30 septembre 2011

Les savants de la communication



L’intelligence ne m’intéresse plus. Le raisonnement est devenu pour moi une chose indigne de toute considération : à chacun sa raison, à chacun ses neurones, je me dis, et je pense que les trajets cérébraux que la raison emprunte ne provoqueront jamais l’illumination que l’on espère générer par une phrase, un mot, une bêtise.



La bêtise de l’un l’emportera toujours sur l’intelligence de l’autre, et vice-versa. Il n’y a pas de compromis possible. Les mots n’y peuvent rien, les arguments non plus. Jamais un humain n’acceptera d’adhérer au fonctionnement du cerveau d’un autre. Puisque le cerveau est ce qui nous définit en tant qu’être vivant, adhérer à la pensée d’un autre, c’est aller à l'encontre de notre survie.



Ni l’idiot ni le savant ne prendront le risque de mettre leur cerveau entre les mains de qui que ce soit. Dès lors que nous entrons en communication, il y a cette hiérarchie qui s’invente, plaçant l’émetteur au rang du savant et le récepteur au rang de l’idiot. Les deux s’échangent, se battent afin de renverser les pôles, mais au bout du compte, l’un et l’autre demeureront toujours, dans leurs têtes respectives, savants impermutables.



Aucun être sur terre ne se qualifiera jamais d’idiot. Et c’est bien le problème, je pense, et c’est bien pourquoi jamais nous ne pourrons communiquer ensemble. Nous sommes tous des savants à la recherche d’idiots à qui parler. C’est un monde où les mots sont incapables de se reproduire par la parole.



Parfois, oui, nous pensons avoir trouvé l’idiot dont nous avions besoin. Il n’a pas d’études, pas d’idées, pas d’ambitions. Il est le sujet parfait, pur et pauvre, à qui nous pourrons parler avec la satisfaction de croire que nous sommes en mesure de tout lui apprendre. Nous le traiterons d’idiot, de temps à autres, en chuchotant, tout en le gardant de l’humiliation du monde qui sévira un jour ou l’autre, nous le savons, sur ses épaules.



Nous l’aiderons à être devenir mieux qu’idiot. Nous transformerons son cerveau, puisqu’il nous en laisse l’accès, afin qu’il puisse devenir aussi savant que nous le sommes. Nous entrerons littéralement dans son cerveau pour corriger ce qui ne va pas. Tout en l’améliorant vers le meilleur, nous prendrons conscience au passage des liens logiques qui se créent d’une façon toute spéciale chez lui.



Nous lui poserons des questions, auxquelles il pourra répondre, et puis nous dirons des mots qu’il ne comprendra pas. Son incompréhension nous déconcertera, évidemment. Nous le battrons avec des mots ou des armes, qui sait, nous le tuerons peut-être, et une fois qu’il sera mort, nous continuerons à marcher, à la recherche de l’idiot idéal qui ne sera pas apte à comprendre le fonctionnement de notre superbe cerveau mais qui saura y répondre avec de vraies réponses.



C'est ça, l'intelligence.

Amours alcooliques

Quand elles ont bu un verre de trop, les femmes téléphonent souvent aux hommes avec leur cellulaire. Elles leur laissent des messages auxquels les hommes ne répondent pas parce qu’ils sont occupés à conduire leur voiture même s’ils ont bu un verre de trop.



Nous vivons dangereusement.



Quand elles n’ont pas bu, les femmes conduisent parfois. Quand ils n’ont pas bu, les hommes conduisent en parlant au cellulaire.



Nous vivons dangereusement.



Quand les femmes et les hommes se rencontrent, ils prennent un verre de trop ensemble. Ils conduisent la voiture ensemble, tout en parlant ensemble. Les hommes disent que les femmes devraient parler un peu moins souvent. Les femmes disent que les hommes devraient conduire un peu moins souvent.



Ça pourrait devenir dangereux.



Heureusement, ils rencontrent très souvent un ami qui ne boit pas et qui sait conduire. Cet ami sait conduire à la place de l’homme, et sait aussi parler au nom de la femme. L’homme n’écoute plus la femme. Il écoute son ami. La femme n’entre plus dans la voiture de l’homme. Elle se laisse conduire par l’ami.



Ça s’en vient dangereux.



Un jour, l’ami couche avec la femme. L’homme décide de ne plus parler à l’ami. La femme, elle, décide d’avoir des enfants avec l’ami. Elle n’arrête pas de boire pour autant. Son ami lui dit d’arrêter. L’homme, lui, se demande si ses amies n’accepteraient pas de coucher avec lui si elles buvaient plus souvent.



Les enfants de la femme naissent. L’ami leur apprend à marcher. La femme boit pour oublier que le père de ses enfants aimerait qu’elle cesse de boire. L’homme, lui, boit pour oublier qu’il n’a pas d’amis avec qui boire.



C’est dangereux.



Quand il voit sa femme ramper sur le plancher, l’ami se demande si elle sait encore marcher. Les enfants, eux, marchent souvent sans savoir où aller. La femme demande à l’ami de la laisser ramper vers où elle veut. L’homme, lui, à plat ventre sur son plancher, prie que les lèvres de la femme rampent jusqu’à lui.



Ça pourrait être mieux.



La femme embrasse ses enfants. L’homme n’ose pas embrasser les enfants qui ne sont pas les siens. La femme aimerait avoir d’autres enfants. L’homme aimerait embrasser des enfants qui sont les siens.



C’est déjà mieux.



La femme appelle l’homme. L’homme prend sa voiture. Les enfants marchent avec leur père sur le trottoir. L’ami ne sait plus où aller. Il aurait envie de boire lui aussi, jusqu’à ramper lui aussi, mais il s’efforce de rester droit vis-à-vis de ses enfants.



L’homme prend la femme. L’ami se suicide. La femme achète un bouquet de fleurs pour cet ami avec qui elle a eu des enfants. L’homme, lui, garde son argent pour les enfants qu’il aura peut-être un jour.



L’homme prend sa voiture même s’il a un peu trop bu. La femme lui parle même si elle a un peu trop bu. La femme pleure l’ami. L’homme pleure l’amie qu’il n’a jamais eu. La femme se jure que plus jamais elle n’aura d’ami. L’homme pareil, se jure que pas plus qu’aujourd’hui il n’aura d’amie.



Enfin, les deux se marient en dehors des amis, en dehors des autres, et je pense que c'est là tout ce qu'ils pouvaient espérer de mieux.

Clous démocratiques

Je suis profondément con. Ce que je n’écris pas ne prive personne de rien. Je suis profondément inutile à votre destin beau et grave que vous avez dessiné de la façon que vous l’avez imaginé. Je n’irai pas mettre mon coup de crayon dans ce fouillis, gâcher le désordre que vous tentez de construire. De toute façon, sur vos chantiers, mon coup de marteau importe peu, que je le donne sur tel ou tel clou, il sera oublié aussitôt que le clou pour lequel vous avez voté aura parlé à votre place et justifié qu'il est exactement celui-là sur lequel j'aurais aimé frapper avec mon marteau que j'aurais acheté si j’avais eu les moyens de m’en payer un.



Un marteau. Je n’en ai pas. Personne ne donne de marteau à personne. C’est croche que les clous continuent à diriger alors que personne n'a les moyens de se payer un marteau pour frapper sur eux. Ils sont beaucoup trop hauts, ailleurs, dans des tours éclairées avec beaucoup d’argent que moi je n’en ai même pas assez pour prendre l'autobus jusqu'à chez Rona.



D’abord si je pouvais me payer un marteau chez Rona, je le ferais avec mon argent de poche, délaissant à la caisse une partie de mon pantalon dans les poches du clou que j’aurais aimé lui clouer la face. Je me retrouverais sans culotte, tout nu, marteau dans les mains, ne sachant même pas si un jour j’aurais l’occasion de frapper la tête du clou pour lequel vous avez voté.



Je ne suis pas con. Je suis profondément con. Ceux qui n’ont pas d’argent, c’est ce qu’ils font. Ils font les cons dans les rues. Et avec raison. Les cons sur la rue, même s’ils se transforment sous l’effet parfois de drogues, parfois d'autres choses, transforment à tout le moins mieux la société que ceux intelligents qui, avec leurs mots auxquels on répond qu'ils ne sont ni clou ni marteau, n'arriveront jamais à transformer.

Sur l'imagination

Mon imagination ne fait pas d’histoires. Elle crée des possibilités. Il y a une différence. Si j’avais le choix de me marier avec quelque chose, ce serait avec mon imagination. Je lui ferais l’amour comme à des milliers de monstres, après quoi elle accoucherait de milliers de romans à qui je dirais de sortir de chez moi : mes chers petits romans, je vous le dirais comme ça, que je n’attendrai pas que vous sachiez marcher pour vous mettre sous la pluie, pour voir si dehors vos pages mouillées savent encore trouver les mots pour dire à votre maman que vous l’aimiez.



Je sais qu'évidemment ma dame imagination ne me laisserait pas vous mettre à la porte comme ça. Chaque fois que j’écris, elle intervient sur moi pour ne me laisser imaginer que ce qui s’imagine. Elle joue avec mes mots, ma boue et mes ordures, puis elle nettoie la crasse entre mes doigts comme si elle m’aimait, comme si elle avait le plan intime de me rendre meilleur.



Je le dis quand même : je ne veux pas de roman. Un roman est un film où il n’y a que des sous-titres, un truc auquel il manque un autre truc. Je n’en veux pas, d’enfants. Je ne veux pas écrire que je ne veux pas d’enfants, je veux écrire que je ne veux pas écrire de roman. Voilà.

New living

I’ve got a new living. Can’t explain it itself it’s, like it’s like a big mushroom carrot going down into my rabbit’s troat’n’hole, confusion in neck and deep under my new feet feeling like a new born animal, new between the ungrown teeth i’ve got when i’m saying i’m, ma’am i’m i, i’m like i can’t explain it myself why am i on a new living, coarse but good, butt but boot, a girl on my back booting my butt, i’m asking why christ did you throw me on this unfair earth without any boot so i ain’t got nothing to hit against that hideous girl named i don’t know the less she sounds like the bell clocking for i should return as the humain being i used to be, escaping this rabbit body i had for i’m a mushroom or a carrot, i’m telling you, if i’m carrot, i should eat myself right away; that girl no won’t eat me anyway so at least, if i eat myself, i can die thinking somebody have loved my new rabbit living, and if i’m mushroom, i’ma go give myself to that girl for she eats me in a vomit repulsion so i can eat back what she throws off on me while i’m beginning to understand what exactly love is.



Telling you. I'd be on a new living if i refused to eat what she gives me t'eat. I ain't no rabbit. Surely no carrot. No teeth. No nothing at all. Just a someting a girl with big boots thinks i am whenever she eats a carrot or a mushroom in front of me.

Billy

J’ai encore Bill un peu de pertes de mémoire, encore un peu Bill de laideur, tu es un peu encore mon meilleur ami d’enfance. J’ai encore un peu d’enfance dans l’âme je me demande, c’est qui le hochet, c’est qui l’objet de plastique que je n’arrive pas à mordre parce que je n’ai pas de dents.



Je t’ai perdu comme mes dents, dans une rue qu’on a attaché ma gueule derrière un autobus qu’on a roulé dedans l’école et quelques morts que je m’en sors vivant mais je ne suis plus sûr de si je suis vivant ou mort. Bill. Pas sûr de rien. Il y a eu l’accident de ton voyage loin de moi sur lequel tu ne m’es jamais revenu pour me demander comment ça va. Ceux qui sont restés n’ont jamais été mes amis. Ils me demandent si je sais écrire. Je leur réponds non, je ne fais que pas faire de fautes mais je me souviens trop bien de la faute que j’ai commise la fois que je ne t’ai pas mordu quand tu es parti.

- L’avion est à trois heures et quart.



Le temps est laid inimitable. Je t’ai perdu comme les secondes. Je deviens saoul et je t’aime parce que je deviens saoul. Je demande d’autres bières pour t’aimer plus et il y a la limite qui m’appelle je sais. Un jour je t’aimerai jusqu’à vomir dans une toilette et je scanderai encore ton nom dans le creux d’une toilette blanche devenue rougi parce que j’ai mangi du spaghetti et tout ce qui rime avec.



Billy.



Tu es mon ami. L’enfance est là. Reviens-moi enfance de hochet plastique tes dents sur les miennes on s’embrassait comme pour savoir ce que ça fait d’être embrassé et tu me disais :

- Ne dis jamais qu’on s’est embrassés.



Billy mon ami je l’ai dit, que je pense à toi et que tu ne voulais pas que je le dise. Tu t’es sauvé. T’es aux hommes ou aux femmes, ou à l’enfance, à moi, si t’étais à moi tu serais là à jouer à ce qu’on jouait des bonhommes de neige qui se battaient après quoi ils ne s’embrassaient pas.



Billy. On s’embrassait pas. Je le dis qu’on ne s’embrassait pas. Reviens-moi.

Poursuites fictives

Je suis encore sorti de chez moi aujourd’hui. Je m’excuse de l’avoir fait. Je ne sais pas à qui je dois m’excuser, mais je m’excuse quand même. C’est la deuxième fois ce mois-ci que je ne sais pas pourquoi je m’obstine à sortir. Il n’y a pourtant rien à voir dehors sinon les autobus, des humains qui attendent l’autobus et des abris-bus qui attendent que des pigeons leur défèquent sur les toits.



Chaque fois que je sors, c’est la même chose : le bruit des foules me prend à la gorge et je suis, parmi tous les humains que je croise, le seul à se révolter contre le bruit que ça cause quand leurs jambes avancent trop vite et que j’aimerais les amputer afin qu’elles ralentissent à une vitesse synchronisée sur la mienne.



Aujourd’hui, j’ai pris le transport en commun. Je me suis commis dans le centre-ville pour rencontrer Louis Gerog. Il est éditeur je pense, qu’il voulait me rencontrer pour publier un texte que j’avais écrit il y a de ça longtemps, dans mon enfance, les luttes maternels qui me remontent constamment et que je pourrais faire de l’argent si j’imprimais tout ce dont je me souviens quand je pense à ce que j’ai vécu, moi, moi qui n’ai rien vécu vraiment.



Je marchais dans le centre-ville les poings plus fermés qu’une serrure de banquier. Le bruit des gorges qui se saluaient à la sortie des édifices m’ont coupé le souffle. J’ai failli mourir. Je le dis que je repense à ma mère, à mon père, qui eux n’ont pas failli mourir. Louis Gerog m’a dit de respirer :

- Nous n’allons pas mourir, il a dit. Nous allons discuter du texte que tu as écrit. Nous n’allons pas discuter de toutes les feuilles des arbres qui défilent plus vite que les pieds de ceux intelligents qui ont quelque part où aller dans des autobus sur la rue.



Les autobus ne l’intéressaient pas. Il m’a remis un texte sur du papier très blanc, avec des lettres dessus, imprimées à l’ordinateur. J’ai lu. J’ai dit c’est bon mais est-ce que je peux retourner chez moi maintenant. Il a dit non :

- Le texte que tu viens de lire n’est pas tout à fait bon.

- Alors dites-le à l’auteur, j’ai dit, qu’il en écrive un meilleur.

- C’est toi, l’auteur.

- Alors j’en écrirai un autre. Un jour. J’en écrirai d’autres. Ce n’est pas un problème. Maintenant il faut vraiment que je me sauve.

- J’aimerais que tu changes la fin de ton texte, et que tu corriges les quelques erreurs de syntaxe, et que tu ajoutes une histoire, un suspens, un peu d’amour, un tout petit peu...



J’ai poussé les chaises. J’ai couru dans les rues du centre-ville. C’était pareil que de courir sur les ravages d’une bombe atomique. Je n’étais ni Allemand ni Américain et tout le monde mourait mais vivait. C’était incompréhensible que je courais sans être poursuivi mais que je me sauvais de ceux qui me poursuivaient.



Louis Gerog ne m’a pas poursuivi. Il aurait pu me poursuivre. Il aurait pu le faire. Je ne saurais pas vous dire pourquoi il l’aurait fait, mais s’il l’avait fait, j’aurais simplement dit qu’il était comme ça. Louis Gerog. Un homme qui poursuit les gens pour les tuer. Ça existe. Mais il ne m’a pas tué. S’il l’avait fait, je ne serais pas en train d’écrire qu’il aurait pu le faire. Je serais mort et je n’écrirais rien du tout. Je flotterais dans l’air, fantôme et néant à travers les autobus.



Je suis rentré chez moi. Je me suis excusé d’être sorti. Je me suis juré que plus jamais je ne ressortirais. Louis Gerog m’attend peut-être encore au centre-ville. Il garde peut-être espoir que je corrige mon texte, que j’y ajoute une histoire, avec du suspens et des trains de banlieue. Louis Gerog est peut-être mort maintenant, aussi, comme ça arrive souvent même dans les meilleures familles.



Les mots saccadent mon stylo comme les poignets de maman quand elle était malade. Je ne vois rien à corriger. Je ne vois pas d’histoires à ajouter. Même si j’en ajoutais une, qu’est-ce que vous en auriez à foutre, que Louis Gerog se soit suicidé, ou qu’il ait demandé à sa soeur de le tuer, et qu’elle ait accepté de le faire; vous en auriez quoi à foutre qu’elle le tue par amour, et qu’elle ne dise pas un mot au moment où le couteau fait ce qu’il a à faire?

- C’est ridicule, vous diriez. Pourquoi aurait-elle accepté de tuer son frère? Quelles étaient ses motivations?



Aucune. Elle était comme ça. Lucia Gerog. Il n'y a rien à justifier. Ne jouez pas aux cons avec moi. Ne faites pas semblant de croire aux histoires que j’invente. Vous le savez que c’est moi l’auteur. Vous le savez que tout n’est que fiction, qu’aucun personnage n’a besoin de motivation pour accomplir une saloperie, que tous font ce qu’ils ont à faire parce que j’ai voulu qu’ils le fassent et si ça vous emmerde, vous n’avez qu’à cesser de lire. Sauvez-vous. Vite. Je ne vous poursuivrai pas. Et je n’en ferai pas d’histoires.

Le balai à boeuf

Je pense que je deviens fou que je ris pour rien et m’enferme dans les toilettes publiques parfois quand HAHA ça ne va pas vous avez vu, j’ai ri pour rien encore, comme un tique nerveux, il y en a certains qui frottent leurs mains dans leurs culottes, d’autres qui foutent leurs doigts dans leur nombril moi je ris, HAHA ça me prend même quand ce n’est pas drôle, quand c’est triste que j’ai perdu Jouvence la petite femme de ma vie partie s’en aller quitter déguerpir trouver (je peux vous en dire des milliers d’étoiles en forme de verbes comme celles-là filantes que je trouve parfois dans mon jardin tout juste tout près des tomates que j’arrose une fois semaine mais quatorze fois par mois, allez savoir comment je fais tout ça avec un seul arrosoir) ailleurs des histoires moins drôles que la mienne que pourtant je m’efforçais de rire pour lui faire croire que c’était drôle quand elle saignait du coin de la lèvre dans le coin de la chambre que je l’avais percutée avec un balai à boeuf HAHA vous vous demandez, vlan, ce qu’est un balai à boeuf eh bien je ne vous le direz pas, parce que je suis comme ça, vlan, mes cachotteries sont mes mystères, et mes mystères me rendent drôle incroyable perruque sur la tête et langue sortie comme ça, ALLLLAAAAH, je lèche souvent le plafond pour rire encore plus fort, je le lèche jusqu’au ciel et c’est peut-être, je pense, la raison justement pour laquelle Jouvence m’a quitté oui c’est vrai elle m’a dit une fois qu’elle me trouvait curieux sur un tapis marbré de motifs genre âne de scander le plafond jusqu’au ciel dans l’espoir que ce dernier m’eusse donné la force de parvenir à mes fins extrêmes, je veux dire, frapper ma jolie femme avec un balai à boeuf HAHA et la première à s’être demandé ce qu’est un balai à boeuf, ce n’est pas vous (non vous n’avez rien d’original dans la pensée, tout ce que vous avez réfléchi, quelqu’un d’autre aurait pu y réfléchir à votre place, tout ce qu’il faut, c’est naître au bon moment, au bon endroit, et l’évolution étant ce qu’elle est, oui il arrive que certains humains inventent certains objets qui auparavant n’existaient pas), c’est Jouvence, la dulcinée splendide qui m’a demandé à quoi ressemblait un balai à boeuf et la seule chose que j’ai osé lui montrer, c’est ma main avec laquelle je lui ai tapé le visage en lui disant : oui, le balai à boeuf fonctionne aussi avec les vaches HAHA et j’ai ri, j’ai ri et je n’ai jamais cessé depuis.

Les fourchettes de Naomia

Naomia est belle comme quinze pieds nus, quinze nez blancs de neige froide quand elle respire sous ses yeux ce qu’elle voit. Elle respire moi, et je la regarde moi aussi.



Elle dit qu’elle aimerait devenir cuisinière dans un restaurant que je ne connais pas mais que je m’en fous. Je ne crois pas qu’elle ait de véritable talent en cuisine. Je me demande si elle saurait faire griller une tranche de pain dans un grille-pain qui n’est pas branché. Je ne crois pas que ses mains soient faites pour brancher un grille-pain. Elle a des mains de serpent. Je veux dire qu’elle n’en a pas.



ELLE N’A PAS DE MAINS.



Elle n’a pas de bras non plus. Elle les a perdus à la naissance : « À la naissance, on peut perdre un nombril, on peut perdre une mère, un père, mais des bras hahaha allez savoir, la naissance est quelque chose d'incontrôlable qui nous suit toute notre vie. »



C’est avec sa bouche qu’elle noue son tablier derrière son dos. Vous pouvez la voir pliée en deux comme ça comme elle est belle n’est-ce pas. Elle serait deux fois plus belle dans un cirque je trouve; un cirque que je n'ai jamais trouvé mais où elle aurait pu faire toutes les acrobaties dont elle est capable. Je pense. Je pense que c'est dans la cuisine qu'elle est idiote. Elle refait chaque soir la même soupe que la veille : un bouillon de poulet acheté à l’épicerie dans lequel elle ajoute des nouilles.



Elle prend le sac de nouilles entre ses dents et le verse dans le chaudron. Elle dit qu’elle a toutes les recettes du monde dans un livre, caché quelque part, dans une armoire très haute qu’elle ne peut atteindre. Je suis là, pourtant, moi, et j’ai des bras. Je pourrais l’aider à transporter un tabouret afin qu’elle y monte jusqu’à l’armoire. Mais non, elle ne veut pas. Évidemment, elle préfère danser sur les chansons qu’elle chante :

- La colombe est belle, le sang sur les ailes, je suis belle lalala, et pas de plumes sur les bras, les épaules et cetera, ya ya ya.





Elle lève la jambe. Moi, c’est ma moustache qui lève. Je pense à mes poils sur ses jambes :

- Chérie, tu m'écoutes? Je te parle de jambes poilues. Et ça me dégoûte et ça m’attire, comme si je ne savais plus ce que je voulais, qui je veux et qui je suis, et c’est ça le suprême sentiment de l’amour.

- Le sentiment suprême de l’amour! elle crie mes mots en les mélangeant et ça la fait rire de tourner son pied dans les airs, et de l’autre pied, de l’autre pied que voulez-vous qu’elle fasse. Que voulez-vous que je fasse? elle vous demande. Je tiens mon équilibre, mes chéries!



Elle ne me parle pas. Là. Elle vous parle à vous. Elle a de l’affection pour les objets mais pas pour moi. Vous n’êtes que des fourchettes, je sais. Je sais que vous la désirez vous aussi. Vous aimeriez piquer dans sa chair tendre et goûter sa respiration quand elle danse. Je me demande franchement comment tout ça va finir. Je pense que vous allez finir dans sa bouche à elle et moi, seul avec ma moustache aux bouts des doigts, je ne mangerai pas. Je ne mange jamais. Je préfère la regarder danser sur la céramique que j’ai installée il y a deux ans de ça quand nous avons emménagés ensemble et elle s’en fout.



VOICI L’HISTOIRE D'ELLE AVAIT ACCEPTÉ D'EMMÉNAGER AVEC MOI À CONDITION QUE JE FASSE QUELQUES RÉNOVATIONS DANS L'APPARTEMENT :



J’ai fait les rénovations qu’elle a voulues. Tout se déroulait comme prévu, jusqu’au jour où vous êtes arrivées. Sales fourchettes. Je ne sais pas pourquoi la mère de Naomia a décidé de vous porter ici comme un cadeau. Si je n’avais pas jeté mes vieilles fourchettes à la poubelle, laissez-moi vous dire que vous ne seriez plus là. Mes fourchettes à moi auraient su vous tordre les dents jusqu’au sang. Elles vous auraient fait la peau. LA PEAU QUE VOUS N’AVEZ PAS HAHA.

- Veux-tu une ou deux fourchettes mon chéri? Naomia me parle à moi.



Chut. Elle me parle à moi. Évidemment, puisque vous êtes vous-mêmes des fourchettes (hum hum : si elle vous avait demandé si vous vouliez deux fourchettes, elle vous aurait demandé si vous vouliez deux de vous-mêmes, et ce n’est pas ce qu’elle a demandé).



Elle a dit :

- Tu ne me réponds pas?

- Si j’étais deux fois moi, j’ai dit, m’aimerais-tu deux fois plus?

- Oui. Mais aussi, je te détesterais deux fois plus.

- Alors ce qu’il faut savoir, c’est combien tu m’aimes et combien tu me détestes.

- Je t’aime comme dix.

- Dix quoi?

- Je ne sais pas. Dix fourchettes.

- Et tu me détestes comme quoi?

- Dix cuillères.

- Alors c’est égal?

- Non.

- Qu’est-ce qu’on mange ce soir?

- De la soupe.



Ce soir, vous resterez dans vos tiroirs. ON MANGE DE LA SOUPE! Je ne veux pas vous voir. Je ne veux voir qu’une chose : Naomia qui trempe ses orteils dans sa soupe. Elle les trempe puis les déguste dans sa bouche. Ce soir, je ne mangerai ma soupe que si j'arrive à la goûter elle.



Elle dit :

- Mais il faudra des couteaux pour couper le pain.

- Des couteaux? D’accord. J'ouvre le tiroir. Je prends les couteaux.

- Et des fourchettes.

- Non! J'échappe les couteaux.

- Pourquoi tu échappes les couteaux?

- Toi, pourquoi tu veux des fourchettes?

- Il faudra des fourchettes pour faire joli sur la table. Une table sans fourchette, c’est comme la jupe sans talons hauts. Il manque quelque chose.

- Je trouve ça très beau ta jupe sans talons hauts.

- Mes pieds sont laids.

- Oui, mais toi au moins tu en as. Des pieds. Moi je les ai perdus à la naissance.



HAHA LA NAISSANCE QUE C’EST HORRIBLE MAIS QUE JE VIS AVEC.



Elle a mis ses talons hauts. Elle a pris un rouleau de papier adhésif. Sur chacune de ses épaule, elle a scotché une fourchette.

- Tu pourrais t'en fabriquer, elle a dit, des pieds avec des spatules. Regarde-moi, je me suis collé des fourchettes à la place des bras. Ils ne sont pas doux mes bras, mais au moins j'en ai.

- Ils piquent, tes bras. Ils veulent me crever les yeux. Tes bras. Je ne les aime pas tes faux bras.

- Et toi des jambes tu n'en as pas.

- Je n’en veux pas.

- Alors tu ne me veux pas.

- Je veux jouer à mon jeu vidéo.



BOUM. BOUM. DANS MON JEU VIDÉO, C'EST LA BELLE FICTION. J’AI DES JAMBES YEAH!



Naomia est venue s'assoir sur moi. Ses jambes pendaient au bout de mes cuisses. De loin, l’illusion était parfaite. Vous avez vu ça? C’est comme si ses jambes étaient les miennes. Ses jambes faisaient les miennes, et mes bras faisaient les siens. Nous ne faisions qu’un. Nous n’avions plus besoin de fourchettes.



NOUS N’AVIONS PLUS BESOIN DE VOUS!



J’ai dit :

- Tu n’as plus besoin de tes fourchettes. Range-les dans les tiroirs et allons manger ta soupe.

- Mais j’adore couper le pain au couteau, et piquer le pain à la fourchette, et mettre le pain dans ma soupe, et manger mon pain à la cuillère...

- Tu n'as pas de bras pour tenir les ustensiles! Tu fais toujours tout tomber sur la céramique! La céramique que j’ai faite il y a de ça un mois! Un an! Deux ans!

- J’adore l'acier des ustensiles sur la douceur de la nappe...

- Tu renverses toujours ta soupe sur la nappe! Tu ne sais pas manger!

- Alors je me débrouillerai pour manger toute seule! Et une fois que j'aurai mangé, j'irai dormir dans le lit, et tu te débrouilleras tout seul pour monter l'escalier avec les jambes que tu n'as pas!



Je me demande franchement comment tout ça va finir. En fait, je ne me le demande plus. C’est toujours la même histoire, je n’invente rien, vous irez dans sa bouche à elle et moi je ne mangerai pas. Je ne mange jamais. Je regarderai la céramique que j’ai installée il y a je ne sais pas combien de temps de ça et elle s'en foutra. Elle mangera toute seule. Elle dansera pour me rappeler que je n'ai pas de jambes et moi je jouerai à mon jeu vidéo pour lui rappeler que mes doigts font BOUM BOUM et mon coeur fera je ne sais pas quoi et mes jambes, je n’en ai pas, je les ai perdus à la naissance HAHAHAHA JE L’AI DÉJÀ DIT ALORS FOUTEZ-MOI LA PAIX!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!



LA PAIX!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!



LA PAIX!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!



et des spatules pour mes jambes si vous en avez...

Soleil rose

Le soleil joue sur vos joue rose. C’est le soleil qui est rose. Je place ici et là des virgules ambiguës et des trémas. Vous me laissez faire. Vous dites rien. Rien. Vous ne dites pas rien. Vous dites rien. Le mot rien. Vous le dites chaque fois que je vous demande ce que je devrais faire. Vous dites rien :

- Rien. Nous disons rien car si nous disions tout, il ne te resterait plus rien à dire.

- Mais plus vous dites rien, plus je dis rien. Si vous disiez tout, je dirais tout! Dites-moi tout!

- Et tu nous diras tout?

- Promis!

- Tout.



- Le soleil joue sur vos joues rose.

- Ça, tu l’as dit déjà.

- Non, je n’ai jamais dit déjà. Une fois, peut-être, il y a longtemps de ça. Mais vous l’aviez dit avant moi.

- Tu nous caches quelques chose.

- Je ne cache rien.

- Tu caches tout.

- Je ne cache pas tout.

- Alors que caches-tu?

- Rien.

- C'est pas tout.



Le soleil vous cache quelque chose, peut-être, mais moi pas. Je pourrais vous dire ce qu'est ce quelque chose, mais vous, vous dites parfois quelque chose, mais vous ne dites jamais parfois. Alors comment voulez-vous que je croie que vous dites parfois quelque chose?

- Parce que nous le disons maintenant. Quelque chose.

- Maintenant n'est pas parfois. Maintenant, c'est toujours.

- Nous disons toujours quelque chose.

- Non. Vous mentez. Vous ne dites pas tout.

- Nous disons toujours quelque tout chose.

- Non. Ça ne se dit pas. Vous dites des choses qui jamais ni déjà ni même parfois ne se disent. Et ça me fait dire des choses qui ne se disent pas.



Le soleil ne vous a pas dit ce qu'il m'a dit. Il m'a dit qu'il vous détestait. Vous croyez que je vous dis là ce qu'il ne vous dira pas, mais non. Ce qu'il ne vous dira pas, je ne vous l'ai pas dit. Ce qu'il ne vous dira pas est quelque chose d'autre. Vous criez :

- Dis-nous quelque chose d'autre!

- Je ne dis rien. Je pense.

- Dis-nous ce que tu penses!

- Je pense que le soleil a déjà joué sur vos joues rose et qu'il y joue encore parfois.

- Tu ne dis rien. Tu penses.

- Je dis ce que je pense.

- Ça ne vaut rien.

- C'est vrai, ça ne vaut pas tout. Mais ça vaut plus que le rien que vous dites parfois pour me faire dire quelque chose que le soleil a peut-être déjà dit alors que vous aviez déjà tout dit.

26 septembre 2011

Le mauve

Je ne sais pas si c’est clair quand je parle, dîtes-le-moi si non, quand je dis qu’il y a du mauve. Ce n’est pas le genre de mauve bleu. C’est le genre de mauve noire. Le lilas. La lavande. Le noir qui se retrouve parfois dans le mauve après les incendies. La suie. Ça n’a rien de clair.

Je n’ai ni couleur ni pinceau pour vous expliquer. La vie ce que c’est, c’est un mot et puis un autre, parfois le même mot à la suite de le même mot, et puis ça tombe et retombe dans constamment comme un adverbe mal placé les mêmes troubles, dépendances et autres synonymes que vous savez écrire mieux que moi.

Les mots sont trop peu pour écrire. Il faudrait en inventer d’autres pour recréer l’exact moment que j’ai eu ce jour-là où le ciel était mauve. Ce n’était pas un jour. C’était nulle part. C’était ma tête où tout était mauve, comme toutes ces choses qui ne sont pas mauves. Rien n’était mauve, mais tout l’était, parce que je n’avais pas d’autres mots que celui-là mauve qui me traversait la tête. Il me criait de lui inventer un frère mais je n’en trouvais pas.
- Bleu? que je lui ai proposé.
- Bleu n’est pas mon frère.

C’était un ciel. Ce n’était pas un ciel. C’était un nuage sur un nuage, sur un nuage, sur un nuage, et le soleil très brillant mais pas brillant du tout parce que derrière un nuage sous un nuage nous un nuage, sous un nuage. Il n’y avait pas de soleil mais il y en avait un. Et puis il y en avait autant qu’il y avait d’étoiles dans l’univers, mais il n’y avait pas d’étoiles.

J’en ai marre de parler du ciel. J’en ai marre du mauve inexplicable. J’aimerais parler d’autre chose de plus clair. Mais je ne peux pas. Du moment qu’on commence à parler d’une chose, absolument il faut finir ce qu’on a commencé, placé les adverbes comme il se faut et ne jamais ajouter de pronoms là où il ne faut pas.

Même si j’inventais un homme dans la quarantaine, même si je lui inventais une vie, une maison, des cheveux et une copine, il perdrait ses cheveux du moment que je lui mettrais une tuque sur la tête, et perdrait sa maison dès que j’y mettrais le feu, et sa copine, il la perdrait de toute façon. Tout tombe à néant. Ça ne sert à rien. Ce que je veux, c’est décrire un ciel mauve qui n’est pas mauve. C’est un ciel que je ne pourrais décrire exactement qu’à la condition de pouvoir le décrire sans mots. Le ciel était. Ne cherchez pas. Il n’était pas blanc.

De la même façon, pour que mon homme dans la quarantaine puisse garder ses cheveux, je n’ai qu’à taire la possibilité qu’il ait porté une tuque. Et pour qu’il soit âgé de l’âge que je veux (qui n’est ni quarante ni quarante et demie), je n’ai qu’à taire la quarantaine. Cet homme est. Un point c’est tout. Voilà. Il est comme je le vois. Et si je veux qu’il soit mort, je n’ai qu’à dire cet homme.

Dès que le verbe être disparaîtra, vous comprendrez que l’homme est mort.

1. Quand je dirai que le ciel était, vous comprendrez que je parle du ciel vivant.
2. Quand je dirai que le ciel, vous comprendrez de quel mauve exactement je voulais parler.

Le ciel. Le ciel. Le même mot suivit de le même mot. Dès que je dis « je tue » je tue. Inutile d’écrire. Les mots s’expliquent mieux dans le silence que dans l’explication. L’imagination est la grande reine de toutes nos pleures. Votre imagination est. La mienne l’est aussi. Les mots ne sont porteurs de rien. Tout comme l’intelligence n’est rien vis-à-vis du silence. Le silence domine absolument tout, absolument. Il est roi dans sa terre de bêtise.

Et l’intelligence, l’intelligence...

17 septembre 2011

HOT-DOG

Je ne sais plus où j’ai lu cette recette, dans un menu peut-être, ou dans le livre que je lisais l’autre midi, au restaurant, en même temps que je lisais le menu. Il y avait, en tout cas, dans ce livre ou dans ce menu, le mot hot-dog. Ça m’a paru anglais, ça m’a paru trait d’union, chaud et chien, enfin, j’ai demandé à la serveuse un dictionnaire anglais-français afin de ne pas me méprendre quant à la nourriture que j’allais payer. Elle m’a apporté un dictionnaire de 1971 avec des taches de sauce de je ne sais quel type de pizza, je dirais toute garnie, si bien que je ne pourrais vous dire qui sont les auteurs de ce dictionnaire.



J’ai mis beaucoup de temps à chercher le mot hot-dog dans ce dictionnaire. J’ai d’abord cherché dans la section des noms composés, mais cette section n’existait pas dans ce foutu dictionnaire, alors je me suis rabattu sur la lettre G, avant d’aboutir sur le H (qui fort heureusement existait en 1971) où le mot hot-dog se trouvait, oui, trait d’union suivi d’une traduction :

- Chien chaud et pain auquel les gens normaux ajoutent du Ketchup, et ceux pas normaux de la relish, et ceux encore moins normaux du chou. (Dictionnaire plein de sauce, 1971).



À en juger par les photos qu’ils avaient mis sur la quatrième couverture, ceux qui avaient rédigé ce dictionnaire étaient de grands barbus assez spéciaux qui, probablement, mangeaient leur hot-dog avec du chou. À la fin de chaque définition, ils avaient inscrit la date entre parenthèses, comme pour dire excusez-nous, nous sommes en 1971, l’enjeu de notre société n’a pas été celui du vocabulaire mais de la drogue et de tout ce qui vient avec, le sexe et tout ce avec quoi vous pourriez jouer si vous arrêtiez de jouer avec les mots.



J’ai redonné le dictionnaire à la serveuse, et mon menu et mon livre aussi. Mon livre était un roman d’Azimov je pense, rien d’extraordinaire, tout comme son menu qui tombait dans la bêtise tout autant que le dictionnaire. Enfin, je n’ai rien voulu commander. Franchement, j’étais offusqué par la façon dont ces barbus du dictionnaire m’avaient abordé. Vous aussi, vous auriez été offusqués au point de donner à une inconnue un roman d’Azimov. Si un barbu de 1971 vous attaquait en disant que les gens de 2011 sont tous de gros dépressifs du futur. Vous seriez fous de rage, avouez.



Quoi qu’il en soit, j’avais la recette du hot-dog et je me suis dit que j’étais capable, seul, de me faire chauffer un chien dans une tranche de pain. Je n’avais pas besoin d’une serveuse aux souliers roses dont les pantalons éléphants me rappelaient trop les années que je déteste.



Je suis rentré chez moi. J’avais un chien. Ça tombe bien. Il mesurait presque exactement deux fois la taille d’un pain baguette. Il me fallait pour mon hot-dog un pain baguette deux fois plus grand, et c’est pour cette raison que je suis allé voir la boulangère au coin de ma rue. Bourbine elle s’appelle. Elle est grosse comme toutes les boulangères. Elle a un tablier vert auquel elle a ajouté quelques dentelles en forme de chameaux. Elle est spéciale comme ça. Le désert et le sable. Les chameaux et les bosses. Ça ressemble aux biscuits. Chaque fois que je la vois, je suis sûr qu’elle est du genre à mettre de la relish partout, et du chou.



J’ai demandé à Bourbine qu’elle me fasse un pain de la taille de mon chien. Elle m’a dit bonjour. Je ne lui ai pas répondu. Je voulais économiser du temps parce qu’elle met beaucoup de temps à servir ses clients. Il lui manque une jambe à ma boulangère. C’est très long quand elle marche dans la farine.



Bourbine m’a fait mon pain. Elle me l’a emballé dans des draps tachés de sang, les draps où dormait autrefois son enfant qu’elle a perdu un soir d’octobre, elle ne sait pas trop où, après qu’elle lui ait passé le couteau à pain sur le front. J’ai payé mon pain. Trente-cinq sous vingt-deux. C’était son prix à elle. Il aurait fallu que je divise un sou en plusieurs morceaux, mais je n’ai pas été capable. Je lui ai rendu trente-six sous et je lui ai dit de garder la monnaie.



Elle est comme ça. Ma boulangère.



Je suis rentré chez moi avec un pain baguette de la taille idéale pour mon chien. Ridiculominet. C’est le nom de mon chien. J’aurais aimé avoir un chat à la place, mais grand-maman était allergique aux chats. Je n’ai jamais vu grand-maman. Je n’ai jamais vu de chats non plus. J’aurais aimé les voir tous les deux, sur le fauteuil du salon, grand-maman et le miaou du chat. Mais grand-maman est morte et le miaou n’est jamais arrivé. Alors je me suis acheté un chien.



J’ai fait bouillir Ridiculominet dans une marmite que j’utilisais souvent, à une certaine époque, pour faire bouillir des homards; à une époque où j’avais de l’argent pour manger des homards avec une fille à qui je disais souvent que je faisais bouillir des homards alors que c’était faux. Je lui faisais des truites bouillies. Elle adorait que je les fasses bouillir avec la tête. Elle était comme ça. Elle grignotait les yeux avec ses petites dents de lapin.



Je n’ai jamais eu de lapin. J’avais un chien et je l’ai fait bouillir. Il est devenu tout rose. Sa gueule a figé dans la souffrance, c’était joli à voir, tous ses crocs dirigés contre l’air alors que je m’apprêtais à le manger. Avec un couteau, j’ai retiré ses dents. J’ai gratté son palais jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien de dur. J’ai pensé à des mots, que j’aurais pu chercher dans le dictionnaire, mais je n’avais pas de dictionnaire chez moi. J’ai pensé me raser le visage et écrire un dictionnaire. Mais j’avais trop faim pour penser aux mots.



J’ai coupé le pain sur la longueur. J’ai sorti mon chien de la marmite et l’ai mis dedans. J’ai ajouté du Ketchup. J’ai croqué le pain et la cuisse de mon chien. Ça a coulé un peu de sang et j’ai ajouté la relish et le chou que j’avais acheté chez l’épicier.



Mon épicier est un homme avec une cravate. Il me parle comme à quelqu’un qui achète un chou. Il ne se doute pas qu’après lui avoir parlé, je passe à l’animalerie. J’achète des chiens et je les mange chauds dans du pain.



Si j’avais à rédiger un dictionnaire, en 2011, je dirais que le hot-dog crée une dépendance. Il fait grossir, c'est vrai. Il fait acheter de la relish, du chou, mais le plus grave dans tout ça, c'est qu'il fait acheter des chiens.

Ma fourchette est une fourchette

Ma fourchette pique la viande. Elle pique mieux qu’un doigt. Quand je la compare à mon pouce, je trouve qu’elle réussit mieux que moi dans la vie. Elle a un talent que je n’ai pas. J’ai longtemps été jaloux, mais je ne le suis plus. Je préfère croquer du pain dur près du four. Du moment qu’il y a une casserole sur le feu, ma fourchette se glisse dedans. Elle aime plonger. C’est un sport qu’elle affectionne. Elle aime être sale. Si elle était une femme, elle aurait de longs ongles, noirs, usés par le temps, et elle me caresserait la nuque dans un bain de mousse.



Ma fourchette n’est pas une femme. Je me suis fait à l’idée. Ma fourchette est une fourchette. C’est triste comme ça. Je n’y peux rien. Elle n’a pas de doigts. Elle n’a pas de bouche. Elle ne mange pas de petits poissons dans les lacs. Elle ne coupe pas de bois dans des forêts. Elle ne construit pas d’églises. Elle n’écrit pas de prophétie. Hélas. C’est moi qui écrit.



C’est triste comme ça. Je n’y peux rien. Ma fourchette est une fourchette. Elle ne parle pas. Quand je lui parle, elle ne répond pas. Elle aurait aimé vivre chez un chef de grande renommée qui tous les samedis soirs prépare des oeufs, et du bacon, et de la viande très tendre. Elle l’a dit à la caissière, quand je l’ai achetée, mais à moi elle n’a jamais parlé.



Souvent, je la plie en deux. Je la fais souffrir. Je la force à me raconter ce qu’elle a vécu du temps où nous n’étions pas ensemble. Je sais. Ce serait plus simple de parler à une cuillère.



J’en connais une. Une cuillère. Pas loin d’ici. Dans un magasin. Elle coûte 1,19$. Je pense sérieusement faire des économies. Le frigo m’a dit que les cuillères aiment les animaux de compagnie. J’y pense. Je ne peux plus continuer à manger de la viande crue avec ma fourchette. Je suis malade. Gravement malade. Mon intestin se décompose en petits morceaux sur le plancher.



Si j’achetais la cuillère que je veux, je pourrais ramasser mes petits morceaux. Nous pourrions marcher, elle et moi, sur le gazon derrière la maison. Nous frotterions nos fesses ensemble. Je pourrais la séduire. Je pourrais trouver l’amour, avec elle, et manger de la viande cuite, avec une cuillère.



Il me manque encore dix sous. Ma fourchette est une fourchette. Elle ne vaut pas une fortune. Elle ne vaut pas une cuillère. Mais cinq sous, peut-être. Je pourrais la vendre à mon voisin en lui disant qu’elle en vaut dix.

Les pires heures

Je file parfois de parfaites heures où j’écris des histoires de crayons qui tombent amoureux de leurs bouchons, des histoires de briquets qui, au pôle nord, frissonnent pour d’autres briquets comme je les aimes, des histoires en voulez-vous en voilà. C’est durant ces heures-là que j’ai le plus de plaisir, dans ma vie, dans mon petit appartement, mon petit journal. C’est durant ces heures-là que mon arrogante de tête se ferme la gueule et que je peux écrire par moi-même, avec la queue que j’ai et les tripes, les boyaux, que j’ai et qu’il me faut pour inventer ce que j’aime.



Puis il y a les autres heures. Les pires sont celles où ma tête décide de se mettre de la partie. Celles où elle décide de prendre part à mon écriture. Ce soir, elle a décidé que je n’étais pas assez en forme pour écrire l’histoire d’Utérus l’unique. J’ai eu beau chercher en quoi je n’étais pas en forme, de carré ou de losange : bon d’accord, mes yeux sont à moitié fermés, c’est vrai, et puis je me suis endormi sur le clavier, un peu, pas longtemps, mais j’ai mis du café dans ma vodka et maintenant, je suis en forme d’absolument n’importe quoi, tout prêt à écrire que tout va pour le mieux.



Je pense que ma tête a peur du mot Utérus. Elle en a peur parce qu’elle sait qu’elle ne pourra jamais y entrer. Elle sait que le mot est capable de se dilater à la taille d’un nouveau-né, mais jamais à la taille d’une tête grosse comme la mienne. Je lui ai expliqué pourtant, à ma tête, que j’avais entre les mains un personnage qui aurait pu nous rendre célèbres tous les deux :

- Utérus, c’est un personnage à la recherche d’une femme nommée Uranus, et c’est dans mes mots tout logique que dans le nom d’Uranus il y a la planète et l’anus, tout comme dans Utérus il y a le mot Terre et le sexe.



Ma tête a dit :

- Non. Ton astronomie n’intéresse personne. D’abord, Utérus, c’est pas un nom. C’est une histoire qui tombe à plat. Si tu veux mon avis, tu devrais écrire un court dialogue humoristique, le genre de dialogue comme tu sais si bien le faire et aller te coucher.



- Quoi? j’ai dit quoi. Un dialogue encore? Mais j’en ai écrit un hier. C’est nul. J’en ai marre de jouer sur le quatrième trio...



- Les dialogues ne sont pas le quatrième trio de la littérature. Arrête de dire ça. Les dialogues, c’est drôle.



Ma tête n’est pas folle. Si elle dit que les dialogues ne sont pas le quatrième trio de la littérature, c’est parce que j’ai déjà dit qu’ils l’étaient et elle s’en souvient. Elle se souvient de tout. C’est une vraie chipie rabat-joie terrible que je déteste. Même si mes jambes ne marchent pas toujours droites, si je devais choisir entre me couper une jambe ou la tête, assurément que je choisirais la tête.

- Assurément que je choisirais toi! Vlan!

- Vlan? Je ne m’appelle pas Vlan.

- Boum!

- Tu sais très bien que, quand tu commences à utiliser les onomatopées, c’est l’heure d’aller se coucher...



Je m’étais dit que si j’arrivais à détruire son foutu dialogue auquel elle m’obligeait, je lui ferais ravaler ses homos de nappes tapées et tout le reste, et enfin je pourrais écrire mon histoire d’Utérus l’unique.

- Girafondéconfilastériellement! j’ai dit. Essaie donc d’entrer dans ce mot-là dans ta tête, grosse tête.

- Ce n’est pas drôle...

- Et c’est drôle quand je te frappe sur les murs? Est-ce que c’est drôle quand mes genoux cognent sur ton front, comme ça?



Et je frappais réellement ma tête là où j’ai dit, et je me battais comme je vous dis, contre moi-même, afin de me départir de cette tête, de ses conventions stupides, et j’ai si bien frappé qu’elle s’est éteinte et j’ai pu écrire mon histoire intelligente adorée, celle d’Utérus, mon homme de trente-cinq ans qui court sur les trottoirs à la recherche de la blonde fille aux cheveux blonds qui a deux mois de moins que lui et qui habite cinq mois par année sur une autre planète, et qui court, elle aussi parfois, sur les trottoirs où j’aime me promener nourrir les pigeons. Uranus. Je t’aime.

Vous ne savez pas écrire

Chers petits veaux,



Quand vous lisez mes mots, il sort de vos yeux une sorte de cordon ombilical qui lie vos pupilles à mon cerveau. Je ne parle pas d’un vrai cordon, évidemment, vous l’aurez compris puisque vous êtes de fins lecteurs : le cordon est une image fictive, couleur peau, que j’ai inventée afin de vous expliquer qu’un jour il faudra le couper. Comme à la naissance. Il faudra que vous vous détachiez de moi. Je ne peux pas continuer à écrire à votre place. Il faudra que vous le fassiez vous-mêmes. Moi, j’ai autre chose à faire. J’ai des choses à écrire qui n’ont rien à voir avec les mots que vous voulez entendre.



Plutôt que de continuer à écrire, je devrais vous apprendre à le faire. Comme ça, vous pourriez vous raconter à vous-mêmes les histoires que vous aimez lire. Je n’aurais plus besoin de chercher les mots que vous voulez entendre, pénis ou araignée, sémiotique ou anaphore. Vous seriez libres de parler à vous-mêmes de ce que vous voulez entendre, tortue ou torture, et par-dessus tout, libres de ne plus téter le lait de mon cerveau comme si c’était là une vache entre mes deux oreilles.



J’espère qu’il viendra ce jour, mes chers petits veaux, où vous apprendrez à vous nourrir vous-mêmes. Je crois que c’est possible, qu’un jour vous écriviez des histoires dans lesquelles les filles graviteront en pyjama autour d’abeilles en fleurs, et où les papas mourront autant de fois que vous le voulez, et les mamans pareil, avec le sang qu’il faut et les analogies dont vous aurez envie. Ce jour-là, vous serez autonomes. Je murmurerai à vos oreilles les mots que vous préférez, chocolat ou attentat, et c’est avec le sourire que j’écouterai le bruit de vos sabots s’éloigner de moi.



Je viendrai vous visiter, parfois, dans la grange des veaux écrivains. Je viendrai vous rappeler que je vous l’avais bien dit, qu’écrire ce n’est pas plus compliquer que de mâcher un chewing-gum. Le plus compliqué, c’est d’écrire le mot chewing-gum sans faute, mais une fois que c’est fait, le reste de la dentition s’écrit tout seul.



Je dirai le mot molaire. Vous rirez, heureux de m’entendre comme avant. Je vous inspirerai et, en moins de deux secondes, vous m’inventerez l’histoire d’un dentiste qui n’a plus de lèvres à force de se les mordre chaque fois qu’il croise une jolie cliente. Je ne lirai pas votre histoire. Les dentistes qui n’ont pas de lèvres, je n’en aurai rien à foutre. Mais je vous féliciterai quand même d’avoir fait preuve d’imagination. Je vous donnerai un peu de foin, un peu de caresses. Aussi je boucherai mes narines parce que vous puez.



Le plus puant d'entre vous viendra me voir, je sais, je ne suis pas fou, je vous pressens tous. Il dira qu’il est en manque d’inspiration, et je fais quoi maintenant? qu’il me demandera. Je répondrai :

- Débrouille-toi, sale petit veau. Il n’existe pas de recette pour combattre le manque d’inspiration. S’il en existait une, je l’aurais écrite, ou je l’écrirais, là maintenant.



Ce veau ne sera pas des plus idiots. Il aura une vraie tête de mule. Il voudra me suivre jusqu’à chez moi, certain que s’il me suivait, il trouverait chez moi dans mes papiers la recette qui le ferait écrire.





Je verrai clair dans le jeu de cette tête de mule. Je sortirai si vite de votre grange que cette mule n’aura pas le temps de me suivre. Je lui fermerai la porte au museau. À vous chers petits veaux que j’aime, je dirai au revoir. À travers la serrure de la porte, tout de même, je prendrez le soin de vous conseiller :

- Mangez bien. Écrivez bien. Soyez sages et enfermés, là où vous êtes. Et si un jour l’un de vous manquait d’inspiration, n’hésitez pas à le bouffer. Le chewing-gum c’est bon, mais ce sont les meurtres qui font les meilleures histoires.






Vraiment, je pense que si un jour j’arrivais à me débarrasser de vous lecteurs, je n’accepterais pas que l’un de vous revienne chez moi sous prétexte qu’il manque d’inspiration. Les lecteurs qui se mettent à écrire doivent se débrouiller seuls. C’est un fait. Demandez-le à votre boucher, il vous le dira :

- Les veaux doivent savoir qu’un jour ou l’autre leur cerveau galopera tout seul, et qu’à la moindre absence cérébrale, ils devront être bouffés comme leurs fesses dont on fait les escalopes.



Je n’ai rien inventé. Les gourmands ont tout inventé à ma place. Heureusement, ce n’est pas moi le veau. C’est vous. Et je peux encore retourner chez moi pour écrire toujours, et j’écrirai toujours quelque chose de plus intéressant que vous. Je le dis avec certitude, que je ne manquerai jamais d’inspiration, car chaque fois que j’en manquerai, j’écrirai que c’est vous qui en manquez, et que c’est pour ça que je continue à écrire.

Le cri de l'eau

Dans les douches, vous avez l’eau, le savon, et vous avez ces humains, en train de se laver, séparés par des cloisons. Parfois, l’un d’eux passe de l’autre côté de la cloison pour demander à son voisin de quoi il a l’air. Mais la vapeur de l’eau a créé ce nuage si épais que personne ne peut y voir personne. Vous êtes le seul à voir la tête qu’ils font quand ils échappent un savon par terre, quand ils sortent tous de leur jet d’eau, la tête gonflée de mousse, et courent le chercher. Dès que leurs mains s’en approchent, vous faites glisser le savon un peu plus loin avec votre pied. Ça vous fait rire, de les voir ramper jusqu’à ce qu’ils prennent froid. Ils retournent alors sous leur jet d’eau chaude, comme des lâches, et celui qui a perdu son savon attend qu’un voisin lui prête le sien. Mais vos humains ne prêtent rien. Quand ils auront fini de se laver, ils retourneront au dortoir avec leur savon. Ils iront hurler sous leurs draps, dans leurs cauchemars respectifs, sans se soucier de celui qu’ils ont abandonné.



Dans le dortoir, vos humains crient, se grattent, se mouchent, pleurent et transpirent une odeur intolérable. Aussi, les plus jeunes ont toujours les doigts collants, de salive ou d’autre chose, et ils répandent leur mucus partout dans les draps. Je ne parlerai pas des schizophrènes. Ce sont les pires. Ils peuvent vous arracher les doigts pendant que vous dormez. C’est justement le problème des lits superposés : vous ne savez pas quel danger se trame au-dessus de vous. Et quand vous prenez le lit du haut, vous êtes pris avec le vertige. Enfin, certains finissent par dormir, à moitié vivants, à moitié morts, avec leurs yeux qui frétillent dans le cauchemar. Leur bouche s’ouvre. Ils essaient de crier qu’ils sont en train de mourir, mais le sommeil est une peur muette. Vous ne pouvez rien pour eux. Vous regardez leurs orteils se tordre de douleur et puis c’est tout. Vous attendez qu’ils se réveillent, qu’ils s’habillent et retournent à la douche. Et c’est là que vous les attendez.



De tous les humains qui existent, il a fallu que vous tombiez sur ceux-là. Des lâches qui ne tiennent pas debout. Vos humains tremblent dans l’eau comme s’ils en avaient peur. Vous en avez même un qui prie, à genoux, pour que son corps se lave tout seul ou pour que vous lui redonniez le savon qu’il a perdu. Vous vous foutez bien de ses prières. Vous ne pensez qu’à le faire taire en lui coupant la gorge, là tout de suite. Vous pourriez le faire. Mais vous ne faites rien. Au fond, vous n’êtes peut-être qu’un lâche, vous aussi.



Vous avez cet autre humain qui, lui, essaie de se laver sans se mouiller les cheveux. Vous décidez de l’appeler Péruk. Vous vous dites que ce nom africain lui convient parfaitement, et que vous me couperiez la gorge si j’osais le nommer autrement. Vous ne tenez plus en place depuis que j’ai dit que vous étiez peut-être lâche. Vous sortez une bouteille de jus d’orange de votre sac et, maintenant, vous la versez sur les cheveux de Péruk. Le jus ricoche sur son crâne, sur le vôtre aussi, sur les murs et vous riez. Ceux qui priaient ne prient plus. Ils se roulent dans l’eau sucrée et sortent leurs langues sur celles des autres. Ils s’abreuvent à même les pieds de Péruk.



Péruk semble être le seul à qui le jeu ne plaît pas. Il secoue la tête en criant. Vous le secouez à votre tour, pour le faire taire, mais ça ne fait que le tordre dans tous les sens. Il marche sur les autres, qui eux se mettent à crier aussi. Vous avez beau verser du jus d’orange, le sucre ne calme plus personne. Vous n’avez plus le choix. Vous coupez l’eau froide. Leurs cris s’ébouillantent. Leurs cris se transforment en un sifflement qui, peu à peu, devient silence.



Vous retrouvez votre calme. Plus rien ne bouge, sauf sur les murs, les coulisses oranges du jus que vous avez versé partout. Désormais, vous n’avez plus d’humains. Il n’y a que vous. Seul et sale. Vous réglez les robinets. Vous vous déshabiller. Vous prenez un savon et vous écoutez le bruit de l’eau tiède sur votre nuque. Vous l’écoutez jusqu’à ce que le sommeil fasse glisser le savon de vos mains.



Le savon glisse par terre. Vous rampez pour le rattraper. Vous rampez jusqu’au couloir. Vous rampez jusqu’au dortoir. Vous fouillez sous les draps, partout, et vous vous faites croire, à moitié vivant, à moitié mort, que vous retrouverez ce savon. Parce que vous, vous n’êtes pas un lâche.

Papa est rené

Je versais, sur le comptoir de la cuisine, toutes les bouteilles que papa n’avait pas bues avant sa mort. Il en restait quatre. Je me suis baigné dans sa bière à lui que je faisais couler pour le plaisir d’être comme lui, maladroit et puant dans le houblon.



Dans les flaques que je créais, mes pieds glissaient avec un torchon entre les orteils. Comme papa faisait pour réparer ses dégâts. Je faisais comme lui, et plus j’étais lui, plus je riais. Je criais presque violent. Plus j’éclaboussais, plus je trouvais ça drôle de mouiller le plancher.

- C’est drôle, je criais, et si tu ne trouves pas ça drôle vas te faire foutre.



Je ne sais pas pourquoi je disais ce que je disais. J’étais tellement identique à lui que vous n’auriez jamais su faire la différence entre lui et moi, entre le mort et le vivant. Si vous aviez été là, vos yeux auraient roulé, cligné, et votre cou aurait sauté vers l’arrière chaque fois que vous auriez dit « c’est incroyable, je n’en crois pas mes yeux ».



Ce qui s’est produit par la suite, laissez-moi vous dire que c’est encore moins croyable. C’est terrible. Et ce qui est terrible, c’est que je ne m’en souvienne pas.



Il me semble avoir vu le docteur Kretschmer entrer chez moi. Tout ça n’est pas très clair. Il m’a demandé :

- Vous avez un problème de mémoire?

- Non, j’ai répondu. Je me rappelle de tout, même de la fois où nous nous sommes rencontrés sur les sentiers de Piquelette, l’année passée!

- Je ne suis jamais allé sur les sentiers de...

- Alors c’est vous qui avez un problème de mémoire. Vous devriez demander à vos collègues qu’ils vous examinent ça, han han le cerveau, c’est sérieux.



Je pense que le docteur Kretschmer m’a laissé tranquille. Il a compris que je ne veux voir personne ici. Cette maison m’appartient. Je veux n’y voir entrer personne. Je n’ai besoin de rien, sinon de cette cage où je me contrains d’écrire chaque soir.



Je m’enferme pour écrire, oui, c’est un équilibre que je m’efforce de créer, tout comme quand je bois je fais pipi : je m’enferme pour écrire, car il faut bien que je me contraigne à quelque chose, si je ne veux pas que mon trop-plein de liberté me fasse pousser je ne sais quoi, des ailes sur le dos ou quelque chose du genre de ceux qui savent voler. Moi, je ne sais pas voler. La seule fois où j’ai volé, c’était depuis le toit de la maison, et puis ce n’était pas vraiment voler. C’était seulement se faire pousser par un costaud. Mon frère, c’était lui, le costaud. Et mes jambes ont volé une seconde et puis deux avant de frapper la pelouse.

À mon atterrissage, la pelouse a soupiré qu’elle en a marre de ceux qui croient savoir voler. Et ce n’est pas que j’y ai cru, j’ai dit. C’est seulement mon costaud de frère qui a cru que je savais ce que je ne sais pas, enfin, tu sais, pelouse. Pelouse?

- Tu peux m’appeler Gazon, gros fou.

- Merci.



*



Plus je versais de bière dans la cuisine, plus ça sentait papa. J’adore cette odeur. Elle me rappelle quand il m’embrassait sur la joue dans mon lit et il avait bu. Je me berce souvent dans ce parfum-là. Le genre de parfum où l’on s’endort soûl pour oublier bien plus que pour se rappeler. D’où mon problème de mémoire, je pense, que le docteur saurait vous dire mieux que moi.



J’ai versé une autre bière sur le plancher. Elle a versé jusqu’au garde-robe où il me semble avoir vu de la poussière s’entasser dans le coin d’un vêtement. Il y a eu des poils, des cheveux de tapis, enfin, j’ai mis ma main sur la touffe en question et, quand j’ai tiré, c’est là que mon père est sorti du garde-robe tout entier. Il a dit:

- C’est pas de la poussière, petit cochon sale, ce sont mes cheveux tout entier sortis du plancher.

- Ha! j’ai crié. Tu es rené!

- Non, il a dit, tu te moques de moi. Je suis ton père.



Papa était rené. Il s’appelait Maxias mais il était né une deuxième fois, cette fois-là. Il était rené parce qu’il avait survécu à sa mort. D’outre-tombe. Il est sorti du garde-robe, pas gai du tout, je dirais même fâché, qu’il ressemblait à un fantôme, avec la robe de maman sur sa tête. Je lui ai dit qu’il ressemblait à maman tout craché et il m’a craché à la figure. Il a dit :

- Tu mériterais que je te tue.

- Bon d’accord, j’ai dit. Tue-moi. Mais d’abord enlève la robe de maman de sur ta tête parce que les policiers, quand ils enquêteront sur le meurtre de toi sur moi, ils ne sauront plus qui de toi ou de maman m’a tué.

- Je ne peux pas l’enlever, il a dit. Ça cache mes cheveux. Franchement ils ne sont pas beaux à voir.

- C’est vrai? j’ai dit. Laisse-moi voir.

- Oh c’est gluant. Depuis une semaine, j’ai des champignons qui poussent sur mon cuir chevelu, comme des légumes pleins de morve on dirait, et la tresse que je me suis fait l’année passée s’est mise à friser.



Il a fini par retirer la robe qu’il gardait sur sa tête comme le voile d’une mariée et j’ai pu le conseiller :

- Il faut tout raser. Ta tête ne respire pas. Je vais te couper la tresse et après ça ira mieux.

- Tu sais utiliser des ciseaux?

- Papa, j’ai grandi, depuis le temps...



Je l’ai fait seoir sur le tabouret près du miroir et, comme il croyait que j’allais lui couper sa tresse, je lui ai perforé la gorge. Le sang n’a pas coulé, évidemment, puisqu’il était déjà mort. Sa voix n’a pas parlé non plus. Il n’y a eu aucun son. Juste des gestes. Je lui ai coupé les cheveux, puis le nez. C’était ma mémoire qui se vengeait en découpant les images que je m’étais forcé d’oublier.



Ses oreilles sont tombées comme des gaufres du grille-pain. Sur le visage de papa, j’ai découpé les yeux, les sourcils, la nuque et les doigts. Il a commencé à perdre vie et j’ai dit :

- Ça y est! Tu es remort!

- Non, il a dit. Je n’ai pas de remords.



Et j’ai versé une bière sur ses yeux morts afin qu’à jamais ils soient remorts; et j’ai collé ses oreilles sur les miennes afin de lui ressembler tout à fait. Et j’ai versé d’autres bières, dans ma gorge, pour qu’à jamais se taisent les remords.

Les grands parleurs

JE VAIS TE FAIRE BRÛLER AU-DESSUS D’UN FEU AVEC UNE BROCHE DANS TON CUL, EMPALÉ OUAIS, TA PEAU ROSE DE COCHON VA RÔTIR JUSQU’À DEVENIR BRUNE LA COULEUR SALE QUE TU ES.



Il y a la possibilité, oui, qu’un jour tu trouves une tige d’acier assez grande pour la lui passer à travers tout le corps et y ajouter, au bout de cette tige qui lui sortira par la bouche, une pomme sous son nez. D’abord je ne vois pas pourquoi il accepterait de te présenter ses fesses, mais s’il le faisait, oui, tout ça serait possible.



JE TE CROQUERAI QUAND TU SERAS CUIT ET TON SANG COULERA SUR MES LÈVRES.



Non, quand il sera cuit, son sang ne coulera pas sur tes lèvres. Quand tu croques dans une viande cuite, le sang ne coule pas. Si tu veux que le sang coule, il faut le croquer cru.



ALORS JE TE CROQUERAI CRU, J’ÉTEINDRAI LE FEU ET JE MANGERAI LA POMME DANS TA BOUCHE.



Vraiment, ce serait un peu curieux de voir un homme comme toi manger une pomme dans la bouche d'un mec. Au bord d’un feu, qui plus est, ça ressemble un peu à un mec qui vole une fraise entre les lèvres d'une femme. Il y a quelque chose de romantique. Tu devrais peut-être éteindre le feu pour éviter les soupçons.



ALORS J’ÉTEINDRAI LE FEU ET JE SUCERAI LE SANG QUI SORTIRA DE TON CUL EMBROCHÉ.



T’écoutes mes conseils ou tu t’en fous? Je dis que tu devrais pas manger la pomme parce que ça pourrait avoir l’air louche et toi, tu t’en vas lécher le cul du mec? Non mais, si tu veux rien entendre de mes conseils, démerde-toi tout seul.



JE TE FARCIRAI D’AIL ET D’HERBES ROBUSTES.



Ouais? Eh bien moi je nouerai ma ceinture autour de ton cou. Tes yeux s’écarquilleront et je serrai de plus en plus fort jusqu’à ton visage bleu. Alors j’allongerai ton corps sur le plancher et je roulerai dessus avec des paniers d’épicerie.



JE METTRAI DANS TON CUL TOUS LES LÉGUMES QUI EXISTENT.



AH OUAIS? ALORS MOI AUSSI, ET TOUS LES PAINS QUE JE TROUVERAI, TOUS LES FRUITS, LES FRUITS DE MER ET MÊME LA CAISSIÈRE JE LA FOUTRAI DANS TON CUL.



ÇA SERA TERRIBLE DE VOIR TON CORPS GÉMIR LES SONS DE CE QUE J’Y ENTRERAI, ET JE CRIERAI TOUT AUTANT EN T’ÉCOUTANT, ET JE DIRAI COMME TU DISAIS.



OUI, BON, C'EST D'ACCORD! NOUS AURONS UNE SEULE ET MÊME VOIX, VIOLENTE ET DÉSAGRÉABLE, ET NOUS MOURRONS ENSEMBLE, RAVIS DE S’ÊTRE TUÉS À FORCE DE SE PARLER!



C'EST BON.



C'EST BON!



TA GUEULE.

Lettre à maman no. 5

Écrire ta mort, écrire que tu es morte, merde, c’est comme demander à un aveugle d’écrire une thèse sur la lumière. Tout ce que je connais de la mort, moi, c’est le tombeau et les sandwiches qui viennent avec, et le vin qui vient après, quand je me soûle pour oublier ta mort qui s’est passée trop vite, comme les pétales des pissenlits qui changent subitement leur jaune éclatant en une sorte de touffe de poils blancs qu’on souffle dessus je ne sais pas pourquoi.



Je n’ai pas vu les heures entre ta vie et ta mort. Je n’ai rien vu, ou alors j’ai tout oublié, mais il me semble que rien a existé entre le jaune de tes lèvres et le blanc de tes cheveux qu’on a soufflé dessus au cimetière. Tout s’est éparpillé sur l’herbe que j’ai poussé sur ma tête, mot après mot. J’ai eu beau écrire, jamais les pissenlits que j’ai inventé n'ont ramené celui que tu étais, le vrai jaune, celui-là avec la vraie couleur sur la vraie herbe.



La mort t’a arrachée à la terre alors que je n’étais encore qu’un chien à peine capable d’écrire un mot au fond d’une cage. Et même si aujourd’hui j’écrivais tous les mots du monde au fond de cette satan de cage, jamais tu ne reviendras les lire. Tu es morte, yeux morts, jambes mortes, et même si tu te désenterrerais vivante, tu marcherais aussi croche qu’avant.



Si un jour tu revenais à la vie, tu prendrais de longues marches sur les ponts afin de t’y jeter et mourir encore. Alors je marcherais à tes côtés, prétextant que nous allons prendre un verre, un verre de ce que tu voudras, dans le bar que tu veux, vodka ou porto, rhum n’importe quoi, tant que tu restes là et que tu ne pousses pas ton bassin en dehors des trottoirs pour danser sur les voitures.



Nous irions au bar le plus proche et tu me raconterais à quoi ressemble la mort. Tu dirais que tu aimerais retourner à cet état de néant où le mal ne faisait plus mal. Moi je te répéterais que tu es revenue à la vie et qu’il vaut mieux boire le bar. Tu deviendrais soûle très vite, comme avant, et je te parlerais très vite sans peser les mots qui pourtant pèsent lourds.



Je te dirais qu’après ton suicide, papa est mort, et ça a créé toute une chaîne de morts, les uns à la suite des autres, une sorte d’aura de morbidité autour de moi; ma vie est plus près de la mort que de la vie, je pense, qu’à force d’écrire moi aussi je finirai par entendre le bourdonnement de la fin et je me tuerai, moi aussi, et je te tuerai toi aussi, et nous retournerons là d’où tu viens, dans le néant où le mal ne fait plus mal, et je me logerai mort dans ton ventre mort jusqu’à ce que tu décides d’accoucher de moi. Et alors je pourrai dire que ma naissance et ma mort s’équivalent.

La baise des enfants

À savoir la différence qu’il y a entre un museau et un fuseau, je dirais que les museaux savent reconnaître les lieux et les fuseaux les heures. Je ne me suis jamais demandé qui, des musées ou des fusées, savaient mieux reconnaître le temps. Mais à choisir, je dirais les fusées. Elles ont à tout le moins la forme phallus et l’idée exacte de ce que l’âge est, quand le pénis veut percer l’atmosphère d’une autre pour entrer là où il faut.



Mais entre toi et moi, la différence, ça j’ignore. J’ai le pénis, toi le vagin. Je dirais que toi, tu as les idées, et moi le pénis. Et toi tu as l’amour, et moi le pénis. Et tu as de l’ambition aussi, beaucoup d’ambition, et moi le pénis.



Si les enfants ne font pas partie de tes ambitions je ne vois pas ce que je fais là avec toi avec les plantes, l'asphalte et toi, et moi le pénis. Mais si jamais tu en voulais, je pourrais t’offrir un tas de choses : enfants, vêtements pour enfants, dîners au restaurant, pénis etc.



Ce qui est merveilleux dans tout ça, c’est que même si tu ne veux pas d’enfants, je peux quand même te donner les dîners et le pénis. Ça vient gratuit avec moi. Et ça sera gratuit tant et aussi longtemps que tu ne me diras pas que tu détestes les enfants. Le jour où tu me le diras, là peut-être, je commencerai à te charger le temps que tu passes sur mon pénis. Dix sous la minute. C’est le tarif étudiant. Pas cher. Chaque soirée avec moi, j’ai calculé, coûte environ un dollar, et au bout d’un mois, j’ai assez d’argent pour payer ton repas au restaurant.



Au restaurant, tu pourras manger tout le foie gras que tu voudras, crabe ou homard, tartare, brochettes, pénis, ce que tu voudras. Tu seras libre de fouiller dans mon pantalon avec tes souliers ou de me raconter ce que tu voudras, comme la fois où tu as vu ce professeur à la maternelle, cet ami aux cheveux gris, cette école, ce bureau, ce pénis. N’importe quoi.



Tu peux me parler de tout : de ton animal de compagnie, de son pénis qu’il a tout rouge, de ton papa, de son pénis à lui, de ton jardin et des concombres, toutes les courges du monde je m’en fous, pour vu que tu m’invites chez toi après le repas et que tu me fasses part de ton envie de faire des enfants.



Pour faire des enfants, maman m’a expliqué quand j’étais petit : il faut que tu entres ça dans ça. Elle pointait d’une main mon pénis et de l’autre son vagin. Elle disait : tu as les idées, et moi le vagin. Si tu veux des enfants, c’est ton idée. Tu n’as qu’à entrer ton truc dans le mien. Et alors ton enfant sortira de mon ventre et tu auras deux fois plus de vêtements d’enfant, deux fois plus de jouets, deux fois plus de bonbons et enfin, c’est ça le vagin. C’est ça l’amour.



C’est ça l’amour. Tu as entendu? Elle a dit : c’est ça l’amour. L’amour, c’est mon truc dans ton truc. Mon pénis dans tes idées. Si tu n’as pas idée de le laisser entrer, je ne vois pas comment nous pourrions un jour avoir les vêtements d’enfants et les bonbons, les dîners et les jouets.



Moi je dis, si on veut tout ça, il faut le faire pendant la récréation. Ton professeur de maternelle ne nous verra pas. Il regardera ce qu’il aime, ses crayons, son papier, son cartable, son pénis. Jamais il ne verra le mien entrer là dans ce que tu as là. Et nous aurons les enfants qu’il faut pour s’habiller, et aller dîner au restaurant avec plein d’argent et des bonbons, et le jour où mon pénis deviendra dur nous en aurons des tas, nous en aurons tant que tu en veux des enfants.

Monsieur Feu

Papa m’avait préparé tout un festin, je vous jure, matraques et maquillage, masques, cagoules, chaînes et objets phalliques, tout ce dont j’avais besoin enfin pour écrire l’histoire la plus sadique du monde. Je vous avais inventé des personnages comme vous les aimez, sexuels et avec du sang à peu près partout, sur leurs vêtements comme en-dessous. C’était déchirure sur déchirure, il y avait même un mec dont je m’étais inspiré de mon vrai papa pour le créer : il entrait des briquets dans l’utérus des jeunes filles avant de les allumer. Ça faisait Klaboum et le sexe des petites s’éparpillaient sur les lèvres du vieux vicieux que j’avais appelé Monsieur Feu, pour les besoins de l’histoire, rien que pour vous.



Monsieur Feu allumait toutes les demoiselles, on ne sait pas trop comment, je vous épargne ses stratégies de séduction mais, allez savoir pourquoi, tous les soirs dans son lit il y avait des jeunes filles tout ce qu’il y a de plus mince, dix ou douze ans, comme vous les aimez, et il leur faisait voir des étoiles comme jamais aucune maman ne serait capable de.



Il y avait, dans cette histoire, de grands moments de suspens, comme la fois où Monsieur Feu fouillait les magasins à la recherche de menottes pour enfant. C’était pour lui toute une péripétie, car les seules menottes qu’il trouvait étaient pour adultes, et elles faisaient deux fois la taille du poignet des jeunes filles qu’il ramenait chez lui. C’est grâce à une dame nommée Fatalia qu’il a réussi à se procurer des menottes d’enfant. Il avait rencontré Fatalia dans un magasin et, en échange d’une baise, elle lui avait donné les menottes dont son grand-père s’était servi durant la guerre pour tenir tranquilles les bébés juifs.



Vous auriez aimé ça, vraiment, les mots que je racontais pour expliquer que les petites filles frémissaient sur les barreaux du lit tandis que le gros Monsieur Feu se trémoussait sur elles. C’était à lire, vraiment, la grosseur du pénis que lui avait comparativement à la minuscule tête que elles avaient.



Mais bon, j’écrivais tout ça quand papa a tué maman avec sa matraque, les chaînes et tout le reste. Elle est morte dans l’orgasme, mais n’empêche, ça m’a coupé l’inspiration. J’ai déchiré les pages de mon histoire parce que oui, après tout, je suis humain. La mort de maman m’a fait paniquer.



Ce soir, papa m’a présenté ma cousine. Cloride. Il avait envie que je lui écrive quelque chose d’incestueux. Il m'a fait promettre que cette fois, même si ma cousine périssait sous ses ébats, je continuerais de raconter la violence avec laquelle mon célèbre Monsieur Feu torture ses victimes. J'ai promis que j'écrirais. Mais avant, il faut que je m'inspire du corps de ma cousine morte asphyxiée. Bientôt, ça viendra. Je me mettrai à écrire et vous saurez de quelle façon les testicules de Monsieur Feu en sont venues à bloquer la respiration de Miss Cloride.

La cage verbale

La cage fut prête comme un mal de novembre. C’est drôlissime de parler des mois comme ça, au passé simple comme si c’était là quelque chose d’historique alors que je la sens encore tout à fait présente, cette cage au fond de moi, tout au fond de laquelle je me plie encore en deux pour écrire deux mots, parfois trois, sous l’impulsion de n’importe quoi.



C’est en faisant n’importe quoi que j’ai fait quelque chose et c’est en continuant de faire n’importe quoi que je continuerai de faire ma vie. Point. Les points se font souvent attendre, je sais, il faut me pardonner. Je déteste les vraies pauses. Je préfère les virgules qui comme les hoquets surprennent la lecture au moment où on se croit lecteur bien lancé bien normal sans craindre jamais le moment où la virgule viendra ou ne viendra pas. C’est étonnant, je dis, que les virgules ne soient jamais passées au centre de l’histoire. Parmi tous les novembres vécus, tous les maux et les cages, je pense qu’il y a avant toute chose cette virgule qui un jour les sépara. Et encore, le verbe n’a encore rien dit. Je le fais taire par le passé simple, mais je pense qu’un jour lui aussi revendiquera sa vraie substance, à savoir son refus de se conjuguer sur nos tout et nos rien comme s’il dépendait du mot.



La cage me saccagerai, un jour, et je me fasserai pour qu’elle me fasse moitié nous, moitié futur, et alors elle retournerons là d’où mon père l’avait construite, derrière la maison, sous la première neige qui tombèrent le fer, barrière hélicoptère exagère cratère et ainsi de suite jusqu’à ce que révolue soit l’ère.

Les mamans noires

Maman était noire, sinistre, comme d’habitude, yeux fermés et linges à vaisselle hissés hauts et clairs comme les drapeaux d’un pays d’où elle prétendait venir mais dont personne ne se souvenait. La Cage, qu’elle disait, c’est mon pays. Papa disait que la cage, c’était lui qui l’avait fabriquée. Moi je disais que c'était la cage d'où j'écrivais que vous ne devriez pas accorder trop d’attention à ce que maman dit. Votre attention est plus précieuse que votre mère. De nos jours, ceux qui sont capables de demeurer attentifs à un texte comme celui-là durant plus d’une minute sont rares. Je les compte sur les doigts d’une main. Vos yeux sont ailleurs, je ne sais pas où; sur les fesses d’autres peut-être, et je comprends cela, car moi aussi j’aurais aimé avoir des fesses à la place des yeux, rien que par curiosité, pour voir quel genre de pantalon j’aurais pu porter pour me protéger du soleil.



Plusieurs d’entre vous ont cessé de lire dès que j’ai dit que maman était noire. Ceux qui sont restés à lire sont probablement les enfants d’une maman noire, eux aussi, sans nécessairement être les enfants de ma maman à moi (ce qui supposerait que je suis leur frère). D’autres sont peut-être restés par simple curiosité, à savoir ce que j’entends par maman noire.



Pour ceux-là, je dirais qu’une maman noire est une femme d’où vous auriez aimé ne jamais naître. Si vous pensiez que cela avait quelque lien que ce soit avec l’Afrique, vous pouvez cesser votre lecture. Le reste ne vous intéressera pas. Je ne parlerai pas de races. Je ne parlerai pas de continents. Je parlerai seulement des yeux d’un enfant vis-à-vis celui de sa mère.



Ceux qui ont une maman noire sinistre comme la mienne sont désormais les seuls à me lire. Les autres sont partis par manque d’attention ou de curiosité. Vous qui me lisez encore espérez sans doute que je vous parle plus en profondeur de cette mère que j’avais et qui ressemble à la vôtre. Je le ferais, assurément, si elle n’était pas noire. Mais puisque le noir est une absence de couleur, il est impossible pour moi de dire que son nez était mauve, ou que ses joues étaient mauves, ou que ses oreilles l’étaient aussi. Si je le disais, je ne ferais qu’inventer. Et je me suis juré que je cesserais d’inventer. Je ne veux plus faire d’histoires.



Les histoires vous captivent, je sais, et c’est à cause de mes histoires que vous me lisez, et c’est parce que vous me lisez que je vous déteste, et c’est parce que je vous déteste que je ne veux plus faire d’histoires.



Maman caressait la cage comme si c’était là son pays. J’y suis entré à genoux. Dans la cage, j'ai écris des histoires, petites ou grandes; je ne parlerai ni des dimensions de mes histoires, ni des dimensions de ma cage, ni de celles de maman noire, car c’est là tout mon sinistre : plus je vous parle, plus vous lisez, et plus vous lisez, moins j’écris, et moins j’écris, plus je vous hais.