puis un Dauphin, puis une Truite argentée, avant d’être aujourd’hui ce Piranha que vous voyez.

- Vous avez été tout cela! dit le Piranha avec admiration. J’aurais bien aimé être autant de choses! Mais je n’ai été qu’un pauvre petit Piranha affamé… Au fait, j’ai faim : savez-vous où je pourrais trouver d’autres Baleines bleues?

- Oh, ça non! Tous les Piranhas ont fait comme vous : ils ont tout dévoré. Il ne reste plus que de petits Piranhas comme vous et moi.

- Vraiment? Alors, dites-moi comment faire pour être tout ce que vous avez été! Je souhaite moi aussi être autre chose! Quelque chose de gros! Je veux être cette Truite argentée, ce Dauphin, ce Requin blanc! Cette Baleine Bleue! Comment faire pour grossir?

- J'aimerais bien vous venir en aide, Monsieur... J'ai une idée : dévorez-moi. D’un coup! Si vous me mangez, peut-être grossirez-vous avant demain! »

Et le petit Piranha obéit à l’autre. Il le dévora.

Ce petit Pirhana rusé avait bien réussi à tout manger. Toute espèce s'était éteinte. Il se retrouva seul dans la mer bleue.

Tout cela n'avait pas été suffisant pour le faire grossir. Le lendemain, il mourut de faim. »

Cette histoire fit frémir la famille du Poisson. C’était ainsi : tous ceux qui entendaient cette histoire une première fois voulaient la réentendre une deuxième fois tellement elle était bonne.

D’autres familles prirent connaissance de l’histoire que le Poisson avait inventée. Ils la racontèrent à leur tour, aux autres poissons de la mer, dans d’autres maisons. L’histoire voyagea dans tout le pays. Tous parlaient de ce petit Piranha affamé qui avait causé la fin de la mer bleue.

Peu à peu, tous les poissons inventèrent eux aussi des histoires, si bien que toute la mer fut peuplée de conteurs. Bientôt, plus personne ne voulut entendre l’histoire du petit Piranha.

Le Poisson leva les yeux au ciel et demanda la présence de Dieu encore une fois : « Dieu! Chaque jour est une angoisse, car je ne sais quelle nouvelle histoire inventer! Les autres poissons s’efforcent toujours de tout raconter avant moi! Je suis stressé, constamment je désespère : je ne peux plus vivre ainsi! »

Dieu apparût au-dessus des flots. Il compta trois pierres au fond de la mer. Il rassura le Poisson : « Avant, il y avait les histoires. Dorénavant, il n’y aura que le désir d’en faire de nouvelles. Tu n’auras donc qu’à raconter l’angoisse que représente l’invention de nouvelles histoires. »

***

Au rivage, c’était la marrée basse. Les hommes s’élevèrent encore contre Dieu, car il parût que celui-ci n’aidait que les autres espèces : « Dieu ! crièrent les hommes. Vous n’entendez donc que les poissons? Nos os sont rongés par la mélancolie, et nos artistes se suicident par trop d’angoisse! Nous sommes incapables d'écrire de nouvelles histoires! Vous ne ferez donc rien pour nous? »

Mais Dieu ne fit rien pour l’Homme. Pas cette fois.

Les hommes se regroupèrent alors tous autour d’un seul qu’on appela Freud. Celui-ci lança à la mer une pierre grosse comme un homme. Il tenta d’assassiner le Poisson.

La pierre atteignit, au fond de la mer, les autres pierres. Le Poisson ne fut pas assassiné.

Cela faisait quatre pierres.

***

Le Poisson racontait l’angoisse de l’invention d’histoires. Il s’épuisait à expliquer les malheurs qu’impliquait la création. Ses proches en firent autant, puis plusieurs moururent de grandes dépressions, de détresse et de mélancolie. La folie s’empara de toutes les familles. Les criminels se multiplièrent et l’on dut en enfermer plus d’un.

Cette fois, le Poisson ne demanda pas à Dieu de lui donner de réponse. Il ne l’implora que pour exprimer sa douleur : « Dieu, dit-il calmement, j’aimais bien raconter des histoires. J’aimais aussi chercher le sens de ma quête. Mais plus que tout, j’aimais nager pour échapper aux dents des Requins. Je ne veux plus raconter ni les histoires, ni l’angoisse. Car ce sont les angoisses qui font les histoires aujourd’hui, ce sont aussi les histoires qui font mon angoisse. »

Dieu ne répondit rien. Mais il entendit.

***

À ce moment-là, les hommes de la terre se révoltèrent. Ils tentèrent de définir la littérature, mais ils n’y parvinrent pas.

Ils finirent par souhaiter la mort de Dieu. Ils manifestèrent en grand nombre, car Dieu n’aidait ni homme ni femme, il était pour eux inutile de croire en Lui.

Un homme qu’on appela Einstein vit alors le jour. Il tenta de trouver une solution au problème des hommes. Il s’avança près de la mer bleue. Au lieu d’y jeter une cinquième pierre, il y sauta et revint sur la terre avec, dans un sac, les quatre pierres que les hommes avaient lancées depuis des siècles.

Tous les hommes s’isolèrent dans des tentes et crièrent entre eux : « Dieu! Disparais donc! Nous n’avons pas besoin de toi! Tu es utile en rien! »

Et cette fois fut la bonne.

Dieu leur répondit pour la première fois : « Qu’y a-t-il, Hommes? Vous auriez voulu que je vous vienne en aide de la même manière que j’ai aidé ce Poisson? »

Puis, Dieu prit la parole une deuxième fois : « Vous auriez voulu que je vous donne toute nourriture? Que je donne un sens à votre quête? Que je vous oblige à raconter des histoires? Mais je n’ai eu besoin de vous aider en rien! Vous avez tout fait cela par vous-mêmes! »

Puis, une troisième fois : « Jamais je ne suis apparu devant vous. Toutefois, vous avez eu droit au même sort que le Poisson et que toute autre espèce. Si j’étais apparu devant vous, cela n’aurait rien changé. »

Puis, une quatrième fois : « La différence entre vous, Hommes, et les autres espèces, est qu’aujourd’hui vous n’attendez plus de me voir apparaître, mais plutôt, vous souhaitez me voir disparaître! »

Puis, Dieu n’adressa plus la parole aux hommes.

***

Dieu retourna au-dessus de la mer bleue. Il n’y compta aucune pierre. Il vit aussi la détresse dans laquelle il avait plongé tous les poissons.

Il descendit alors dans la mer pour implorer le Poisson afin que ce dernier l’entende : « Poisson, dit Dieu, ceux que je n’ai pas aidés n’ont pas su se comporter mieux que ceux à qui je suis venu en aide. L’Homme a souhaité me voir disparaître avant même que je ne sois apparu devant lui. »

Le Poisson ne fit pas un geste. Mais il entendit la parole de Dieu.

Transparent, dans la mer, Dieu continua : « Je te rassure, Poisson, l’Homme s’est comporté de façon égale à Toi. Il n’a pas échappé au malheur. Mais au lieu d’agir pour moi, il a agi pour se venger de mon silence. »

Le Poisson ne parla plus, car il fallut qu’il ne parlât plus pour oublier ce qui s’était produit.

Puis, Dieu fit une promesse au Poisson, de même qu’il la fit à tous les autres poissons, abandonnant l’Homme au perpétuel enfer de son existence : « J’ai entendu ta requête, Poisson, et pour Toi, je ferai de la mer bleue un lieu paisible. Je ferai en sorte que Toi, tes proches et tes cousins ne puissent plus raconter d’histoires. »

Et ce fut ainsi.

15 décembre 2007

Le siffleur

Chaque fois qu’il faisait chaud, il se mettait à siffler comme une bouilloire oui, exactement comme une bouilloire, quand il faisait chaud, il sifflait, par une température comme celle-là, c’est une bouilloire qui siffle, ça bouillonne en lui que les notes de son sifflement l’étourdissent quand il fait chaud, il siffle pendant des heures les journées chaudes, cet homme siffle toujours, à condition qu’il fasse chaud, on l’entend siffler de sueur dans le soleil quand il fait chaud, il siffle comme une bouilloire en train de bouillir sur le rond du poêle chaud, dehors comme en dedans, il siffle chaque fois qu’il fait chaud, l’été dans la piscine ou l’hiver près du foyer, il siffle des notes lisses qui se suivent quand il fait très chaud, il siffle des notes plus saccadées mais jolies, quand le temps le lui permet, il s’abandonne au sifflage et on l’entend partout dans le village, ça siffle comme une bouilloire oui, exactement comme ça, le bruit qui sort du capuchon de la bouilloire quand ça bouillonne, c’est le bruit de sa sifflerie l’été, je crois l’avoir dit, que l’été cet homme n’a de bouche que pour ses sifflements dans le quartier, parfois ça énerve ceux qui dorment, parfois son sifflonnage en fait siffler d’autres, lorsqu’il fait chaud, je crois l’avoir dit, que cet homme sifflait quand il faisait chaud et cette journée-là chaude, il faisait plutôt chaud, aussi l’homme sifflait plutôt, plutôt beaucoup, ou même assez, il n’hésitait pas à siffler pour que d’autres sifflent à leur tour, si la gêne ne les retenait pas, ces autres sifflaient sur l’air d’une chanson puis d’une autre, mais jamais aussi bien, mais jamais avec autant de justesse que cet homme qui sifflait par temps chaud comme une bouilloire oui, exactement comme une bouilloire et si je parle de bouilloire, c’est parce que la mère de cet homme avait l’habitude de faire bouillir l’eau d’un chaudron avant d’y jeter les pâtes sèches, aussi cette mère avait l’habitude de siffler pendant que l’eau du chaudron bouillait et, même s’il ne s’agissait pas d’une bouilloire, il fallait que toute eau bouillonne de mousse qui éclabousse dans la cuisine sinon, pas de spaghetti et, cet homme qui avait sifflé toute la journée était entré voir sa mère pour lui siffler quelques notes très simples dans l’oreille et s’il sifflait encore, c’était parce qu’il commençait à avoir chaud pour une autre raison que ce soleil sans vent : à tant regarder les pâtes dans l’eau bouillante de sa vieille mère qui se faisait de plus en plus vieille dans les vapeurs de l’eau qui ratatine la peau, il en avait la face rougie de chaleur sans toutefois que ça ne l’importune il sifflait, avec les lèvres arrondies qu’il avait comme celles des poissons cela dit, aucun poisson n’aurait survécu à une telle température, par une journée aussi chaude je crois bien avoir déjà dit qu’il faisait chaud et que la mère préparait le dîner pour son fils qui tournait autour d’elle en sifflant, le sifflotage étant contagieux, elle aussi s’était mis à siffler et les deux sifflaient en attendant, puisqu’il faut que pâte ramollisse, ils attendaient en sifflant dans la chaleur de leur fumée d’eau bouillante jusqu’à ce que les nouilles soient molles, la mère a fini par sortir de ses tiroirs une fourchette pour retirer au hasard une nouille du chaudron, voir si toutes étaient cuites mais trop chaudes, la mère et son fils ont dû souffler sur la nouille en question pour la refroidir, ce qui a provoqué un autre sifflement enfin, les deux sifflaient sur la nouille avant de la croquer et ça faisait une musique aux notes très constantes et très soutenues dans les airs chauds, manger du spaghetti par un temps aussi chaud, ça ne pouvait finir autrement que par de la sifflonnerie familiale de la mère et de son fils enfin, il avait fallu attendre que le père rentre du travail pour se faire dire qu’on va-tu finir par le manger c’te crisse de spaghetti-là là, j’ai faim!

8 décembre 2007

Comme des morts

La nuit. Une chambre. Un lit. Deux chaises au centre de la chambre. Une télévision débranchée. Une lampe éteinte à côté du lit. Il fait sombre. Une fenêtre. Derrière la fenêtre, c’est noir. Au fur et à mesure que le dialogue avance, le soleil se lève.

Mirandole Grunwald, appuyé près de la porte.

François Caravel, couché dans le lit.

Mirandole : Bonne nuit…

François : C’est la nuit…

Mirandole : Elle sera bonne…

François : C’est déjà la nuit… On peut rien y faire…

Mirandole : Elle est bonne… Elle peut être bonne. Des fois, il arrive qu’elle soit bonne…

François : Elle est terrible… Je la sens terrible…

Mirandole : On la sent terrible… Il arrive qu’elle soit terrible…

François : Elle est terrible! (Il se lève, allume la lampe. Il s’assoit dans son lit.) Un homme est mort!

Mirandole : Mort? Qui?

François (paniqué) : Un homme! Je l’ai senti mourir! Je l’ai senti, tout près de cet homme… Un homme est mort. Puis il est mort!

Mirandole : Ça fait deux. Deux hommes sont morts?

François : Trois!… Quatre!… Je compte!

Mirandole : Des hommes meurent. Deux d’entre eux sont morts. Je vais dormir…

François : Des femmes meurent. Cinq! (Il se lève, énervé, il marche dans la chambre.) Les bébés meurent toujours. Six! On sent la mort… On se sent mourir…

Mirandole : Et les poissons? (Il marche en suivant François.) Des poissons meurent. Tu comptes pour moi? Combien meurent pour mourir? Combien sont morts, déjà?

François (s’assoyant sur une des deux chaises, plus calme) : Beaucoup de poissons sont morts… (Soupir.) Un très grand nombre… On peut rien y faire…

Mirandole (s’assoyant sur l’autre chaise) : On y peut rien… Il faut dormir…

François : Pendant que d’autres gens meurent, mourront toujours, d’autres sont morts avant eux… Et moi, en attendant de mourir, je vis avec la mort des autres…

Mirandole : En attendant de mourir, je vis avec ta mort des autres… On y peut rien… Alors, on fait quoi?

François : On peut rien y faire… Les autres meurent. D’autres vivent, vivants avant la mort. (Un temps.) Les secondes meurent, une, deux…

Mirandole : Tu comptes pour moi… Les secondes...

François : D'abord, il y a eu la première. Puis, la première seconde. De là, tout est possible. On attend la troisième. Ensuite, la quatrième. C'est un très grand nombre. Plus on avance, plus le nombre est grand.

Mirandole : Tu comptes énormément... (Un temps.) Les premiers sont morts hier... Le nombre est toujours plus grand... Pourquoi?

François : L’argent. C’est con l’argent. J’en ai pas. Des chiffres. J’en veux pas. Je veux pas en parler... Les chiffres, c’est la mort.

Mirandole : Combien de chiffres? Combien il y en a?

François : Un très grand nombre… Un grand nombre de meurtres, de morts, de cimetières, de recensements de morts. Le nombre d’années qui me séparent de la mort de mon grand-père. Le nombre d’homicides, à la télé, ils ont parlé d’un vieux mort tué par un homme qui s’est tué après avoir tué. La mort.

Mirandole : Le vieux mort était mort. Alors, pourquoi on en parle?

François : Parce qu’il est mort! On parle toujours de la mort, toujours à tous les jours, on en parlera toujours, la mort arrive pour faire mourir! Elle fait mourir pour nous rappeler qu’on mourra. On meurt à petit feu. En attendant la mort, on parle des morts qui ont vécu la mort. Si la mort peut être vécue, bien entendu.

Mirandole : On y peut rien… Si la mort se vivait, on la tuerait.

François : On la tuerait, c’est certain, mais on peut rien y faire… (Soupir.) Vivre, c’est mourir dans un monde où tout meurt. Mourir sans rien connaître de la mort, c’est comme vivre sans savoir ce qui est vivant. On pense à la mort parce qu’on mourra, on sait la mort, qu’on vivra pas toujours, il faut mourir, ou s’assassiner, ce qui est mieux, des deux, c’est mourir, des fois, on s’assassine. Des fois, j’ai envie de mourir, ou d’assassiner, mais on peut rien y faire…

Mirandole : On y peut rien… La mort nous fera mourir, tous, et la vie mourra, tout mourra toujours. Comme les morts revivront jamais, les morts sont morts, on y peut rien, des fois les morts revivent, alors ce sont des morts-vivants, mais ils revivent en silence, un silence de mort. Ils revivent pour se demander pourquoi ils sont morts. Pourquoi il faut mourir, déjà?

François : Parce qu’il faut vivre, il faut mourir, les morts sont morts sans expliquer la mort, c’est leur faute, mais c’est nous qui les avons fait mourir. Nous. Les mortels. On meurt toujours. Dès qu’on vit, on meurt. Toute ma vie, j’ai cherché le sens de la mort. Si tu savais le nombre d’heures que j’ai passé, dans ma baignoire, à essayer de comprendre la mort! Ce nombre-là, c’est la mort! Tu veux pas le connaître. Je le dirai pas. Cent vingt-huit heures. Je crois qu’à ma mort, j’en saurai beaucoup sur la mort. À force de penser à la mort, je mourrai peut-être moins que les autres. Ou mieux, je mourrai mieux. Ou mieux encore, je mourrai plus encore.

Mirandole : On y peut rien… Tu peux pas mourir plus que moi. Je vais mourir égal. On va mourir égaux. Tu peux mourir en criant. Ça fait pas plus mal que de mourir en bâillant. (Un temps.) Je pense à la mort, des fois, j’y pense, pas longtemps. Mon père est mort, mort d’un accident de son cœur mort qui vivait, comme moi je vis, lui aussi vivait, mais il est mort et restera mort. Il mourra à chaque seconde qui continue de mourir et comme le monde continue de mourir vers la mort, on mourra tous bientôt. Pourquoi on meurt, déjà?

François : La guerre. Les gens se tuent et meurent en se tuant. Ils meurent pour leur pays, dans d’autres pays, mais les pays mourront quand ils devront mourir, un jour, quand tout meurt, il faut mourir. Je dois mourir. Comme tout le monde doit mourir. La guerre arrange rien, mais on peut rien y faire... On se tuera toujours et ça fait mourir, aussi je meurs, ça me fait mourir de voir les autres mourir.

Mirandole : Si tu mourais, je mourrais deux fois. Avec toi. On mourra ensemble. Si c’est vrai qu’il faut que tu meures un jour, je veux bien mourir moi aussi ce jour-là. À condition que tu meures vraiment, évidemment, si tu faisais semblant de mourir, ça serait injuste. Faire semblant de mourir, c’est une injustice. C’est dormir. S’endormir, c’est feindre la mort. C’est injuste. Il faut dormir…

François : On peut rien y faire… On meurt, souvent, on meurt quand on dort. Beaucoup de gens, un très grand nombre de gens sont morts dans leur sommeil. Un très grand nombre. C’est ça, l’injustice. On meurt même quand on fait semblant.

Mirandole : Je veux bien dormir avec toi, moi, si tu veux. Ce soir, on pourrait dormir ensemble. On pourrait penser à dormir au lieu de penser à mourir. Quand on pense à dormir, on s’endort jamais.

François : Quand on pense à la mort, on meurt quand même. On peut rien y faire…

Mirandole : On y peut rien, mais si on dormait ensemble, tu serais pas tout seul à mourir dans ta mort quand elle arriverait. Je mourrais aussi. On serait deux dans la mort. Et si je meurs le premier, tu mourras après, pour moi?

François : Je m’arrangerai pour mourir si tu meurs. On mourra. On peut rien y faire… Ça sert à rien de rester ici à essayer de changer la vie quand seule la mort peut changer la vie en la faisant mourir. C’est ça, la mort.

Mirandole : Pourquoi c’est la mort?

François : La pollution. Ça pollue comme la mort. La mort sort des usines, c’est ce qu’ils disent, qu’on mourra étouffés de mort partout. On peut rien y faire. Ils disent, à la télé, partout, que les forêts sont mortes parce que la mort pollue. La grosse mort sale, noire, avec la lame qui détruit le blé, les champs de blé morts, ça meurt, à chaque seconde, un mot meurt dans la bouche de quelqu’un qui parle de la mort. Ça meurt dans des nuages de fumée noire, des particules mortes qui nous entrent dans les poumons. On va mourir étouffés. Il faut pas trop y penser. Sinon on va mourir fous. J’aime mieux mourir étouffé que fou. C’est plus discret.

Mirandole : Alors, on fait quoi?

François : Hier, je suis allé aux funérailles de ma tante morte.

Mirandole : Hier! Hier, c’est la mort… Le temps mort. Le passé mort. On se présente toujours au présent, mais on se passe jamais du passé!

François : On vit avec… On peut rien y faire… Je vais toujours aux funérailles. Sur les lieux. Ça sent partout la mort. La mort sentait, aux funérailles de ma tante morte suicidée, elle était morte du suicide, aussi j’avais envie de mourir, pour ce que la mort nous a fait et nous fera encore, mourir, j’avais envie de mourir moi aussi et que tu meures en me suivant dans la mort. J’avais pas envie, ni de la vie ni d’être en vie, aussi je n’avais pas envie, j’avais en-mort, parce que j’avais envie d’être mort. Moi aussi, comme les morts, être mort. Rejoindre les morts. Être comme eux. Ceux qui connaissent la mort.

Mirandole : Alors, tu as fait quoi?

François : Hier, aux funérailles, il pleuvait la mort partout, sur le gazon, la mort coulait comme si ça pleurait. On a pleuré la mort dans son cercueil. Après, on a pleuré en mangeant, mais tout goûtait la mort, comme si tout mourait, les sandwichs, ça passait mal. Ça passe jamais, la mort, même si tout meurt, ça fait des boules dans la gorge et ça remonte à la surface morte de notre face mourante.

Mirandole : On y peut rien… On est toujours mourants. On agonise. Ma face est mourante. La tienne aussi. Mais j’aime bien te regarder, si ta face c’est la mort, aussi, j’aime bien la regarder.

François : Hier, aux funérailles, il y avait un enfant qui riait. Il riait. Je l’aurais tué. On voulait tous le tuer. Il méritait de mourir. Je l’aurais tué, mais on peut rien y faire… Sa mère s’est contentée de le disputer.

Mirandole : On y peut rien, c’est comme ça, une mère, ça dispute toujours, jusqu’à sa mort, elle dispute, mais elle tue pas. Elle prend soin. Quand ma mère est morte, elle m’a tué. Un peu. À cause d’elle, je pense un peu à la mort, des fois, chaque fois que tu m’en parles. Tu me parles de la mort assez souvent, des fois, un peu, pas trop souvent. Les funérailles. L’enfant qui riait. On l’aurait tué. Et ta tante, elle disait quoi?

François : Ma tante était morte. Elle voyait les choses différemment, dans son trou de ciel, elle souhaitait la mort de personne. Elle voulait vivre. Elle aurait voulu revivre. Descendre de son ciel, ou sortir de son trou. L’un ou l’autre. Un trou de ciel. Vivre encore, un peu, une seconde.

Mirandole : Mais elle s’est suicidée. Après, elle voulait revivre. Elle aurait dû y penser avant. Moi, j’y pense assez souvent, des fois, un peu, pas trop souvent.

François : On peut rien y faire... Ceux qui vivent veulent mourir, tandis que les morts veulent vivre…

Mirandole : Le monde à l’envers. Beaucoup de gens veulent revivre. Être des morts-vivants. Combien de gens? Quel nombre? Ça me fait peur. Tu me fais peur. Des fois, j’aimerais penser à autre chose. Pourquoi les morts veulent vivre?

François : Le Christ. Il parle toujours de la mort. Sa mort à lui. Il est mort pour nous. Les morts veulent pas continuer de mourir après la mort. Ils en ont eu assez. Assez de la mort. Ils ont vu ce que c’était, la mort, comme les suicidés changent d’idée après la mort, ils veulent revivre. Ils veulent être morts-vivants pour visiter les morts dans les morgues, sans rien dire. Ils parlent de rien parce que les remords leur arrachent les mots. Ils regrettent la mort. Ils revivent pour voir ce qu’était la vie. C’est un problème de mémoire, la mort. Vouloir revivre, c’est oublié qu’on a vécu.

Mirandole : Alors, on fait quoi?

François : On peut rien y faire… On endure. Je vais allumer la télé.

Mirandole : On vient tout juste de l’éteindre.

François : Je vais la rallumer.

Mirandole : Les bulletins de nouvelles me font peur. Je sais que c’est ce que tu veux regarder, la mort, c’est toujours tragique quand ils parlent. Ils font peur. Ils m’inquiètent. La mort est dans l’écran, toute proche. Les couleurs du bulletin de nouvelles que tu regardes toujours, c’est la mort. Il y a encore la guerre. Ça change pas. Une première. Une seconde. C'est quoi la suite?

François : Les bulletins de nouvelles. Ça me réconforte. Mes parents regardaient toujours les nouvelles. Toute ma famille les regardait. Mes sœurs les regardaient. Ma tante les regardait. Je m’endormais en écoutant les nouvelles. Je les écoutais. Regarde, je les écoute toujours. On écoute toujours.

Mirandole : C’est pas l’heure des nouvelles. On vient de les écouter. On vient tout juste d’en sortir. On s’en est sortis. Alors, on fait quoi?

François : On décide pas. On endure. On attend. On prie.

Mirandole : On joue.

François : Jouer… À quoi.

Mirandole : Tu décides.

François : On décide pas, on peut rien y faire, ça viendra, ça vient toujours, on décide pas. Quand on décide de vivre, on décide de mourir. Ça s’annule. On décide pas.

Mirandole : On joue à prier.

François : On décide pas. On prie.

Mirandole (s’agenouillant devant François) : On prie.

François : …Ô Grand Jeu! Dis-moi qui nous sommes! Des pions? Des pions morts? Des morpions! Voilà ce qu’on est! (Un temps.) Des marionnettes! La mort a de très longs fils. Beaucoup de fils. Un grand nombre de fils. Un très grand nombre. Ce nombre-là, c’est la mort. Tu veux pas le connaître. Je le dirai pas. Six milliards. Bientôt sept. Je compte! Un. Deux. Trois. Quatre. Cinq…

Mirandole : Pourquoi on prie, déjà?

François : On compte. La mort doit venir comme il faut. Il faut prier. La mort se promène un peu partout. Un peu. Beaucoup. Ah… Ils sont beaucoup trop nombreux en Chine! Un grand nombre, un trop grand nombre!

Mirandole (chantant, pendant que François continue de compter) : La mort viendra, vient, est venue ; la mort reviendra, revient, est revenue…

François (cessant de compter) : Ça devient trop grand!

Mirandole : Alors, on fait quoi?

François : On tombe à zéro.

Mirandole : On est à zéro. Est-ce qu’on est morts?

François : Tu m’entends.

Mirandole : Ça tourne. C’est silencieux. (Un temps.) Je t’entends toujours.

François : C’est mortel…

Mirandole : Alors, on fait quoi?

François : Compter. Il faut compter! Compter les bons mots, même si les mots sont pas toujours les bons!

Mirandole : Un mot : mort. Deux mots : la mort. Trois mots : je suis mort.

François : Peut-être.

Mirandole : Un mot : peut-être. Ou deux? Peut-être, c’est deux mots?

François : Peut-être.

Mirandole : Tu comptes pour moi? Ça tourne…

François : Angoisse, stress, panique, mort, nommer les choses, la mort, il faut en parler... Il faut la peindre!

Mirandole (souriant) : On peint!

François : Il faut l’écrire! La montrer! La mettre sous les yeux de tout le monde! Que tout le monde la subisse avant de la subir! Que tout le monde angoisse! Stresse! Panique! Meurt! Peur! Quatre! (Un temps.) Cœur! Sueur! Fleur! Sept! Nommer les choses! Mort! Huit! C’est une loi!

Mirandole : Après dix, on fait quoi?

François : On meurt! C’est la mort!

Mirandole : Je suis mort. Ça fait trois. Toi plus moi. Et la mort...

François : Il faut qu'on en parle, souvent, un grand nombre de fois! Un très grand nombre de fois! Un très, très grand nombre! La mort, la mort, et la mort se réglera! On réglera la mort à force d’en parler! À la télé, chaque jour, on dit la mort est partout! On prie pour la mort qui est partout! On finira peut-être, peut-être qu’on en finira, on sait pas, on finira par en finir, on essaie! On peut rien y faire! Mais on peut rien y faire… La mort est partout... C’est partout la mort…

Mirandole : C’est partout la mort…

François : Parce qu’on en parle partout… On peut rien y faire... C’est partout la mort… On en parle partout…

(Un temps.)

Mirandole : On y peut rien… (Il regarde par la fenêtre.) Il fait clair!

François : C’est toujours sombre…

Mirandole : La nuit a été bonne?

François : Elle sera terrible…

Rideau.

28 novembre 2007

Géographie maternelle

Il est plus à l’ouest, ce pont que tout le monde connaît, il est réellement là, réellement, il y a des gens dessus dans des voitures. De l’autre côté du fleuve, ce sont les maisons, les familles, les enfants avec le soleil mais de ce côté-ci, c’est l’argent qui existe réellement, réellement il existe cet argent, même si on ne le voit pas toujours.

De ce côté-ci du fleuve, des édifices. Il n’y a que très peu de ciel. Aussi quand le ciel est gris on se demande si c’est du béton, mais c’est du ciel, réellement, le ciel existe. Il existe parce qu’il ne serait rien si ce n’était du vide qu’il y a par-dessus.

Plus haut, c’est Dieu. Lui aussi, il existe, réellement, parce que tu ne serais rien si ce n’était du vide qu’il avait mis par-dessus toi.

Plus loin à l’est, il y a le tunnel qui passe sous l’eau. Les lumières du tunnel sont toujours allumées, parce que sinon on n’y verrait rien, réellement, le tunnel existe réellement parce que si tu y allais, tu te ferais écraser. Et tu n’aimerais pas ça.

Les forêts, elles sont plus au sud. Et au nord aussi. Elles t’entourent, même si tu ne les vois pas. Elles sont réelles. Elles existent, même si c’est dur à croire, tu pourrais être dans la forêt, maintenant, à regarder les branches noires parce qu’il fait sombre. Les forêts ne sont pas bien loin. Elles ne sont pas sur une autre planète. Tu pourrais t’y rendre en voiture, si tu le désirais. Ça te prendrait peut-être trois heures, mais tu y serais avant le lever du soleil.

Juste à côté de ton appartement, c’est le Stade Olympique. Tu le verrais si tu sortais dehors. Il est juste là, même si tu ne le vois pas toujours à cause du brouillard, il existe réellement, parce qu’il y a des gens qui y sont présentement. Et ces gens-là pourraient te téléphoner pour te dire qu’ils y sont.

À trente minutes de métro, c’est la rue Sainte-Catherine. Des gens marchent sur cette rue présentement. La rue existe, réellement. Si tu veux la preuve qu’elle existe, tu n’as qu’à y aller. Ce n’est pas très loin. Ce n’est pas sur une autre planète. Si tu y allais, tu verrais des femmes dans les boutiques, réellement, ces boutiques existent, car il y a des gens qui n’existent que pour ces boutiques.

À quelques pas d’ici, c’est ta chambre. Elle existe, même si tu ne la vois pas parce que tu es dans le salon, elle continue d’exister sans toi. Elle a les mêmes couleurs que lorsque tu l’as vue pour la dernière fois, ce matin. Tu peux aller vérifier. Je t’attendrai. Et lorsque tu reviendras, le salon sera toujours le même. Il n’aura pas cessé d’exister.

Sous cette table, c’est Toulouse. Ton chien. Il existe, même si tu ne le regardes pas, il est bien réellement là. Il est là, parce que tu l’embrassais encore il y a deux minutes. Et tu ne l’as pas entendu s’en aller. Alors, tu peux me faire confiance : il existe encore.

Sur cette chaise, il y a toi. Tu existes, réellement, parce que tu écris ce texte et que ce texte ne serait rien sans toi. Et ce texte existe, réellement, il existe parce que Rachel le lira. Il existe parce qu’elle te dira qu’elle l’a lu, et Rachel existe.

Rachel existe, réellement, parce que tu n’existerais pas sans elle.

Rachel existe, réellement, présentement, même si tu ne la vois pas. Tu ne la vois pas parce qu’elle est partie travailler au Métro. Mais le Métro existe, réellement, c’est une épicerie où il y a plein de gens qui existent. Tu pourrais toi-même y aller, au Métro. Ce n’est pas bien loin. Ce n’est pas sur une autre planète. C’est à quelques coins de rue.

Tu pourrais aller chercher Rachel au Métro et en même temps, faire une promenade avec Toulouse. Ton chien. Il est toujours là, sous la table. Et ensuite, en voiture, vous pourriez tous les trois traverser le pont. Il est plus à l’ouest, ce pont que tout le monde connaît, il est réellement là, réellement, il y a des gens dessus dans des voitures.

Mais ta mère? Ça, je ne sais pas où elle est.

22 novembre 2007

Écrits d'Annecy (+ 1 de Venise)

Je ne suis pas vieux que déjà je revisite mon répertoire de journaux intimes s’ils en sont en voilà un que j’avais écrit en voyage dont je prends l’extrait suivant que j'utilise à titre d'introspection s'il est vrai que l'écriture change avec le temps le voici, l'extrait.

« Annecy, 23 mai 2006

Théo est né, et moi j’ai les Alpes.
Théo, c’est le nouveau-né tout neuf de Geneviève la sœur de Rachel.

Je fume ma cigarette dans une fenêtre sans moustiquaire de l’auberge d’Annecy. On a d’énormes fenêtres dans cette auberge. En fait je n’ai pas le droit de fumer ici, il y a un fumoir plus bas, d’ailleurs on y a rencontré un parisien plus sympathique que les autres. Mais bon j’ai bu du vin.

On a mis notre vin, acheté au Monoprix du Courier (un centre d’achats), dans une bouteille d’eau Vitrel.

Nous avons eu quantité de problèmes pour venir ici à l’auberge, les autobus ne passent plus après 20h00, alors on a pris le taxi. Rachel avait mal au dos de toute façon, parce qu’on avait marché dans la ville pendant une bonne heure avec nos sacs à dos.

La ville est magnifique, surtout avec les Alpes, l’architecture me fait penser à l’Italie, mais peut-être que je suis fou aussi.

Il y a des rues pour piétons alors on se prend pour rois ou presque, disons des rois qui font attention. Ici à l’auberge il n’y a que les criquets, et Rachel qui oublie périodiquement de gober ses pilules anti-menstruation.

Je sape mon vin à même le goulot, comme toujours rêvé, et je crois que je pourrais être plus obèse si je n’étais pas moi-même. Tout ça parce qu’hier, Rachel disait que je faisais pitié en boule dans mon lit, peut-être sont-ce mes hanches qui me trompent, oh à qui la faute!

« Annecy, 24 mai 2006

On a tenté le petit déjeuner ce matin. C’est qu’il est tôt qu’on a le sommeil dans la peau; on ne se lève pas toujours à l’heure. Dans la salle à manger, on a tranché notre pain, bu du jus d’orange froid et du café tiède dans un bol. Rachel voulait dormir davantage, elle disait être fatiguée.

On s’est renseignés au Camping Annecy et on est remontés à la chambre 17. La clé est faite avec des trous, style braille, et les lits sont simples et séparés. À notre réveil, il faut dire qu’une énorme bête, un insecte volant, faisait la sieste du côté du mur de Rachel. Ça n’a pas semblé l’importuner, parce qu’elle s’est recouchée après le déjeuner. Moi je veillais à ce que l’insecte de cinq centimètres ne se mette pas à voler partout.

À 10h00, nous avons quitté, sur la route du Semnoz jusqu’au centre-ville. Une fois nos sacs à dos dans la bagagerie de l’hôtel au centre-ville, on a visité et magasiné pour un réveille-matin portatif. Au Courier, on a été au Fnac, mais le service était pénible. J’attendais de payer mon réveille-matin et Rachel s’amusait avec un CD de Rasmus, le groupe. Finalement on a acheté le réveille-matin et aussitôt sortis on l’a essayé. On a mis la pile carrée. Il avait fallu acheter une pile carrée pour le faire fonctionner mais en fait il ne fonctionnait pas. Il ne fonctionnait pas à pile, mais par fil, le putain de réveille à 15 euros. On a été le rapporter, le monsieur a accepté de me rembourser et chez Sony, plus loin, tout était deux fois plus cher. On nous a conseillé le magasin « L’Heure locale » et hop, c’est vrai, on en a eu un pour 18 euros, hyper léger.

Après on est allés voir la chambre d’hôtel, chambre 103, très jolie. Un lit double, un bureau où j’écris maintenant, craqué brun, une douche impeccable. Je dois m’être lavé pendant au moins quinze minutes ce qui est très long.

Ensuite, nous sommes allés photographier une foule de trucs. Beau soleil, des gens pas effrayants. J’ai fait un tour de carrousel, question de faire action avec les photos, je suis monté sur un cochonnet à la langue sortie, vous verrez d’après les photos que Rachel a prises.

Rachel voulait que je la prenne en photo sur un petit pont, mais au moment de la prendre, un groupe d’éloignés psychologiques, disons-le pour être mesquins, ont abordé Rachel pour je ne savais quoi. Je suis allé la rejoindre et, je vous le dis comme je l’ai compris, ce groupe voulait des objets de peu de valeur pour une collection de voyage.

Rachel a donné un vieux billet de métro et moi, ne cherchez pas, j’ai donné la pile carrée, elle tout de même neuve, en leur disant qu’elle fonctionnait.

Ça a été ensuite le souper tant attendu, je dis ça parce qu’on avait remarqué le restaurant depuis le midi. J’ai mangé ce fameux plat de pâtes spaghetti au saumon vraiment trop salé. Et Rachel a choisi la pizza Parma, celle au jambon fumé. Seulement nous ne savions pas que du jambon fumé, c’est du bacon. Alors, les gros morceaux de jambons étendus sur le fromage comme des carcasses de poitrines mortes ou encore de la couenne d’animal tenace, on ne les a pas toutes bouffées.

N’allez pas croire que mon but est de faire un flash-back, mais tout ça, le repas et tout, me rappelle l’avion et le repas que nous avons eu. Nous aurions pris du vin si nous avions su comment. La nourriture était tiède, des penines à la sauce, et des fèves que je n’ai pas mangées. Le gars, lui, celui à côté de nous, a tout mangé je crois.

On avait mal à la tête et c’était très long si je me souviens bien, un écran télé projetait notre position dans l’océan, et le moment le plus trillant pour moi a été mon escapade aux toilettes. J’ignore comment ils font pour absorber si vite tout le pipi d’une cuvette, j’ignore aussi où va l’urine, dans le ciel évaporée ou dans les verres de jus d’orange pour les collations dans l’avion, oh suffit le cynisme de toute façon, le vol a bien été. Tout s’est bien passé hormis quelques difficultés à se déplier les jambes ont avait l’air de chaises pliantes indépliables, si ça se dit.

Présentement, Rachel et moi sommes en pleine écriture sur le bureau brun chocolat brisé, si ça vous intéresse. Je ne vous situerai pas davantage, puisqu’il faut bien garder le suspens de l’histoire s’il y en a, et l’imaginaire des espaces.

Parlant d’espace, la chaise sur laquelle j’ai les fesses ressemble drôlement à celle du tableau de Van Gogh, la chambre à Arles, à cause du treillis, mais je m’éloigne direz-vous, vous qui ne connaissez rien à l’art.

Ce soir je dormirai facilement, les chambres voisines ont l’air tranquilles. Rachel dormira, enroulée comme dans un saucisson. Elle dit que non, mais j’ai les preuves, les photos, comme quoi elle dort réellement comme un saucisson de draps.

Demain, le camping, je me vêtirai de ma casquette décousue, mon chapeau d’ailleurs, de soleil attrapé dans les Alpes et je bâtirai (le mot est fort) cette tente aux piquets de labyrinthe, peut-être, et on verra pour la bouffe, un pique-nique sur l’herbe ou presque, entre parenthèses.

« Annecy, 26 mai 2006

Le jour c’est la canicule, les champs secs de pédoncules, la soif de sueur sur tout ce qui articule.

Une cigarette de tabac sec à la bouche je recule, avec mon chapeau si j’en ai, le soir tout s’écroule, y compris l’air et les degrés, les filles s’habillent têtes, pieds, plus rien à regarder.

Il faut dénicher la chaleur là où on peut, dans la moiteur des draperies, bon sang que le sol nous gèle.

Je rêve moins la nuit que le jour, Rachel parfois s’endort, parfois prend des marches à la recherche du sommeil perdu : « Le sommeil ne se regagne pas une fois perdu », c’est comme l’amour, à la moindre hésitation – le doute – tout s’égare, c’est perdu, vos bras et vos mains ne servent plus.

On cherche ailleurs alors, on ne trouve pas mieux. Ne quittez pas l’abri, vous serez dépossédés de tout, à ce qu’on dit. Moi j’irais bien avec elle ou elle, pour voir, pour sentir ce qu’elles étaient puis déguerpir comme un con que je ne suis pas, simplement pour ne pas être moi pour un instant, être le con bien heureux dans un monde de joies et de plaisirs.

À deux on peut faire plus de deux univers, je n’en doute pas, mais à moi seul je me sais capable d’en faire des dizaines, voire des centaines si je m’y mets. Vous n’avez pas idée. C’est moi qui les ai.

« Annecy, 27 mai 2006

Nous partons pour Venise, d’abord à Chambéry. Rachel récite quelques mots d’italien à l’aide de son petit dictionnaire.

Nous avons défait la tente en un temps record, bu deux cafés à l’épicerie-bar du camping.

Les paysages défilent à côté de nous, Rachel dit que parfois ce n’est pas plus joli que le Québec et que ce n’est guère impressionnant mais moi, les champs et les perspectives je trouve qu’ils ne se ressemblent jamais. Chaque ligne évoque un univers et chaque couleur vient ouvrir une petite porte dans le cerveau, autrement dit personne ne voit la même chose.

Moi je vois de la crème glacée fondue à Annecy, et de la menthe aussi, mais je ne mangerais pas. Manger du paysage, ça ne se fait pas. D’ailleurs ce doit être pour ça qu’ils ont fait les champs et les montagnes aussi gros, pour ne pas que les voyageurs ébahis les bouffent d’un seul coup. Il n’en resterait plus pour les autres, vous voyez.

Si la planète toute entière était grosse comme une olive, ça ferait longtemps que les voyageurs l’auraient avalée, noyau y compris. Parce que chez les gens, tout est histoire de territoire, même chez les animaux c’est pareil. En faisant le tour du monde, peut-être qu’on a l’impression de s’approprier les territoires de Dieu. Je sais pas.

« Venise, 28 mai 2006

Les réservations sont faites. Rachel, dans un escalier circulaire, elle écrit elle aussi. Gros goulot de vin à portée de la main, mais ce n’est pas la cuite, ce n’est que l’au revoir du Venise que nous ne connaîtrons plus. Un salon plutôt champêtre, venisien ou venisois, comme dirait Rachel. Un dernier hommage à la vie de Venise, Vivaldi, et mes déchiquetages de jeans, ce n’est rien, ma maman ne me reconnaîtra plus. Je suis enseveli par les pays, cousu de membre en membre avec une sorte de fil du temps, celui des espaces recousus par les trains, vous savez, quand ces trains relient les champs verts par leurs aciers, leurs aciers, leurs pères à eux; mon père à moi il soudait, mais de là à souder des champs ça non, ce serait comme bouffer du paysage et ça ne se fait pas, je l’ai dit. »

10 octobre 2007

D'ailleurs

Ça a commencé par le sentiment d’être dans un rêve. Et ça arrive à tout le monde, de prendre les choses pour des cauchemars, les visages pour des monstres. Et ça arrive à tout le monde, de trouver le monde étrange et inquiétant. Surtout à dix-sept ans, quand on se découvre. Mes amis me paraissaient des illusions. D’ailleurs mes amis n’en étaient pas. Mon frère a bien été le seul en qui j’ai pu me retrouvé, vivant.

.

J’ai voulu consulter les psychologues. Les médecins. Mes parents m’ont cru fou et ont dit non. Pas de consultation. Et ça arrive à tout le monde, de se faire traiter de fou alors qu’à l’intérieur, quelque chose se dessine. Surtout à vingt ans, quand on se découvre. Mes ambitions me rongeaient, l’art et la mort. D’ailleurs mes ambitions n’en étaient pas. Rachel a bien été la seule qui a cru en moi, par amour.

.

Il y a eu ensuite les étourdissements. Le monde n’était plus simplement un cauchemar, c’étaient les démons qui me rendaient visite. Et ça arrive à tout le monde, de voir les démons et tout bascule. Surtout à vingt et un ans, quand on se découvre. La folie m’effrayait, et la peur que j’avais d’être ce fou, ce débile à la sortie du métro. D’ailleurs ma folie n’en était pas une. L’art a bien été le seul en qui j’ai cru, et le seul qui ait causé mes angoisses.

.

Des prises de sang m’ont révélé une chose, et c’est que mon taux de fer est trop élevé. On ne sait jamais à quoi s’en tenir. Mon médecin vient de me téléphoner. Je dois faire d’autres prises de sang, plus poussées cette fois. Et la maladie se précise, et les médecins cherchent mieux. Ils atteindront le diagnostic terrible. Et ça arrive à tout le monde, de se faire dire que c’est fini, la vie simple et la liberté des enfants. Surtout à vingt-deux ans, quand on se découvre. Mon enfance s’en allait avec la mémoire qui riait de moi. D’ailleurs mon enfance n’en était pas une. Ma mère a bien été la seule qui m’ait donné le sein, me traitant d’enfant et pour le reste, j’étouffais de fausse assurance.

.

Et s’il fallait que je meure, l’écriture ne s’en ira pas. Un jour, j’ai donné ma vie à l’art. Je ne reviens jamais sur mes dires à la manière des grands parleurs. Et ça arrive à tout le monde, de parler mais de ne rien faire. Surtout sur un lit de mort, quand on se découvre. Ma pulsion de vie m’arrive en pleine face. D’ailleurs ma vie en est une que je ne laisserai pas empoisonnée. La mort, c'est pour les cons et si je ne le suis pas, je respire le bonheur et j'avance. Rachel a bien été la seule à m’apprendre l’amour, et c’est la vie qui recommence, plus belle qu’elle ne l’a jamais été, je t'aime : les couleurs sont trop belles pour être peintes, mais trop laides pour te les offrir.

1 octobre 2007

Parc Safari

Il y avait le champ de quand on roulait en auto. Il y avait aussi les quenouilles avec leurs petites pattes de je crois que j’en ai vues plein, sauter. Nager. C’est d’en qu’on est arrivés au zoo que les plus belles choses de j’ai aimées. Voir les zèbres. Gros museau zèbre, tu es pas gêné pour rentrer de la fenêtre de l’auto chercher mes carottes!!!

.

Après l’éléphant que je pouvais pas le nourrir d’à cause des barrées, encore les zèbres venaient nous voir, et la girafe très grande, géante. C’était très, très drôle d’elle, quand elle marchait, pour qu’on diraissait qu’elle flotte des nuages, la belle girafe. Là les monsieurs responsables ils allaient toujours en camion porter le foin aux animaux du donner du manger. Moi, avec mes carottes c’est pas juste mais, c’est les chevals qu’ils adoraient le plus tout manger tout dans ma main! Presque les doigts hey, dents toutes carrées du cheval, bave pas comme ça! C’est d’orange la couleur de ta bouche et le cheval suivait l’auto comme d’il avait très faim ce cheval-là!

.

Là les autruches! Les plumes! Hey! Gros bec, autruche, que t’es presque les dinosaures avec tes pattes et tu fais la poule tu es très, très comique. Tu viens dans ma main manger le graine de blé et tu me fais pas mal. J’ai un peu peur mais, merci pour ça! C’était la fin du chemin qu’on a vu les lamas, gros museau, tu veux les carottes comme d’égal aux autres, tu prendras pas tout mon paquet! Tu es doux le lama! Sur la face et le cou! Mais c’est drôle que ton ventre est comme un mouton!

.

S’il fallait qu’on s’en va… J’étais triste pour la fin du chemin qu’on voyait pas les animaux plus longtemps… On a marché et c’était vide de les piscines vides, les glissades vides, les manèges vides que c’était le mois d’en octobre c’est pour ça on l’avait tous seuls le parc. J’ai vu que les pancartes que dans les bois, il y avait des bébés c’est sûr, les barrées qu’on a les ouvrir voir, c’était les daims avec des taches! De je savais pas c’était quoi les daims mais, je l’ai découvrir les petites taches sur le dos du daim, c’est comme Bambi! L’histoire de Blanche-Neige et je me sentais que le pays des merveilles avec toi le daim, petit museau, tu fouines souvent dans mes poches! J’ai n’en ai plus de carottes! Je suis vide tu le vois! J’en les ai toutes données!

.

Petit museau, tu es très, très le plus beau que je veux te toucher le plus! Tes amis m’achalent, mais c’est toi que j’aime! Juste toi! Tu es le mien! Je veux te remmener à la maison pour que je peux dormir avec toi! Tu mets tes sabots sur moi je t’aime le petit daim, fais-moi pas mal! Je t’en prie que je t’aime et fais-moi pas mal.

.

Je m’en suis revenir chez moi avec la photo de daim que dont je m’ennuie de ton museau. Tu es le vrai, daim, tu es le simple! C’est pas comme la vie est compliquée d’avec maman!

25 septembre 2007

Hibou

Hibou je t’aime et vie je t’aime, laisse-moi pas le blé séché comme ça, pousse-moi l’été frais encore, comme avant avec les pouliches sur le bureau de ma chambre, et la tapisserie pas étourdissante que j’avais, flatte-moi les rires drôles encore, comme avant avec les amies on jouait aux histoires, et que mon chien il courait vers toi le bleu du ciel, serre-moi de plaisirs encore, comme avant avec la lucidité de quand on se tenait la main dans l’auto, et l’eau bouillante sur la rue, prête-moi la poupée que tu m’as volée l’année passée encore, comme avant avec les flaques qui mouillaient tes petits pieds dans les sandales avec le velcro, et les lulus que maman me coiffait pour l’école, grimace-moi le ballon de soccer que tu aimais encore, comme avant avec les feuilles oranges qui arrivaient qu’on mettait nos manteaux lisses comme des voiles de bateaux pour le vent, et hibou je t’aime et vie je t’aime, laisse-moi pas me faire des peurs bleus de ciel mort pour rien, peigne-moi les cheveux avec les doigts encore, comme avant avec le sucre au bout des ongles à cause de les bonbons qui tachent que tu es drôle, regarde ta langue est toute bleue! embrasse-moi de chevals qu’on aimait sur les bords des routes encore, comme avant avec le pyjama des fois qu’on pouvait se coucher plus tard à cause de la visite, et la craie sur le tableau vert qu’on jouait à dessiner, tire-moi sous les draps encore, comme avant avec la nuit que notre voix parlait pas fort parce faut pas réveiller les parents, et faisons semblant de dormir je les entends, parle-moi la musique de 1990 encore, comme avant avec la télé nos émissions de les animaux en peluche, et le bol de céréales sur la galerie devant les herbes que je voyais les vaches et amélie, aime-moi de cadeaux encore parce que demain je veux que tu me donnes tes jouets o.k. je fais la collection ça se peut que ça vaut super cher plus tard yes.

30 août 2007

Lèvres perdues

Tête de poisson cru que j’ai devant les yeux et mes yeux voient mal les couleurs des spectres qui me hantent si tu savais comme le mal s’acharne et ne vit que pour mes erreurs de conditions d’artiste mauvais quand je regarde les œuvres qui m’ont fait saigner; tête de poisson cru devant quelques tournesols jaunes avec les tiges foncées que je ne comprendrai jamais pourquoi les mères s’entêtent à rester sales bien qu’on s’efforce de sang à leur rendre le plaisir qu’elles ont perdu mais voilà, alcool que le verre me manque encore chaque fois que les astres s’effondrent, tête de poisson cru avec les paupières qui tombent à la manière des paresseux que je ne suis pas mais, si seulement quelques cervelles me laissaient dormir, vents d’odeur des Alpes que j’ai connues à tes côtés ma chérie blossom, fleur de cerise que mon cœur se tord d’ennui de vie qui n’est pas la mienne; tête de poisson cru bête indifférent à regarder les hommes tandis que les forêts émerveillent et que les chiens font des faces mignonnes en cachette, mais les hommes n’en ont que pour les tranches de bacon que les chiens s’en câlissent de ces tranches-là mais voilà, un petit morceau par ci, un petit morceau par là les chiens sont comme les mères, toujours souffrants jusqu’au jour enfin où on leur en veut d’avoir pissé sur le tapis; tête de poisson cru qui me vide l’idée de toile peinturée que mes pinceaux s’en moquent de mes malheurs et si ma psychologie se révoltait contre moi, perversité que j’ignore quel fou je serais, Munch de mon cœur, dis-moi que les planètes ne sont pas moins folles que nous pauvres suicidés et que les bombardements sont aussi naturels que les cataclysmes de vagues s’il faut que la mort dégoutte partout de sur nos têtes, la mienne se fera penchée vers l’arrière et la bouche grande ouverte, j’ouvrirai ce qu’il me reste de lèvres que tu n’as jamais touchées, j’ouvrirai ce que j’ai de rouge et qu’il me manque le féminin de ton gloss brillant pour que la mort soit rose et que les autres ne soient que les nuages dont tu te moques dans le ciel, grand astre que je t’aime, croissant de ma douceur, fais donc en sorte que les plafonds descendent plus bas encore et qu’éclatent enfin les transparences de mon aquarium, lourdeur que j’ai le ciel dans la gorge chaque fois que je sors sans toi vers les distances effrayantes sans toi, le près et le loin se confondent sur l’horizon d’où je cris de me laisser tranquille et « laisse-moi tranquille, chien de ma poche, quand tu joues dans les poubelles avec ton museau noir, ce sont mes sentiments que tu touches! »; tête de poisson cru à laquelle je m’accroche les poings serrés pour ce que je n’ai jamais eu de fort sinon mon incroyable nostalgie légendaire que même les vieux livres poussiéreux envient du fond de leurs vieux auteurs morts secs que j’ai voulu être mais les mères pleurent et les pères ne disent rien alors, les enfants pleurent sans rien dire; tête de poisson cru que l’eau me manque autant que toi, vent quétaine qui fait du bien quand le sérieux tape son apogée suprême de formules graphiques et de robots technologiques du style de je m’en vais mourir mais le métal est beau sous ses reflets argentés de futuriste si l’histoire me manque, je n’ai qu’à fouiller mieux aux précipices de toi comme tu contiens toutes les histoires et la nôtre qui pourrait s’achever aujourd’hui par le dernier mot de la dernière page plate qui fait jamais pleurer si les filles se tiennent et si les hommes les prennent, peut-être iras-tu les suivre de danses et de synchro mais, une dernière chose que j’ai à dire et c’est que si tu me quittes, orphelin que je serai dans les draps vides blancs tachés de sang si tu me laisses, ma mère a déjà fait une fausse couche une fois et il se pourrait bien que je sois cette fausse couche et que je t’écrive d’outre-tombe comme l’épitaphe interminable de ceux qui s’accomplissent au génial de leurs formidables mais moi, je ne ferai rien de ma peau si le ciel ne descend pas plus bas alors, couche-toi sur moi et n’aie pas peur du poids qui m’écrase de soulagement et n’aie pas peur de tes odeurs d’humaine vraie dans les forêts de Trois-Rivières coupées comme les putains qu’on n’a jamais payées belles, tête de poisson cru sur les rochers du fleuve, géographie que j’ai horreur de tes mouvements faciles de petite fille, je te tremblerai de terre et de volcans si tu restes avec moi, je pleurerai de bleu sur tes lèvres pour que me revienne le mauve de tes dents et que les âmes sœurs me mordent comme avant!

Marie-Hélène

Mes lunettes me font mal, Marie-Hélène, et c’est comme si le ciel me donnait une dernière chance de voir clair et de te parler de voix noire écrite au verso de ce que tu as vu de moi, sentiment secret que tu es perdue dans les bras d’un autre si tu m’aimais, pardonne-moi les vagues de mon existence style vingtaine interminable qui cherche les raisons de l’amour étourdissant comme les tuiles d’un plancher quand on marche en se regardant les pieds, Marie-Hélène, exe de tous les enfants, tu m’as pris comme un suçon avec ta langue de restants de jus de bébé et ne pleure pas, si j’ai laissé tes humeurs de sacoches pendantes et si je t’ai pris comme on prend un marteau pour piocher sur les gens, Marie-Hélène, c’est que tes yeux de chats ne m’ont jamais guéri des couleurs atroces qui me faisaient atchoumer, depuis la purée de tes carottes, tu m’as mordu les os comme les chiens grosses gencives roses style Laurence qui sourit, marteau de tous mes clous plantés aux coins de mes toiles tristes Marie-Hélène, fraîcheur de printemps cute mais sans plus, ne t’en fais pas pour les gars fuckés comme moi, ceux qui confondent les marteaux et les femmes sont soit des aveugles, soit des clous et clou rouillé que je suis aveugle à n’embrasser que le rêve fini de toi qui me chiale après qu’on va jamais magasiner, je t’ai pris comme l’enfant du ventre que je n’aurai jamais et s’il ne faut pas toucher aux enfants morts loin derrière, pardonne-moi de t’avoir donné le plus clair de mes débuts d’artiste malade mais, j’ai trouvé l’âme sœur ailleurs, plus loin que tous les cris d’amour que tu me lançais comme de la bave de toutou, j’ai trouvé l’âme sœur d’ailleurs, si la mienne est noire la sienne est blanche et pardonne-moi si je t’ai pris rose, chat sexy que je ne suis pas aux animaux mais, c’est avec Rachel que je me suis acheté un chien.

Tu dors ma belle

Tu dors, ma belle, tu dors ma belle et qu’ils sont beaux les croissants que tu as laissés sur la table de bois de la cuisine que nous avions blanche du plus propre de ce que nous étions, détergent que j’ai mal quand tu dors, ma belle, tu dors ma belle et feins la mort solide froide des épaules qui n’ont plus le rythme des vagues quand tu dors, ma belle, tu dors ma belle et qu’elles sont gelées les vagues qui m’envahissent de glace les pieds même si je m’efforce de me rappeler la chaleur d’un havre maritime Monaco où tu avais l’eau dans les jupes, mes pieds gèlent et tu dors, ma belle, tu dors ma belle et qu’elles sont belles les jupes que tu as laissé traîner au plancher flottant qui ne bat plus que pour les tremblements de mes angoisses et l’angoisse des heures qui me déchirent d’anguilles et du sans toi encore, le temps me vieillit et tu ne verras pas les cheveux blancs qui me poussent ce soir, à boire ce soir tu dors, ma belle, tu dors ma belle et qu’ils sont beaux les flacons de parfum encore vivants de ce que tu étais, lilas dans une musique de harpe avec les cordes fragiles coupantes que tu me sectionnes les doigts défaits par l’amour que je ronge, la musique t’as pris ce soir et elle te gardera, fille à qui les shampoings m’inondent la tête sèche de cheveux blancs qui me poussent un peu plus encore vers celle que tu étais avant que la vague ne tourne en sable sur tes yeux mauves tu dors, ma belle, tu dors ma belle et rien n’a changé de la nuit qui a noirci tes bibelots que je trouvais si laids mais qu’ils sont beaux depuis que tu dors, ma belle, tu dors ma belle et qu’il est beau le risque à prendre de te rejoindre de draps vides à toi, blanche comme la mousse des vagues qui s’endorment de sable sur les havres de Monaco.

18 août 2007

L'Oiseau Ve Elle no.2

Je ne dirai rien du goût amer des fruits que tu me donnes avec le sourire en coin nuageux de salive maladive de moi, amour que tu n’as plus je me tairai, au sujet de mes angoisses vertes pleines de trous et bourrées de vides je n’en dirai rien, de ma peur de ne rien dire et de ne rien être, au début comme à la fin s’il fallait que tes yeux soient de vitre cassée au moindre mouvement maladroit de mes ongles crasseux et, doigts noircis de malveillance que l’hypocrisie me brûle et je n’en dirai rien, des flammes que je fais monter par les mensonges de mon bonheur mal écrit, je n’en dirai rien, de mes tempêtes vieillies au théâtre de mes shakespeare inventés avec trop de noir et trop de mal, trop de spleen dis-tu et trop de mort je ne dirai rien, de mes essoufflements démoniaques dans la salive collante de tes approches, je n’en dirai rien aujourd’hui parce qu’il y a le ciel enfin, il y a la complexité de cet oiseau qui s’envole par le ciel, et remonte ses ailes sur l’horizon; la franchise avec laquelle il se déploie du violet des garçons vers le rose d’un soleil endormi…

Soeur de mon suicide

Je ne parlerai pas de l’asile que je crains, ni des pilules qui me supplient de les avaler parce que je ne peux vivre sans elles non, je ne parlerai pas de l’hôpital qui accueilleras mes deniers soupirs étouffés dans l’embouchure du tube sec de mort fini dans les draps vides de ce qu’il a été; je ne parlerai pas des suicides collectifs de mes âmes sur les grandes falaises de l’escalade ratée, du fil qui casse et du sang sur ma gorge, ma folie détruite par la raison de mes délires sur les toits de Verchères non, je ne parlerai pas des miettes de ma tête explosée sur le ciel, par la mort de mes pressentiments atroces de ce qu’est la vie, un rêve qui n’en finit plus de créer de nouveaux visages et qui me réinvente chaque fois devant les miroirs!

Je ne parlerai pas de ma mémoire qui s’enlise dans le sable de mes oreilles sourdes et, étourdissement que j’ai peur chaque fois que les monstres apparaissent au beau milieu des rêves non, je ne parlerai pas du couteau de ma poche sur les erreurs de mon art, de plastique que personne ne voit, je ne parlerai pas des mots dont j’ai horreur, pour ce qu’ils me donnent de cancer et tentent de me faire mourir avant mon heure angoissée au creux des horloges de mes pages noires sur toi, peau mauve de mes blessures!

Je ne parlerai pas de toi, saine que tu es encore à m’entendre me plaindre d’étourdissements et de surdité dans l’âme de tes couleurs arrangées pour quelqu’un d’autre que moi, je ne parlerai pas de toi, traître qui n’existe que pour les autres, presque aussi morte que ma mère froide va, coucher chez les vagues qui boude le poisson que je resterai à pleurer l’océan que tu contiens; je ne parlerai pas de toi, orpheline de mes avortements nocturnes, mais la fausse couche n’attend jamais qu’on écoute le cri de son sang, orpheline de mes ennuis poétiques sur l’encre de tes baisers, je ne t’embrasserai pas plus que je ne parlerai de toi, sujet de mes colères profondes et si je ressemble à papa, sache que les squelettes sont mes sosies et que les pierres tombales sont les oreillers sur lesquels je dors, au rêve de mon existence floue, embuée comme les vitres de la douche brûlante dans laquelle ton amoureux se déverse et je ne parlerai pas d’amour, sœur de mon suicide, je ne t'en parlerai pas!
Et je ne t’entendrai pas!

Prune au front

Je remontais le village au loin de l’eau du fleuve pour ce qu’elle m’avait troublé de vertiges et de mouches folles qui cherchaient à me prendre les pas, étourdi que j’étais à marcher à l’envers en pensant qu’il faudrait que je t’écrive à l’endroit; je brisais l’écriture avec le son que ça faisait briser le cerveau des poissons et des algues qui remontaient jusqu’à ta mémoire avec la surdité qu’ils connaissent, te crier de ne pas partir et « ne pars pas, mère de tous les suicides ne pars pas, fille du village, les rues sont hautes et ne tiennent qu’au creux des verres que tu avales »!

Pleure!
Pleure!
Prune au front!

J’arrivais trop tard, inondation que tu étais passée par là avant moi, orphelin que j’étais à me perdre de beautés que je ne reverrais plus Verchères les arbres qui s’absentaient, cyprès qui se déchirait les racines à s’en mutiler la terre sale pour que je ne profite de rien, ni des oiseaux ni de tes seins vides qui m’assèchent la respiration, prunelle de ton œil massacré qui m’éteint le paysage jusqu’à toi!

Pleure!
Pleure!
Prune au front!

J’avais le ciel dans la gorge et les étoiles me bombardaient les tempes comme il fallait que je te trouve autrement que morte froide avec les lèvres bleues dures comme le plastique d’un bouchon de lavabo qui s’étouffe dans son cerne rouillé cerné jusqu’aux oreilles de l’adolescent suicidé dedans; le mal commençait à tourner dans les rayons de ma tête avec la peur que j’avais de devoir m’assassiner dans un coin avec la tête entre les mains pour le classique de Munch et de tout ce que les nuages recèlent de secret, de ne plus me connaître et que le rêve dans lequel je survis ne s’effondre avec moi dedans qui s’écrie qu’il est trop petit cet univers, et qu’il est trop grand le vide de ta gorge qui m’avale!

Pleure!
Pleure!
Et mes écailles ne craqueront pas!
Mouille-moi que je suis cru!

Il fallait que les étourdissements s’intensifient pour que le relief de ton front accidenté m’apparaisse de sang séché par le temps qui nous sépare et que les trous noirs me pendent au bout des doigts, sec comme j’étais à m’éloigner de ma peur de l’eau, il fallait que je survive à ce qui me manquait, que je remonte les lueurs de toi qui sortaient des draps de ta grossesse et que je boive tes vapeurs pour nager encore, aussi maladroitement que toi la maladroite à qui les envies sont plus fortes que le stress de voir son enfant remonter le fleuve, moribond que j’étais à quitter les eaux qui me nourrissaient dans le seul espoir de pouvoir mourir comme tu l’entends, maman mais s’il faut que tes larmes remplissent les océans depuis la fontaine de tes yeux, je me tiendrai aux rides de tes sécheresses et j’attendrai, j’attendrai que tu pleures! Que la respiration me revienne!

Pleure!
Pleure!
Et je ne mourrai pas de sang dans les draps!
Fausse couche de ma lie!
Et poisson cru que je suis!

4 août 2007

Chien

Je sortais mon chien par la porte d’en arrière moustiquaire de grosses abeilles qui me faisaient crier l’alerte de ma peau et comme le chien forçait ses besoins de vessie qu’il avait retenus toute la nuit, la mère m’arrive avec mon père accroché à son bras comme l’age d’or avec les rosiers qu’on trouve ça beau mais encore les chiennes d’abeilles pas drôles, les deux parents que j’ai en cauchemars pour ce que je n’ai pas dit à Freud de mes problèmes que j’ai la tête comme un tourniquet de La Ronde achalandage maximal quarante degrés à l’ombre de mes cauchemars où mon père m’arrive par derrière et fait fuir le chien de mon territoire avec ses allures de riche réussi et ses échafaudages auxquels je ne comprends absolument rien ni de structure ni de technique mais lui, il entre comme chez lui, le bonjour qu’il me dit avec toute la gêne d’un père qui n’a jusqu’alors pensé à rien d’autre qu’aux échafaudages, « bonjour » et le voilà qui n’ose pas me regarder moi, moi qui lui tend ce qu’il attend, l’argent du loyer pour ce mois-ci c’est trois cents et les comptes déboulent jusqu’à terre sur ma mère qui nettoie et frotte le plancher que j’ai plus laid que le sien et les miroirs qui ne sont pas à moi non, ils viennent de chez mes parents mais quoi, les images sont toutes les mêmes, même celles qui sont aux autres alors, je sortais mon chien et criais dans le vide que « sortez de chez moi, papa-maman ! », je pleurais dans le vide que « n’entrez pas chez moi, papa-maman ! » tandis que les voisins me dévisageaient bizarres avec mes airs de ridicule qui ne parle à personne mais le ridicule ne tue pas, et le fou non plus enfin, mon chien qui forçait ce qu’il avait à sortir a fini par finir et moi de rentrer à l’appartement avec la crainte de tout perdre mais voilà, ce chien vous ne l’aurez pas.

7 juillet 2007

Diagnostic d'un écrivain

J’aurais dû faire médecin. Les médecins, on les écoute. Les écrivains, eux, on les lit et puis c’est tout. Quand on lit une histoire ou n’importe quoi d’écrit qui est pas dans un journal laid avec une grosse couverture tragique, on prend jamais rien au sérieux. Même quand on lit des romans de peur qui parlent de la mort et de ces choses-là graves, on a quand même le sourire aux lèvres chaque fois qu’on finit un chapitre. C’est tant mieux pour les livres mais, après dans la rue, quand les gens voient un écrivain, ils ont rien à lui dire sauf, ils lui demandent comment il a fait pour écrire aussi bien que ça.


C’est rare qu’on demande à un écrivain : « Est-ce que ma santé est bonne? Est-ce que mes enfants vont bien? Est-ce que je vais mourir? ». Pourtant, c’est ça que tout le monde veut savoir. Les écrivains répondent à des tas de questions en écrivant, mais ils répondent à des questions que personne a posées. Souvent même, les écrivains inventent leurs réponses avant de commencer à écrire alors, ils inventent des problèmes romanesques pour placer leurs réponses quelque part. Parce qu’on le sait, il y a rien de pire qu’un écrivain qui se couche le soir avec dans la tête des réponses pas placées.


Pour les médecins, c’est différent. C’est plus spécial. Les médecins sont comme les sorciers, mais avec des mains de Dieu dans les poches. Ils ont tous les pouvoirs. Moi je pensais que les oracles, les druides, les pharaons et ces choses-là comme ça remplies de pouvoirs étaient toutes disparues et qu’on consultait juste des professionnels qui gagnent de l’argent mais non. Les vieilles madames malades, quand elles vont voir un médecin, c’est pas un monsieur normal qu’elles vont voir. C’est celui qui pourrait les purifier de tout. C’est celui qui mettra fin à leur peur de mourir, elles pensent, les vieilles. Quand elles demandent au médecin si elles vont mourir, elles mettent leur vie entre les mains de ce toubib-là et si il dit non tu mourras pas, elles lui sautent au cou c’est sûr. Pour l’embrasser c’est sûr.


Les médecins sont capables de faire réagir les gens avec presque rien. Un petit oui, un petit non, et c’est fait. Ils tiennent le monde entier à leurs pieds. C’est amusant parce qu’ils ont juste à donner un minuscule coup de pied par devant et tout s’envole. Et si le médecin sort de sa poche le diagnostic d’un cancer, les espoirs du patient sont détruits en une fraction de seconde.


Les médecins détiennent une vérité, comme. Parce que les vieilles le savent pas si leur tête est correct. Tandis que le médecin, lui, il a des instruments pour mesurer plein de choses. Et les instruments, ça a toujours l’air 1- crédible 2- sérieux 3- sûr 4- vrai. Les mêmes qualificatifs que les juges et les policiers. Et ces instruments-là, on les a jamais à la maison. De toute façon, même si on les avait chez nous, on dirait qu’on est pas capables de les utiliser correct : ça prend un vrai docteur. Alors les bureaux des médecins sont aussi pleins que les urgences. C’est pour ça que je me diagnostique toujours moi-même, chez moi dans mon salon, et comme ça aussi j’ai le temps d’écrire.


Ce matin, je me suis diagnostiqué une anxiété morbide. Ouais, je me la suis diagnostiquée moi-même. Il était temps que je le fasse. Ça devait faire trois semaines que je me demandais ce que j’avais. Des étourdissements. Une fatigue assez chronique. L’impression d’être déconnecté de la réalité.


Il doit y avoir deux milliards de personnes qui ont une anxiété grave sur Terre, et dans leur tête ça tourne mais, ils apprennent tous à vivre avec. Au début, ils croient à des lésions au cerveau, des troubles paranoïaques ou même, la folie. Ils vont tous voir un médecin qui leur dit prenez ci, prenez ça, mais c’est d’un psychologue qu’ils ont besoin. Et c’est rare que les médecins réfèrent à des psys. Ça serait comme un prêtre qui envoie un chrétien chez un archéologue. Ça se peut pas.


Alors les anxieux prennent leurs médicaments sauf, c’est sans résultat. Ils sont déçus des réponses du médecin parce que leur stress fait qu’augmenter. Ils ont toujours la tête qui tourne. Et quand ils s’aperçoivent que ça s’arrête de tourner quand ils écoutent la télé, ils se disent que finalement la maladie va passer. Mais c’est pas un remède, la télé. Ils le savent alors ils s’inventent d’autres remèdes et d’autres réponses, comme les écrivains font.


Ils se mettent à tomber amoureux de n’importe qui, pour se changer les idées comme devant une télé. La vie ça devient un téléroman. Des fois aussi, ils font de l’exercice et deviennent des gros musclés. Super musclés. Un peu trop musclés. Et puis, il y en a aussi qui se mettent à manger bio et à boire beaucoup d’eau. On sait pas.


C’est comme ça partout. Je connais personne qui est pas névrosé. Tout le monde a peur de mourir sans avoir vu un médecin. D’ailleurs je me demande, en Afrique, de qu’est-ce qu’ils ont le plus besoin : des médecins ou de l’eau? Quand c’est rendu qu’on a autant besoin d’un homme que d’un océan…


Moi si j’angoisse, c’est que je pense trop. Je pense à la mort et ça m’angoisse. Quand j’y pense, j’aurais dû faire médecin. Les médecins ont pas le temps de penser à la mort, eux, ils sont trop occupés à régler celle des autres.


J’aurais aimé que les patients me regardent comme si j’étais leur sauveur. J’aurais pu faire médecin, ou alors j’aurais pu être un océan. Un des deux. Mais les écrivains, ça sauve rien. Ça écrit des choses qui existent pas pour se prouver à eux-mêmes qu’ils existent.


En tout cas, pour me sauver moi, je me demande ce que ça me prendrait. Un médecin avec une gourde. Ouais, c’est ça qu’il me faudrait. Un médecin avec une gourde remplie d’eau.

30 juin 2007

Chute de neige

***
Rien ne va plus depuis ma première chute au-dessus des masses de neiges.

La vie n’est pas faite pour voler comme les oiseaux, adolescente de mes traumatismes : la vie est un rat qui cherche partout la mort. Le temps est venu pour mes paniques de me jeter contre toi.

Il fallait que l’amour me percute le crâne pour qu’ils se mettent à me traiter d’arrogant et d’étourdi.

Ils détestent ma personne.

Les rondeurs s’éclipsent derrière les autres. Tout va vite. Depuis que j’ai peur de mourir, j’invente les angoisses de celui qui attend le lit de sa mort.

À tant crier mes adieux sur les toits de Verchères, ma caboche a explosé dans le ciel.

Mes cernes ont créé les remous que tu vois le soir. Les étoiles sont mes tumeurs.

« C’est dans notre tête que les bébés-secondes deviennent des mamans-minutes, et si ce n’était de notre tête, le temps ne serait rien d’autre que la grâce du destin. » (Rachel Cloutier)

.
.
***

Elle a raison. Il me faut oublier ma tête.

Je regagne la colline enneigée. Je tente ma chance une deuxième fois. Au moment de ma glissade, ne ferme pas les yeux.

« Je stresse pas, fille de mes tics, je stresse pas mais, si j’explosais de pluie dans les fontaines de tes yeux, saurais-tu devenir le poisson de mes rêves?

Saurais-tu devenir le rouge de mes vagues et moi,
le bleu de tes lèvres? »
(William Drouin)

Chut!

Ça recommençait par les mots de ma naissance qui se perdaient encore aux labyrinthes de mes sensations troubles et tourbillons noirs que j’avais aux coins de l’œil anxieux de mes angoisses qui font de ma vie l’interlude d’avant ma mort : le négatif de ma mère soûle flashait, délaissé sur mes tempes pleines de marques coupantes cicatrisées par les spasmes de mes tremblements quand j’ai l’overdose de l’irréel, il faut que ça cesse! Il faut que ça cesse!

Chut! Chut!

Ça tourne un peu plus au royaume du chez toi bien que je m’extériorise la nausée de l’oreille souffrante pour toutes les fois où mon bonheur ne fut qu'un mensonge et m’extirpe au stress de mes crises sur l’extérieur qui me fait de plus en plus peur sans toi et de l’absence, je ne saurais devenir autre chose que le cadavre qui m’attend au tournant de la route que je ne prendrai pas et je ne prendrai pas le volant! Je te le laisse! Je ne le prendrai pas! Et les chars ne m’assommeront pas!

Chut! Chut! Rendors-moi…

Bouffée de dégueulasserie au cerveau et les choses se sont animées au mauvais sens de mon horloge avec le mal chronique de mes perceptions débiles si les autres existaient évidemment, si seulement les autres existaient, je vieillirais plus malade encore que toutes les maladies pour lesquelles tu m’as voulu!

Chut! Chut! Calme-moi…

Je m’éteins à la cendre de tout ce que j’ai refusé de boire ou de fumer à l’amour que je t’ai porté avant que s’annonce le cataclysme de moi sur toi souviens-toi les draps vides, ils me resteront dans le sang de mes complaintes et si je meurs je crois que c’est maintenant, au moment où je tournerai la tête vers toi!

Chut! Chut! Respire-moi…

Que tu me soignes comme si j’étais le bébé d’une planète où les monstres vomissent sur les autres la nausée de leur psychologie malade dont personne n’a pris soin avant l’adolescence et cela, même si les mères s’étourdissent et que les pères ne parlent pas! Prends-moi avant que la vague ne fasse le travail!

Chut! Chut! Aime-moi…

Pour l’élasticité de ma nuque et le calvaire de mon cou, j’avalerai une autre gorgée de vertige pour tout ce que j’ai refusé de dire et d’éclater de colères pour ma peur d’être un salaud, salaud que je suis et s’il faut que ça explose, je viserai la gorge de ta santé et s’il faut que cette gorgée soit la dernière du dernier chapitre de ma peur de mourir, je deviendrai adulte et sûr de l’être!

Chut! Chut! Chut…

Chut.

Les démons m’ont rendu visite hier soir.
Ils me sont entrés par le crâne.
Ils voulaient mon âme.

Je pense avoir avalé quelque chose malgré moi mais si je récidive autant, c’est l’angoisse qui est à la cause et à la peur du pchhh qui résonne dans mon oreille et que tu n’entends pas! Tu n’as pas entendu l’amour qui m’a fait chuter! Une troisième fois dans tes bras! Je chute encore! Chut! Troisième monde que tu es! Chut! Réelle que tu es!

Chut! Chut! Chut…

Chut.

Ce sont les démons qui ont atteint ma salive.
Un peu trop tôt.

Pour ma mort, je n’ai plus peur.

15 juin 2007

Cheveu noir

Vide de toi que je me morfonds la morve du fond à l’explosion de mon kleenex sur mon visage tartiné entre plancher et plafond

Cheveu noir

Couronne qui me frémit à la noirceur de rester près de mes vœux noirs

Cheveu noir

Eau frisée que tu faisais couler sur Venise laideur d’y être allée

Cheveu noir

Chapeau que nous partions poussière de ta dentelle mâche-moi le chat de ma peau mâche-moi tête pleine d’idées vide d’images la géographie m’a jeté comme un sauvage!

Cheveu noir!
Cheveu noir!

Chemin sable face que je gonflais l’accordéon!
Il vibre depuis l’hôtel et la ville ne coulera pas avant toi poisson!

Cheveu noir!
Cheveu noir!

Mascara robe à pois je rampais jusqu’à toi!
Poisson d’entre nous qui s’évapore à l’absence de toi mouillée!

Cheveu noir!
Cheveu noir!

Vide de toi que je me morfonds la morve du fond à l’explosion paf!
De mon kleenex sur mon visage tartiné entre plancher et plafond!

Cheveu noir!
Cheveu noir!

Nostalgie de mes doigts enroulés autour de ce cheveu noir que tu as hier laissé tombé dans la douche!

Ce n’est pas l’amour qui s’évapore!
Baptême de la fille nostalgique!
Cheveu noir sur une plaque de céramique!

Cheveu noir!
Cheveu noir!

De ta dernière douche!
Première nostalgie!

Cheveu noir!
Cheveu noir!

Si tu ne vibres plus aux cordes frénétiques d’une petite gênée avec moi ce n’est pas l’amour qui s’est évaporé!

Cheveu noir!
Cheveu noir!
Cheveu noir!

Vide de moi cheveu noir que tu te noies au robinet de ta douche pour la perte de moi aussi et si nous ne pouvons compter que sur d’aussi minces souvenirs alors pourquoi s’être laissés!

.

.

Pour le baptême nostalgique!
Cheveu noir sur plaque céramique!

.

.

2 juin 2007

Catherine

Matin cheveux foncés de catherine la blonde de mon frère cette fille est encore amoureuse de lui et m’apparaît par la porte de mon appartement avec dans les yeux un début de soleil d’été comme elle frappe à ma porte tu n’es pas là et ne se gêne pas pour faire briller les restes de sa mémoire après le départ de mon frère dont elle est enceinte tout ce qui ne m’aide pas l’absence de toi tu n’es pas là catherine éclate sur le plancher je lui demande comment va la grossesse de son ventre de tonnerre il ne faut rien brusquer elle me répond que mon frère l’a quittée l’avion violent destination new york avec le groupe d’hippies dont il fait partie à la rencontre de saint-exupéry il n’a même pas dit bye ça prend une histoire comme celle-là pour faire pleurer catherine quelque chose de grave et toi qui se fait rare depuis deux jours que tu n’es pas là je fume une cigarette -

catherine ne se gêne pas pour entrer dans ma chambre le bordel de mes solitudes nombreuses je lui dit qu’elle peut rester le temps qu’elle veut que je fasse ce que j’ai à faire d’aller absolument rendre visite à ma vieille mère dont je crois que c’est l’anniversaire aujourd’hui enfin ce jour-là je dois absolument lui acheter un cadeau et je te cherche comme tu n’es pas là je fume une cigarette -

soir d'automne jusqu’à l’épicerie dehors les familles s'enferment à tour de rôle dans des maisons de pauvre brique laide sous des toits fragiles peints et repeints vêtus et revêtus de toits fragiles j'espère un ouragan pour que les familles soient déshabillées par la tempête humiliées dénudées jusqu'au dernier poil de pubis mal rasé les familles bricolent dans les fenêtres et quelle magouille préparent-elles encore elles ne sortent jamais sauf pour vider leurs citrouilles recoudre la chemise des épouvantails d’halloween clouer à leurs piquets les sorcières qui menacent de partir au vent et ah que je ris comme j'aurais aimé que tu sois là les familles qui attendent l'affreuse halloween il y aura des bonbons pour tout le monde les enfants se déguiseront en adultes et les adultes retombés en enfance faire semblant de ne pas avoir peur des enfants et prétendre aimer les horribles costumes d'enfants soir d'automne mais il faut que je cesse de parler des saisons les vieux écrivains morts les ont racontées déjà avec style bien avant moi avec éloquence et ah la ferveur des vieux écrivains je n'irai pas tenter de me mesurer à la grande littérature des morts je ne remarque pas les gros sacs de friandises à l'épicerie j'achète une plante verte pour l’anniversaire de ma mère c’est assez pour que je sorte de l'épicerie et que je te cherche dans les alentours mais tu n'y es pas je fume une cigarette -

c'est l'automne je ne te parle pas de l'automne et des saisons pour t'enchanter je t'en parle parce que je te parle de ce qui est vrai dans l'autobus il y a cette fille qui ressemble au toi d’autrefois alors que nous étions nous dans l'autobus je fais comme si je ne me souvenais pas d'elle je fais comme si tout ça allait mener à la destination du village de ma mère je ne te parlerai pas de l'odeur d'hiver qu'il y a j'aurais aimé que tu sois là à ma sortie de l’autobus tu n’es pas là je fume une cigarette -

un peu de neige sur les trottoirs c’est l’hiver ma mémoire flanche j'ai peine à retrouver la maison de brique laide de ma mère les rues mettent l'effort qu'il faut et moi aussi j’entre dans la maison de mes parents mais mon père n'y est pas je réalise que je me suis trompé de date ce n’est pas l’anniversaire de ma mère et je pense « si mon frère avait été là j'aurais pu lui demander la vraie date » l'anniversaire de ma mère n’a rien à voir avec l’hiver c’est toujours au printemps qu'on fête la vieille merde tant pis je suis déjà à l'intérieur et tu n'es pas là non plus je fume une cigarette -

je n'ai pas envie de parler il n'y a personne dans la cuisine personne au salon mais dans ma chambre là où moi-même je dormais au temps d'avant que je quitte la famille je me rappelle encore ma mère au temps où elle me réveillait me bordait en pleurant alors que je dormais déjà elle murmurait des mots contre mon père disait qu'il était méchant qu'il lui faisait de la peine c'était ma berceuse jusqu'à ce que je me rendorme dans les pleurs de ma mère saoule et là je ne rêve pas ma mère est couchée dans mon lit d’autrefois avec un autre homme que mon père l'adultère qui suit par malheur ses cheveux d'un blond de lumière la chevelure de ma mère tout à fait désorganisée la tête hirsute qui m'est familière pour le jour où elle avait pris de la poudre blanche par le nez ses cheveux tout à fait morts d'un brun maussade mais d'un rouge écarlate enfin d'un blanc de cendre dans les bars mère qui change souvent et ne porte pas de foulard blanc ce soir-là elle souhaite que je sorte de la chambre au plus vite « sors de la chambre au plus vite je t’en prie n’essaie pas de comprendre » dit-elle et je lui jette une plante verte à la figure il faut me rappeler les colères de papa « j'aurais dû t'offrir une rose tu ne mérites pas de vivre autant » que je lui dis et voilà ce qu'est un dialogue d'adulte bien souvent j’ai si peur que je veux faire taire l'adulte en moi à tout jamais les dialogues d'adultes polluent la vie du village jusqu’à montréal polluent les esprits les âmes je ne pouvais pas savoir que tu préférerais la beauté à la longévité je sors de la maison en colère tu n’es pas là je fume une cigarette -

à mon retour l’appartement catherine fouille dans mes affaires les textes que j’avais écrits jusqu’alors me dit que « tu as du talent écrivain que les planètes attendaient tu me fais penser à ton frère » sans rapport je lui arrache tout ça des mains à la remarque qu’une différence existe et c’est que mon frère vend ce qu’il écrit tandis que moi je pense ce que j’écris si tu n’es pas là je fume une cigarette –

encore quelques regards pour lui demander « est-ce que mon frère t’a appelé de new york sur ton cellulaire on sait jamais » catherine pleure à la ponctuation de ma question mais « pourquoi tu pleures » elle me dit que mon frère avait l’habitude de lui écrire mais qu’il ne le fait plus depuis qu’elle est enceinte tout ça c'est la faute de son groupe de lecteurs débiles hippies nouvelle génération zen de saint-exupéry en effet je ne comprends pas comment en arriver là jusqu’à l’écrivain qui en lit d’autres mais je lui dis que « je vais t’écrire » pour elle j’écrirai les histoires de je veux l'embrasser elle me repousserait tu m’en voudrais d’accord pour catherine je mêlerais les astres à mon horrible destin toujours est-il que la passion entre toi et moi s’estompe et voilà que l'enfant pour la première fois me répond d'entre mes lèvres « ma mère est pleine de microbes » et toi tu n’es pas là je fume une cigarette -

je m’assois les doigts pleins de microbes à écrire quelque chose qui serait le tissu du quelque chose à voir avec tout ce qui se passe et je sacre que tu n’es pas là je fume une cigarette -

catherine se met en colère parce que je fume et qu’elle est enceinte et que la fumée c’est mauvais pour son bébé mais « je ne te force pas à rester tu peux t’en retourner dans ton appartement vide avec le fantôme de mon frère moi je suis très bien tout seul à écrire et à fumer pour rachel qui n’est pas là » elle pleure un autre coup et ça y est « tu es pareil comme ton frère sans cœur » et je lui réponds que son foutu bébé ne sortira jamais même si ça fait huit mois qu’elle le porte ça fait lourd elle s’inquiète et c’est ça qui m’inquiète des fois je m’inquiète pour son enfant il est trop bien là-dedans mais pour voir l’enfant que nous aurions tu n’es pas là je fume une cigarette -

et c'est drôle comme au moment où je réalise que ma carcasse d'adulte sage disparaît sous les incendies de mes cigarettes elle me dit de rester « je t’en prie ne me laisse pas seule avec mon enfant j’ai peur aide-moi s'il te plaît » et s’il faut que je fasse l’accouchement de la blonde de mon frère cette nuit mon enfant sortira avec les os de ma pourriture de sagesse avortée et la nuit sera vite passée pour l’absence de toi au matin cheveux foncés de catherine -
cette fille est encore amoureuse de lui -