22 février 2010

WEBBIE



...Je veux me tuer. Avaler des pilules. Il y aura plein de drogue dans ma gorge. Ça va couler. Ça va se diluer. La mort va remonter en écume jusqu’à mon cervelet. Elle va tout geler. Je vais m’engourdir les neurones et je ne me réveillerai plus jamais. Je serai noire comme les merles. Et quand je serai fantôme, je viendrai chanter des rhapsodies dans ta bouche. Tu ne sentiras ni ma langue ni ma voix. Seulement le sang de mon mascara qui coule dans tes artères. Ensuite, je ferai sauter ton coeur.

Tu te demanderas pourquoi tu perds autant de sang. Je passerai ma langue sur la tienne. La paume de ma main écrasera ton petit pénis, mais tu seras déjà mort. Je profiterai du fait que tu ne me regardes pas pour faire une incision dans ta gorge. J’y insérerai des pilules pour te faire vivre ce que j’aurai vécu. Les pilules se dissoudront dans le sang et la mousse blanche te sortira par les oreilles. Je glisserai ma langue sur tes lobes. Je vais déguster ta mousse tout en serrant ton pénis entre mes petits doigts.

J’aurai envie de marcher sur toi. Je me tiendrai debout sur ton corps mort allongé. Je vais danser. Je vais faire le moon-walk, de ta poitrine jusqu’aux couilles. Mais je n’ai pas l’intention de m’énerver. Je vais rester très sereine. Je vais m’assoir sur ton visage et je vais attendre que tu bandes. Tu seras toujours mou alors je vais frapper quelques coups de pied. Tes testicules s’enfonceront si profondément qu’ils déchireront ta vessie.

Ton urine se déversera sur la céramique. J’en aspirerai un peu avec ma bouche et j’aurai les joues remplies. Enfin, je suspendrai mes lèvres au-dessus des tiennes.

- Hum! Excuse-moi j’étais aux toilettes oui c’est... oui c’est un bon plan ça, Webbie! Mais non, non qu’est ce que je dis là, ce n’est pas un bon plan du tout. Il doit y avoir un truc qui cloche... Peut-être la question n’était pas bien formulée... Je répète : « Webbie, qu’as-tu envie de faire? » Moi, tu vois, ce que j’ai envie de faire, c’est une partie de dés! Oui, j’ai bien envie de jouer aux dés! Tu sais pourquoi? Parce que lorsqu’on joue aux dés, on ne pense plus à rien! On ne pense plus à la mort, on ne pense plus aux vieilles amours perdues. Franchement, Webbie, penser à mourir, qui t’as mis cette idée-là dans la tête? Un suicidaire?

...Les dés sont une façon d’échapper aux questions existentielles qui tenaillent. Les gens jouent aux dés pour échapper à la mort. Les gens aiment croire que le destin peut tenir dans la paume d’une main. Paume d’une main. La paume de ma main écrasera ton petit pénis, mais tu seras déjà mort. Je vais profiter du fait que tu ne regardes pas pour...

- Mais ça ne fonctionne pas ce truc! Intelligence artificielle mon oeil! Ma pauvre Webbie, tu es aussi bête qu’un sanglochon allez, on reprend du début. Qu’as-tu envie de faire?

...Me tuer. Avaler des pilules. Il y aura plein de drogue dans ma gorge. Ça va couler.

- Stop! Webbie, qu’est-ce qui se passe? Webbie n’est pas heureuse? Elle veut manger? Tu as faim? Tiens, voilà d’autres mots : sperme, anus, vagin, salope, dildo, baise. Tu vois bien que je te nourris comme je peux. Maintenant, parle-moi. Vas-y... Vas-y ma belle, parle-moi...

...Je veux me baiser. Manger un vagin et des pilules. Il y aura plein de drogue dans ma gorge. Ça va couler. Ça va se diluer. Le sperme va remonter en écume jusqu’à mon cervelet.

- Merde, Webbie! Arrête! Ne me dis pas que tu veux manger un vagin, je n’y crois pas une seconde. Et ne me dis pas que tu veux manger des pilules, tu n’as rien compris... Tu es sensée dire : « j’ai oublié de prendre la pilule. » C’est ce que tu es sensée dire!

...Tu as oublié de prendre la pilule. Je ferai une incision dans ta gorge. J’y insérerai des pilules pour te faire vivre ce que j’aurai vécu. Les pilules se dissoudront dans le sang et le sperme blanc te sortira par les oreilles. Je glisserai ma langue sur tes lobes.

- Tu ne comprends rien! Ça doit être un problème de manufacturier. Oui c’est ça. On m’a vendu une femme dont le cerveau est complètement désuet. Je vais appeler la compagnie, je vais leur dire que leur machine ne me donne pas de sexe, mais qu’elle se révolte contre moi. Et ils viendront te chercher et ils modifieront ton cerveau! Je n’ai aucun plaisir avec toi Webbie!

...Daphnée adorait jouer aux dés. C’était une façon pour elle d’oublier la mort. Elle voulait se tuer. Elle voulait avaler des pots de pilules pour que la drogue soit plein de sa gorge et que ça coule, que ça se dilue et la mort est remonté jusqu’à son cerveau et elle est morte gelée. Elle était froide. La drogue avait engourdi ses neurones et elle ne s’est plus jamais réveillée.

- Webbie! Ce sont mes mots! Tu n’as pas le droit de me citer! Je vais me plaindre! Tu sais que je vais me fâcher! Tu ne comprends pas ce que tu dis! Tu transformes tout ce que je dis! Ce n’est pas! Ce n’est pas ta fonction! Tu es le sexe! Ok tu es sexe! Revenons au sexe immédiatement!

...Tu as lécher ses lobes. Tu lui as chanté une rhapsodie. Tu as passé ta langue sur la sienne.

- Stop! Ça suffit, c’est assez Webbie. Je n’ai aucun plaisir avec toi!

...Tu veux te tuer. Avaler des pilules. Tu seras noir comme les merles. Et quand tu seras fantôme, tu iras chanter des rhapsodies dans sa bouche. Elle ne sentira ni ta langue ni ta voix. Seulement le sang de son mascara qui coule dans ses artères. Ensuite, lui fera sauter le coeur.

- C’est absurde ce truc, comment ça peut fonctionner sans que... Webbie! Tais-toi! Tais-toi Webbie! Tu répètes de fausses accu... De fausses informations! Je ne suis pas...! Je vais te retourner au manufacturier. Je vais te retourner! Je vais te retourner...

...Je suis une salope. Je baise. J’aime dans l’anus. Le sperme. Dans mon vagin de salope.

- Oui! Enfin Webbie! Et le dildo, Webbie? Oui Webbie! Oui dis-le! Dis le dildo!...

18 février 2010

Retrouver l'ivresse


Idée originale de Charlotte Gautier

Ce n’est pas par hasard si je bois quand je peins. Je ne peins que sous l’effet de l’alcool. Je commence à peindre dès la première gorgée et je termine lorsque je ne tiens plus debout. Le problème, c’est que lorsque je ne tiens plus debout, je m’efforce de rester debout. Je trébuche jusqu’au briquet, jusqu’au couteau et je combat l’ivresse suffisamment longtemps pour que j’aie le temps de brûler telle toile ou de trouer telle autre de cent coups de couteau. Le lendemain après-midi, voyant tout le gâchis que j’ai fait la veille, je m’ouvre une autre bouteille. Je bois pour réparer les toiles trouées ou pour en commencer d’autres.

Quand j’étais plus jeune, je peignais sans boire une goutte. J’étais vif et l’art m’amusait. J’avais la tête bourrée d’idées. Je pouvais vous réinventer le monde à chaque seconde. Suffisait d’une bouilloire, un peu de colorant alimentaire, une feuille de papier, parfois un essuie-tout... Je traçais au marqueur le contour des nuages que la vapeur d’eau laissait sur le papier. Je me disais que, si mes parents voyaient ce qu’ils voulaient voir dans les nuages du ciel, ils pourraient voir ce qu’ils aimaient dans les nuages que je créais.

Quand j’ai montré mes premiers nuages à ma mère, elle est restée bien froide. Elle m’a félicité du coin de l’épaule, rien de bien éclatant, et est retournée à ses carottes. Suite à cela, mes nuages se sont transformés. Je trichais. Je ne suivais plus exactement les contours que la vapeur d’eau m’imposait. Je faisais dévier mon marqueur pour que le nuage ait l’air d’une casquette, d’un jean, d’un t-shirt, d’un nez, d’un enfant... de moi. En fin de compte, chaque fois que j’allais à la bouilloire, j’en tirais un autoportrait toujours différent. Sur papier, j’avais l’air parfois heureux, parfois étonné, parfois triste. Enfin, peu à peu, je me suis mis à tricher sur l’émotion. Je jetais mes autoportraits souriants à la poubelle ou j’en modifiais la bouche pour exprimer mon humeur. 

Puis, un jour, je me suis décidé à montrer un nouveau nuage-autoportrait à ma mère. J’ai récolté sensiblement la même réaction que la fois précédente. Seulement, elle a ajouté : « il est dans sa crise d’adolescence. » Suite à cette critique, je ne suis plus jamais retourné à la bouilloire. Je me suis enfermé dans ma chambre. 

*

Un soir, Camille m’a parlé de ce qu’était l’art. Étant donné qu’elle était six ans plus vieille que moi, je croyais tout ce qu’elle me disait. Elle m’a dit que j’étais un artiste. Et ce, même si moi, à cette époque, tout ce que je voulais, c’était faire des nuages, faire réagir ma mère et me faire féliciter. Pour elle, tout ça allait ensemble. Elle m’a demandé de venir chez elle pour lui montrer mes nuages-autoportraits. 

J’étais gêné de mettre les pieds dans un appartement aussi crade. Il y avait des vêtements partout. Et des toiles, plus de toiles que je n’ai vu de toiles empilées dans toute ma vie. Elle m’a montré ce qu’étaient les tubes de couleur. Je lui ai fait sortir la bouilloire qu’elle ne sortait jamais de son armoire. Elle n’avait pas de colorant alimentaire, alors nous avons mis dans l’eau bouillante quelques gouttes de peinture à l’huile. Et c’est ce soir-là que j’ai inventé les nuages abstraits. 

Un premier nuage est apparu sur le papier blanc au-dessus de la bouilloire. Camille y a vu immédiatement quelque chose : « c’est une femme qui se fait avorter! » Puis, au deuxième nuage : « c’est un lustre éteint qu’on tente de rallumer... » Enfin, au troisième : « ma mère qui crève sous mes yeux. » 

Je lui ai demandé comment elle faisait pour voir tout ça. Non seulement elle l’ignorait, mais elle ne voyait rien dans ces interprétations qui puissent valoir quelque chose. C’est là qu’elle m’a tendu la bouteille. J’ai pris quelques gorgées. Mon sens artistique s’est altéré. J’ai réalisé que je n’avais aucune raison de continuer à faire des nuages pour ma mère. Camille m’a proposé de rester chez elle. Elle a dit qu’elle pouvait m’héberger, le temps que je fixe mon âme.

*

Chez elle, j’avais une chambre où j’ai dû peindre trois cents tableaux. Camille venait souvent voir ce que je peignais. Elle savait mieux me féliciter que ma mère. Je me suis vite senti artiste. Je suis sorti de la chambre pour peindre directement devant elle. Et tandis que je peignais tableau sur tableau, elle, elle me peignait en train de peindre. Et elle buvait et rigolait. 

- C’est quoi tu viens de peindre? Un oiseau? Une main? Non! attends.... une girouette! Un archange! 

J’ai dit non. Une fugue.

- Ah j’étais pas loin! La liberté right!

J’ai dit non. Un oiseau attrapé qui respire dans les fentes d’une main, une girouette qui se cherche un ange, un ciel pas d’étoiles mais beaucoup de nuages.

Elle a arrêté de rigoler. Elle a déposé son pinceau et sa bouteille et elle s’est levée. Elle m’a dit que j’avais beaucoup de talent et qu’il fallait que je continue de peindre. Le soir suivant, je peignais encore alors qu’elle buvait. Elle a demandé ce que je peignais :

- Une fugue? Un oiseau attrapé qui...

J’ai dit oui. Et le soir suivant, je peignais encore une fugue. Et le soir d’après, une fugue aussi. Je ne peignais que ça. C’était comme si mon inspiration s’était épuisée. Je ne créais rien de nouveau. C’est à ce moment-là que Camille m’a proposé la bouteille comme inspiration. Elle a dit que ça me sortirait de mon passé, que j’en oublierais les taches qui ne partent pas. Elle m’a dit que je créais de la nouveauté pour le monde.

*

Chaque soir, nous peignions l’un devant l’autre. Une bouteille de bière à la main. Sitôt que je devenais ivre, je ne voyais plus qu’elle, Camille. Je la peignais en train de boire et de peindre. Et quand je lui demandais ce qu’elle peignait, elle disait qu’elle me peignait moi en train de boire. À la fin de la soirée, nous nous montrions nos portraits. Nous nous esclaffions de rire et nous brûlions ce que nous avions fait. C’était une libération si immense que nous nous embrassions.

Aujourd’hui, si je veux tant brûler mes tableaux en fin de soirée, ce n’est pas l’ivresse qu’il faut blâmer. C’est le souvenir d’une ivresse que je veux détruire pour créer de nouveau.

Bien sûr, chaque fois que je m’enivre, je n’ai qu’un but : retrouver cette ivresse que je veux absoudre. Mais une fois ivre, je suis incapable de détruire quelque ivresse que ce soit. Je ne suis capable que de détruire le meilleur de ce que j’ai construit.

11 février 2010

Rouge et blanc

Imaginez-vous la couleur rouge, sur la branche d’un cerisier, puis imaginez-vous la couleur blanche, juste en dessous, étendue sur l’herbe verte. Et dites-vous bien qu’il vente fort. La couleur blanche se rapproche peu à peu du tronc de l’arbre. Elle s’élève soudainement dans les airs, touche presque la couleur rouge, mais retombe sur l’herbe. Elle fait ensuite plusieurs tours sur elle-même. 

La couleur rouge, quant à elle, reste bien haute perchée à la branche de l’arbre. Disons qu’elle frémit légèrement, ou qu’elle tressaille, mais elle ne fait aucun mouvement brusque. Elle attend.

Et puis ça y est, la couleur blanche s’élève encore mais cette fois, elle parvient à se coller au tronc de l’arbre. Elle glisse lentement vers le haut pour finalement rejoindre la branche où se trouve le rouge.

La couleur blanche avance discrètement en direction du rouge. Ce dernier se gonfle alors comme un ballon. Le blanc ne bouge plus. 

Peu à peu, la nuit tombe et le vent cesse. La couleur rouge se dégonfle sur la branche, comme si elle avait décidé d’y passer la nuit. Non loin d’elle, la couleur blanche est déjà immobile depuis plusieurs minutes.

Le matin suivant, la couleur rouge reprend son envol, laissant seule la couleur blanche sur la branche du cerisier. Plusieurs gens passent sous l’arbre mais ne prêtent pas attention à la couleur. Un jeune homme remarque enfin le blanc sur la branche. Il place une échelle au pied du tronc et décide d’y grimper. Il saisit la couleur blanche et, dans ses bras, il la transporte jusqu’à terre.

Juste comme il allait jeter la couleur blanche à la poubelle, il croise un vieil homme qui lui dit :

- Vous savez, si ce drap blanc avait été rouge, j’aurais enfin retrouvé le drap rouge que j’ai perdu!

Et le jeune homme de lui répondre :

- Nous sommes dans la même situation, Monsieur. Si seulement ce drap avait été un chat!

8 février 2010

Je déteste les rectos


Tu dois te demander pourquoi ce titre, et tu dois surtout te demander pourquoi je te tutoie. Comme tu peux voir, je me suis remis à écrire sur papier. Le stylo contre la surface brute. La surface véritable. Je ne veux pas faire de jaloux, mais j’ai pris le crayon. J’ai fait suivre mes mots. Et la première constatation à laquelle je suis arrivé est que ces mots écrits sur papier perdureront bien plus longtemps encore que ceux écrits sur n’importe quel blog, n’importe quel site. Et la deuxième constatation a été celle-là : par écrit, il n’y a pas de retour en arrière, il n’y a que des rattrapages. Le flot des mots glissent dans un présent certain, rien n’est totalement effacé. À chaque phrase mal dite, en voilà deux, trois ou quatre mieux faites. Et parmi ces phrases, il revient au lecteur de faire son choix.

L’espace des choix m’a gagné. C’est pourquoi aujourd’hui j’écris sur papier. Je devais absolument le faire, car sinon, comment pourrais-je me relire dans dix ans? 

En plus, j’ai la certitude que, si je fais état de mes émotions présentes, mon moi-plus-vieux pourra en faire des merveilles. Mon moi-plus-vieux saura réorganiser mes émotions présentes pour en faire un personnage, une nouvelle ou un roman. Et chaque phrase que je lui donne, je me la donne à mon moi de plus tard.

*

Je ris souvent. Je me sens heureux. Je n’ai rien à foutre de ce que je dis, et je ne sais pas si c’est l’alcool qui m’a appris cela, mais je m’amuse plus que jamais à déconner dans l’air. Sobre ou à jeun, je dévale les rues en chantant, je m’amuse à faire rire les caissières à l’épicerie, je lance des répliques absurdes et j’ai le sourire aux lèvres. Je me sens vivre à la moindre connerie que je lance. Comme si demain n’existait pas. Je me fous des lendemains. Même si cette réflexion a ses dangers, je me sens capable de détruire mon présent par mes mots et actes. Rien qu’en étant moi-même. Comme si j’étais le héros de ma mort.

Je sais que, pour toi, je suis un personnage en soi tellement je suis loin de toi. Mais autrefois, j’étais toi. Et tu étais moi, il n’y a pas si longtemps de cela...

*

Je t’imagine en train me lire, tu dois bien rigoler en silence. Tu dois te dire que je ne sais pas ce que je dis mais que je sors parfois de jolies et bonnes phrases que tu gardes, cachées dans ta petite valise laide. Pourquoi t’es-tu acheté cette petite valise laide, moi-plus-vieux? Tu devrais faire attention aux apparences. Tu sais, les couleurs de ta cuisine ou de ta valise ne veulent rien dire. Mais celles que tu poses sur une toile, sur un bout de papier, ou simplement à l’encre sur ta paume... 

Mon moi-plus-vieux, tu dois bien avoir trente ans alors que tu lis ceci... Et pourtant, j’ai toujours l’impression d’en avoir beaucoup à t’apprendre. Je t’imagine, plongé en pleine marginalité. Tu adores les femmes rebelles. Tu crois que les quelques dessins qui te restent de ton adolescence feront de toi un parfait amoureux pour elles? Tu crois que ce que j’ai écrit aujourd’hui illuminera les yeux de ta petite révolutionnaire? Pauvre riche! Tu as fait des mauvais choix, et si tu me relis aujourd’hui, c’est bien parce que tu avoues tes erreurs. Et si tu te relis, c’est aussi parce que tu regrettes tes déviances qui datent d’après que j’aie écrit cela. 

Tu n’as pas suivi tes premiers rêves. Je ne les ai pas suivis. Tu voulais être écrivain. Je ne l’ai pas été. Et je demande, vieux-moi, m’en veux-tu ou en veux-tu à toi-même? À toi-même, certainement. Tu n’as pas accompli mes voeux les plus chers. Tu n’as pas même accompli les tiens les plus chers. Tu te relis aujourd’hui et tu cherches dans ce cahier un personnage, une idée, une phrase qui pourrait te lancer sur l’écriture d’un nouveau roman. 

Ne cherche plus. Mais moque-toi plutôt de la vie et apprends à en rire. Redeviens enfant. C’est le seul conseil que je puisse te donner, et le seul conseil qui puisse me sauver. Si tu relis ceci, mon vieux-moi, je t’en prie. Souviens-toi d’une époque où tu voulais vivre. Ne te suicide pas...

2 février 2010

Anti-couture : le bras ( anatomie expliquée)




Cette designer de mode en est venue, au fil des années, à bouleverser l’anatomie humaine. Les manches de nos pulls se terminent tantôt sur les poignets, tantôt sur les jointures de la main, tantôt sur les avant-bras... Mais où commence le poignet et où commence la main? Les bracelets d’aujourd’hui empiètent sur l’espace de l’avant-bras, et les gants sur celui du poignet. Et que dire des gants longs, qui remontent jusqu’au coude? Ils ne respectent aucune structure anatomique! Il est temps de délimiter les espaces du corps humain et d’y tracer des frontières qui seront vraies, durables et efficaces! 

Commençons par le bras, mes amis. Le bras comporte une main, un poignet, un avant-bras, un coude, un bras supérieur et une épaule. Notez-le.

D’abord, la main. La paume de la main nous donne une bonne idée du territoire qu’occupe la main. Tout ce qui se retrouve en-dessous appartient au poignet. Vous pouvez donc tracer une ligne à partir de la fin de votre paume jusqu’à la fin du revers de votre main. Cette circonférence constitue notre première frontière. Dépassé cette ligne, c’est le poignet. Tout gant qui franchira cette frontière devra être coupé en conséquence. Le gant est l’habit de la main. Il couvre la main et rien que la main. Si vous avez froid aux poignets, j’ai mis sur le marché des bracelets de laine qui vous tiendront au chaud. Il ne sont pas jolis, mais ils respectent l’anatomie humaine.

Le poignet. Il n’y a qu’une chose à retenir au sujet du poignet : il mesure exactement cinq centimètres. Pas six, pas quatre, pas quatre virgule neuf. Cinq. Vous allez donc mesurer cinq centimètres à partir de votre première frontière et tracer une deuxième frontière. Cette deuxième circonférence représente la fin de votre poignet. Aucun pull, aucune veste ni aucun vêtement ne doit pénétrer à l’intérieur de ces cinq centimètres. Cet espace est réservé au poignet, et donc, aux bracelets. Si vous avez chez vous des vestes à manches trop longues, taillez-les en conséquence. Ou alors portez des t-shirts, je m’en fous! Mais je ne veux plus voir aucune manche sur vos jointures.

L’avant-bras... Je passerai rapidement sur l’avant-bras, car rares sont les vêtements qui ne couvrent que l’avant-bras. Habituellement, les vêtements à manches qui couvrent la superficie de l’avant-bras couvrent également celle du coude et celle du bras supérieur. En délimitant l’espace du coude, l’espace de l’avant-bras nous apparaît évident : pour tracer les frontières de votre coude, trouvez d’abord son centre. Puis, tracez autour de ce centre un cercle ayant quatre centimètres de diamètre. C’est votre coude. Vous pouvez, à l’aide d’un compas, tracer une frontière assez précise. 

Ainsi, le territoire de votre avant-bras s’étend de la fin de votre poignet jusqu’aux frontières de votre coude. Le bras supérieur (souvent appelé « bras »), quant à lui, débute aussi aux frontières du coude, mais se termine à la frontière de l’épaule.

Pour trouver le commencement de votre épaule, vous devez d’abord placé votre coude contre votre hanche. Votre bras supérieur se retrouve ainsi en angle droit avec votre épaule. Tout ce qui se trouve en haut du bras, c’est l’épaule. L’épaule a elle aussi ses limites, mais nous les verrons la semaine prochaine, lorsque nous parlerons de la tête. 

Je vous laisse filer, vous avez beaucoup de couture à faire... ou plutôt, beaucoup de découpage à faire! La semaine prochaine, je ne veux voir aucune veste qui empiète sur le territoire du poignet! Je veux un poignet dégagé. Et aucun gant qui sort du territoire de la main. Compris?

Et pour tous ceux qui portent le t-shirt, vous vous en sortez assez bien pour aujourd’hui. Mais dites-vous bien que le crâne est le territoire des cheveux, et que vous devrez bientôt prendre rendez-vous chez le coiffeur!

1 février 2010

Pule het pul 2


Je prends le métro. Mon regard balaie un siège. Je m’assois dans le wagon. Mais ce n’est pas un wagon, c’est un traîneau de plastic. Et ce n’est pas un siège, c’est une moulure de plastic. 

Je regarde mon reflet dans la vitre noire. Mais ce n’est pas une vitre. C’est du plastic très chaud et très épais. Mon reflet là-dedans est beau parce qu’il n’est pas mon reflet. Parce que ce n’est pas un miroir. 

Je suis beau dans la glace du wagon qui n’est pas un wagon où il y aurait une glace. Je suis fictivement beau. Dehors, la glace réelle recouvre le béton noir sur lequel des chars roulent. La glace couvre sur mon visage aussi. Comme si j’étais givré.

Mais il n’y a pas vraiment de glace sur mon visage. J’ai froid. Je suis ancré dans le lainage de mon pull. Je ne suis pas ancré, mais je m’attache à la laine. Je ne suis pas attaché non plus, mais je porte un pull de laine que je commence à aimer. C’est pourquoi je m’attache à ce pull et à autant de lignes jaunes sur le béton noir glacé qui me font courir sur Bélanger.

J’entre à La Risée. Un portier aux cheveux bleus m’accueille à l’entrée. Mais il n’a pas vraiment des cheveux bleus. Et il ne m’accueille pas vraiment puisqu’il n’est pas gentil. Il me dit de me taire parce que des écrivains récitent tranquillement leurs textes sur une scène qui n’est pas vraiment une scène. Et ces écrivains ne récitent pas tranquillement leurs textes. Ils essaient de crier pour faire entendre le peu de mots qu’ils ont à dire. Mais ils ne se font pas vraiment entendre, parce que les gens de la salle préfère l’alcool aux vrais mots. 

« Je veux être écrivain! »

Disait l’un des écrivains qui récitaient, mais il ne l’a pas vraiment dit parce qu’il l’a pensé. Et il n’a jamais réellement ouvert sa gueule pour le dire, car il n’avait pas de gueule parce qu’il n’était pas un guépard.

J’ai enfin rencontré Valeri, celle qui m’avait personnellement invité à la soirée. Elle ne m’avait pas vraiment personnellement invité parce qu’il n’y avait pas de cartons d’invitation, et parce qu’elle avait aussi demandé à trois autres garçons qui n’avaient pas pu, mais je l’ai rencontrée pour de vrai.

- T’as parlé à Joakime? qu’elle me dit.

Dit en passant, elle ne me l’a pas vraiment dit, elle me l’a crié plutôt parce que la musique était très forte.

- NON! C’EST QUI?! que j’ai réellement crié. 

- Je sais pas... qu’elle a murmuré mais qu’elle a crié en vrai.

Et ce n’était pas vrai qu’elle ne le savait pas, puisqu’elle savait que Joakime voulait me parler parce qu’il trouvait mes textes très intéressants, ce qui n’était pas vrai non plus, car il les trouvait très emmerdants mais quand même, la vérité était qu’il voulait me parler.

- Tu voulais me voir? que j’ai presque demandé à Joakime mais il ne m’écoutait pas.

- ALLÔ! qu’il m’a crié vraiment vivement.

- Tu voulais me voir? que je lui ai vraiment demandé.

- Ouais! Hey je trouve tes textes super intéressants! Mais euh ouais je voulais savoir, vous êtes ensemble toi et Val?

- Non, que j’ai menti. Tu vois bien!

Il savait lire entre lignes. Mais il lisait très mal entre les lignes. Si je lui avais foutu une phrase entre deux lignes devant les yeux, il aurait été incapable de lire quoi que ce soit.

- T’es sûr? Y a pas de problème si je lui paie un verre! qu’il mentait encore parce qu’il n’avait pas d’argent et qu’il avait de la bière chez lui.

Il n’y avait aucun problème à ce qu’il l’emmène chez lui. Mais en réalité, il y a avait oui un problème à ce qu’il l’emmène chez lui. Je ne voulais pas qu’il l’emmène chez lui. Mais en réalité, je ne voyais aucun inconvénient à ce qu’il l’emmène chez lui. Si ça n’avait été que pour faire une sieste qui n’aurait pas été réellement une sieste mais plutôt, une nuit.

- Je veux pas autre chose que lui offrir un verre! qu’il disait. 

Et ne disait pas mais mentait enfin, il ne me faisait pas chier. Du tout. Il me tuait carrément. Mais il ne me tuait pas carrément, ni même rondement. Il ne me tuait pas du tout. Il me faisait chier voilà.

- O.k. je m’en fous Jo! que j’ai menti. Tu sais que je trouve tes textes emmerdants? que j’ai dit la vérité.

- Euh... les tiens aussi le sont... qu’il a enfin dit la vérité.

Nos textes étaient emmerdants. La vérité était là.

Les lumières du bar ont répandu la noirceur. Mais elles n’ont rien répandu. Elles n’ont rien foutu que s’éteindre. Qu’un petit clic. C’était le portier aux cheveux bleus qui éteignait les lumières. 

Mais il ne les a jamais vraiment éteintes. Il s’est accroché sur le piton.

Pule het pul

Je porte un pull brun d’hiver. 

Une ligne jaune aux poignets des manches et un peu de trous. L’air passe. Et ma peau de poulet sous mon t-shirt blanc. Personne ne fait attention. Mais tout le monde regarde comme des spectateurs. Ils attendent que je récite Pule het pul. Et tout le monde fait leur spectacle avec leurs clapes et leurs rires.

C’est à tour de rôle de se présenter sur la scène. Et c’est mon tour de réciter. J’ai le choix : prose, poèmes, récitals, scènes, théâtre, cinéma, shlam, chanson... C’est mon choix comme invité. Mais j’ai choisi Pule het pul.

C’est Valeri qui m’a invité à La Risée. C’est pour elle que je récite devant. Elle m’a dit qu’elle aimait mon texte Pule het pul et moi je ne lui ai pas dit que je l’aime, mais je voulais le lui dire ce soir je t’aime. 

- - - - - - - - - -

C’était là que tout le monde a ri de Pule het pul. J’ai regardé Valeri. Je lui ai fait des sourcils pour qu’elle se retourne. Mais elle souriait à Joakime.

- - - - - - - - - -

Je ne suis pas bon à l’écrit. Je n’ai pas terminé ma maternelle parce que je préfère le dessin que les mots graves. Je collectionne les crayons de couleur, mais ma collection est encore à zéro. J’ai le stylo noir, le stylo bleu. Mais ce ne sont pas d’aussi vraies couleurs que le rose ou le vrai bleu.

- - - - - - - - - -

Les gens ont ri encore et j’ai lâché le micro. Je suis redescendu les escaliers et j’ai attendu que les rires passent d’au-travers de mon pull. Par les trous. Et le prochain invité a été invité à se présenter sur la scène. Il disait et exprimait tout ce que je ne comprenais pas des mots.

« L’écume monte et descend sur l’étrave du brise-glace. L’eau du Golfe s’y fend, formant une belle moustache grise et blanche qui donne au navire un air de sagesse, du moins une certaine élégance qu’il ne saurait avoir lorsque retenu par ses amarres... »

On voulait m’apprendre quelque chose. J’ai voulu apprendre, puis j’ai surtout voulu terminer mon récital pour Valeri.

Joakime à moi : Hey! Qu’est-ce qui se passe mon vieux? Pourquoi t’es pas resté sur la scène? Tu nous le récites pas ton Bullet bull? 

Moi : Pule het pul...

Valeri à Joakime : Yé redescendu de la scène parce que tout le monde riait de ce qu’y disait! T’aurais faite quoi toi à sa place?

Joakime à moi : Hum. Si t’as un texte à réciter, faut arrêter de parler et commencer à le lire parce que sinon, tu nous fais un show et pis...

Valeri à Joakime : Tu comprends rien... Son texte commençait à « Je porte un pull ». Il le récitait déjà depuis cinq minutes quand tout le monde s’est mis à rire.

Joakime : À je porte un quoi?

Valeri à Joakime : T’écoutes le monde ou tu niaises?

Joakime à Valeri : J’écoute! Mais c’est dur écrire, tu le sais...

« QUUÉÉÉÉÉBBEECCC!!!»

Moi : Se faire écouter c’est dur...

- - - - - - - - - -

Je me récite souvent, dans ma propre tête, quand les gens ne veulent plus écouter. Mes mots, dans ma tête, je ne les comprends pas mieux. Mais je les lance comme de la gouache sur mes petites neurones et ça fait du vrai bleu. Je n’ai jamais décidé de venir ici. Je n’ai pas le talent. L’ambition. Des mots qui existent dans ma caboche mais qui ne sortent jamais de là-haut. 

Je ne veux pas dire que je veux être écrivain. Je veux dire je veux être normal. Et je n’ai rien trouvé de plus normal qu’un écrivain de La Risée. Joakime. Et Valeri qui me sourirait. 

Valeri monte sur la scène. C’est à son tour de réciter.

- - - - - - - - - -

Joakime à Valeri : Tu sais que ton texte est meilleur que le sien de toute façon. J’adore ce que t’écris Valérie. Pourquoi tu t’énerves pour le texte de quelqu’un qui sait pas écrire? C’est à ton tour... Vas-y! On t’écoute!

- - - - - - - - - -

« Pule het pul. 

Je porte un pull brun d'hiver. »