14 janvier 2009

Carnets de Luc Harnais II

S'il y a des fleurs


X

J’étais de retour à Paris, ville ancestrale des temples français : Seine des noyés littéraires, musées vénérés par les grands cerveaux de ce monde ; tout cela et bien plus, et bien plus de jolies femmes, plus que vous ne pourriez en espérer voir en rêve! 

Le pain croûté parfumait la gare. Je n’avais pas encore mis le pied hors du wagon que, déjà, je sentais les Parisiens impatients d’en connaître davantage à propos de mon histoire de zèbre et de pissenlit. 

Les portes du wagon s’ouvrirent. Cinq femmes se tenaient en une rangée devant la porte de mon wagon. J’eus la certitude qu’elles m’y attendaient, qu’elles s’y étaient regroupées dans l’espoir de me croiser, comme de vraies groupies : 

- C’est le gars du zèbre! crièrent deux d’entre elles.

Elles se précipitèrent sur moi. Je leur tendis mon appareil photo numérique afin qu’elles se régalassent des clichés de ce zèbre, puis je les invitai à dîner. Elles déclinèrent mon invitation. L’admiration que me portait ces femmes n’avait alors été qu’une simple spéculation de ma part... Jamais je ne compris leur refus.

Peut-être mon invitation avait-elle été trop directe? Peut-être s’imaginaient-elles autre chose? Aucune importance. À ce moment-là, je ne cherchais chez une femme qu’une paire d’oreilles. De grandes oreilles capables d’écouter les invraisemblables histoires dont je mourais d’envie de me vanter. 

Je repris donc l’appareil photo des mains de ces femmes, ainsi que mon chemin, la tête haute... C’est vrai, le succès m’avait un peu monté à la tête, comme disent les Français. Et ce soir-là, lorsque je retrouvai ma chambre de la rue Belgrand, je ne pus tolérer le vide de la pièce. Il me fallait raconter ce que j’avais vécu. Il me fallait trouver quelqu’un à qui parler, sans quoi, pensai-je, mes aventures sombreront à jamais dans l’oubli...

XI

Je connaissais une auberge de jeunesse où les voyageurs se rencontraient pour raconter leurs récits de voyage. Je m’y dirigeai avec grande confiance. Vraiment, je croyais que nul autre récit ne pouvait être plus époustouflant que le mien!

Le D’Artagnan. Voilà le nom de l’auberge. J’y entrai. Je passai la réception et descendis directement au sous-sol. L’éclairage se tamisa. Je m’affichai près du bar. Partout près des tables, des voyageurs se tenaient les uns en face des autres. Chacun leur tour, ils vantaient le sensationnalisme de leurs aventures :

- Vous revenez d’Italie, mais vous n’avez pas visité le Vatican?! s’exclamait un Français à un Suisse. Oh, c’est bête! C’est notre histoire qui s’est jouée là-dedans...

- Et alors? lui répondait le Suisse. Vous n’avez jamais grimpé les Alpes! De là-haut, le monde s’ouvre... Si bien que l’on en redescend complètement changé! 

- Cessez de vous disputer, interrompait le Belge... Moi, j’ai vu le métro de Moscou, et vraiment, il n’y a rien de comparable! La Russie, c’est un autre monde... Beaucoup plus récent, actuel, contemporain, que vos vieilles histoires! Et je ne m’en vante pas pour autant... Seulement, vous n’aurez rien vu tant aussi longtemps que vous ne serez pas sortis de votre petite Europe de l’ouest...

Et puis, la bagarre éclatait. L’un d’eux avait dénigré la valeur du voyage de l’autre, et cela lui valait un coup de poing sur la gueule. C’était ainsi que cela se passait chez les hommes voyageurs. Mais il en allait tout autrement pour les hommes voyageurs qui, en retrait du groupe, épandaient leurs prouesses touristiques auprès des demoiselles...

XII

Je demandai une bière au serveur. Puis, j’attendis qu’on vînt à moi.

Il y eut d’abord deux Hollandaises. Elles me courtisèrent un peu du regard, puis elles se placèrent devant moi. En fait, au D’Artagnan, si une femme vous aborde, elle se tient d’abord devant vous, raide comme un piquet, en ne disant pas un mot. Elle attend que vous lui racontiez votre récit de voyage. 

Mais avant de tout lui raconter, vous devez bien évidemment nommer la ville que vous avez visitée et dont vous souhaitez lui parler. Une fois la ville nommée, elle décidera si oui ou non elle a envie d’en entendre davantage sur cette ville que vous lui avez proposée. 

Certaines personnes toutefois ont un nom de ville bien précis en tête lorsqu’elles vous abordent... Ce fut le cas de mes deux Hollandaises. Elles ne voulaient entendre parler que d’une ville : Québec.

J’eus beau leur dire que j’étais Québécois, leur répéter que j’étais originaire de la « province » de Québec, mais elles n’en crurent rien. De toute façon, je n’aurais pas pu m’entretenir davantage avec elles... La ville de Québec m’était absolument inconnue. J’avais bien parcouru la rive sud du Québec, ainsi que Sorel, plus au nord ; je connaissais bien Montréal, même que j’y habitais la plupart du temps, dans un appartement sur le Plateau Mont-Royal... Mais Québec, je n’y étais jamais allé. 

Bien sûr, j’aurais pu mentir et improviser le récit d’un voyage qui n’avait jamais eu lieu. C’est là une chose qui se voyait souvent, mais il aurait fallu que mes deux Hollandaises eussent été bien plus jolies pour que je consentisse à leur inventer un faux récit simplement pour garder leur compagnie, et comme elles étaient laides, je me consolai bien vite de leur départ. 

Elles tournèrent sur leurs talons, aussi raides qu’elles m’étaient apparues, et se dirigèrent vers un noir qui, en plus d’avoir visité toute l’Afrique, revenait de Québec, la ville. Il avait été adopté à l’âge de neuf ans par une famille de Beauport et chaque fin de semaine, sa mère et lui magasinaient dans la vieille capitale. Vraiment, la ville de Québec n’avait plus de secret pour lui.

Les Hollandaises se tinrent devant lui, prêtes à absorber tout le récit du noir. Quant à moi, eh bien personne ne venait me voir. J’avais envie de m’attacher autour du cou un carton sur lequel serait écrit « Bonjour, y a pas quelqu’un qui aimerait entendre parler des zèbres de Provence? »

Non, personne. Il y avait bien plusieurs oreilles au D’Artagnan, mais pas une pour écouter mes histoires. Je perdis peu à peu confiance en moi. Je sirotai tranquillement une bière. Puis une autre. Les heures passèrent et vers vingt-deux heures, un DJ se profila dans une fumée spectaculaire derrière un comptoir. Il augmenta le volume. Il invita à danser... Mes deux Hollandaises qui sautent autour du noir... La musique qui me tape sur les nerfs...

XIII

Puis, comme j’attendais au vestiaire pour récupérer mon manteau, une femme se mit à me dévisager. Je pensai alors mon visage ne lui plaît pas et puis non ; je me rendis compte qu’elle se tenait raide comme un piquet ah! C’était ça! Le signe qu’elle voulait entendre mon récit de voyage!

Mais la musique jouait si fort...! J’eus peine à entendre ce qu’elle me dit. Ses mots se confondaient, si bien que j’en mélangeai certaines lettres :

- Moi, me dit-elle, c’est Londres... Je suis obsédée par Londres. J’en ai une fixation... 

- Comment? Vous êtes obsédée par l’ombre? Si je comprends bien, c’est une phobie que vous avez!... Je vous entends très mal!... ?Hum, alors, dites-moi, le noir vous fait-il peur en ce moment?

J’eus à ce moment-là le malheureux réflexe de regarder en direction du noir, celui-là autour duquel deux Hollandaises soûles dansaient.

- ? Non, me répondit-elle, il ne me fait pas peur, le « Noir », comme vous dites... C’est un ami à moi. Et puis, pourquoi vous dites ça? Il n’y a pas tant de Noirs à Londres...

- Mais si, tout le monde devient Noir lorsqu’il est à l’ombre!... ?

- ? J’y suis allée et je n’en suis pas revenue noire! Vous voyez bien que je suis blanche... Et vous, y êtes-vous déjà allé?

- À l’ombre? Souvent, oui! Surtout l’été... J’adore! Lorsqu’il fait chaud.

- Oui, c’est pareil pour moi! Les terrasses à Londres sont sensas’! 

- Eh... oui. Je n’en connais pas d’autres! Mais alors, vous aimez l’ombre! Vous n’auriez pas peur donc, si je vous emmenais à l’ombre? Si vous voyez ce que je veux dire... Simplement pour s’amuser un peu... 

- Non, je n’aurais pas peur! Au contraire, j’en serais ravie! Je pourrais vous faire voir des tas de trucs que vous n’avez peut-être jamais vus!

Mes yeux s’écarquillèrent. Elle parlait de l’ombre comme s’il s’agissait d’une ville, d’un pays. Puis elle disait qu’à l’ombre, elle me ferait voir une foule de choses, comme si elle parlait de ce qu’elle me montrerait de son corps. 

Elle était folle. Et moi eh bien je ne sais pas, peut-être étais-je fou d’elle.

XIV

Le problème, dans une relation basée sur ce qui semble être un quiproquo, c’est qu’une fois la musique arrêtée, on ne rit plus. Nous avions passé une splendide soirée à l’ombre, je dirais même à la noirceur, dans une chambre du D’Artagnan. Mais, au matin, j’avais le sentiment de m’être trompé sur toute la ligne au sujet de cette fille. Je ne connaissais même pas son nom :

- Hé, j’y pense, tu ne m’as pas dit ton nom! lui dis-je.

- C’est vrai... J’ai oublié... me répondit-elle.

- Veux-tu me le dire ou...?

- Ouais bien sûr! Sylia Desfleurs... 

- Quoi? Tu ne me le diras pas s’il n’y a pas de fleurs? Je vais t’en chercher alors... Attends-moi!

Des murs en forme d’ailes de papillons battaient sur la porte de la chambre et le D’Artagnan tremblait, sous mes pas sur l’escalier, il a tremblé encore pour les fleurs que tu me demandais et que je courais te les chercher pour ton nom immédiatement à la réception, mais la dame n’avait pas de fleurs à vendre alors merde, je suis sorti du D’Artagnan rue Vitruve j’ai couru, jusqu’au Franprix, mais toutes les fleurs m’ont semblé trop cheap et au Monoprix, y en n’avait pas, alors j’ai intercepté ce mec dans la rue qui tenait un bouquet de fleurs digne des reines d’Angleterre et je lui ai dit - Hé M’sieur! Vendez-moi ça pour quinze euros! D’acc’? Il a dit non et j’ai rajouté - Putain, vingt euros alors! Dites pas non! Si vous dites non, si vous dites ce que je vous assomme! Il a refusé oui il a dit non tu m’imagines, merde pas le choix : je l’ai frappé lui ai volé son bouquet, vraiment, suis parti en courant, défilé, suis remonté, à la chambre, ouvert la porte mais tu n’étais plus là dans le j’ai paniqué, moi aussi fouillé dans l’air ta bouche avec les minces cheveux blonds dedans que tu respires les mèches et goûtes tes cheveux qui descendent sur ton front que j’embrasse et respire et goûte tes mèches blondes et puis au moment de tes petits doigts tout s’est mis à tourner autour des fenêtres arrondies comme les yeux de mouches c’est à ce moment-là que la police a défoncé comme des abeilles et c’était prémonitoire et la porte s’est envolée par les fenêtres et les policiers sur leurs chevaux m’ont dit de me tenir droit - Tenez vous droit, ils ont dit, droit! Raide comme un piquet! Ce que j’ai fait j’ai fait raide, raide comme un - Quoi?!? Vous venez d’Hollande?!? qu’ils m’ont demandé et - Vous l’avez caché où, le tableau de Van Gogh?!? Répondez! Ils m’ont donné les coups de matraques ça a été la douleur mais je répétais que - C’est pas moi, c’est le Noir qui l’a volé! Il l’a caché dans l’ombre! Il s’est enfui avec! À Québec! Voilà de l’argent, prenez tout! Mais laissez-moi mes fleurs! C’est pour elle! Si vous me les enlevez elle me dira jamais son nom! Et j’ai regardé les officiers dont l’un d’eux s’est changé en toi comme un fantôme à l’envers il a pris ton visage et tu a pris son corps c’était un échange de maintenant tu étais une policière et c’était ton visage sur lequel il y avait ce casque d’officier de la police française et c’était toi avec le chapeau dur dont j’ai commencé à le sourire mais c’est qu’à ce moment-là de je me suis réveillé plus de voix comme t’un mot s’est perdu et le reste de mes mots se mélangeaient au réveil comme la désyntaxe de folle et fiou je me suis réveillé! Fiou je me suis réveillé et fou à mon réveil, fiou tu étais là... Plus belle que la veille... Et je souriais parce que tu étais là...

Oui. Elle était là. Sylia. À côté de moi. Je m’appropriai de nouveau le réel, et ma langue et mes mots, et descendis du lit. Tout cela n’avait été qu’un mauvais rêve. Elle dormait encore. Je lui souriais, impatient d’être témoin de son réveil. J’attendis qu’elle se réveillât complètement. Puis, mes yeux au-dessus des siens, je lui demandai son nom. Cette fois, pas de méprise :

- C’est quoi ton nom.

- Sylia. Des fleurs? Oh! Merci...! Elles viennent d’où?

- Dehors. Derrière l’auberge. Il y en avait un peu... et j’ai pensé peut-être tu me diras plus facilement ton nom s’il y a des fleurs...

Elle sourit. Je n’avais pas parcouru tout Paris pour cueillir ces fleurs. Mais j’eus tout de même l’impression d’avoir réalisé l’impossible, simplement pour la garder près de moi. La frousse de ma vie. 

Avec sa main, elle dégagea joliment son visage, plaça quelques cheveux derrière ses oreilles.

- Et puis, me dit-elle, pour Londres, ça tient toujours?

- Londres? demandai-je. 

- Oui, tu sais, on en parlait hier...

- Ah oui? Bien sûr! J’aime bien Londres...! disais-je en ne me souvenant de rien.

- Ouais... chuchota-t-elle presque à elle-même. Moi, c’est Londres... Cette ville m’obsède...

Elle soupira et se rendormit et je pensai cette fille est obsédée vraiment, elle a de ces obsessions qui riment et alors, pourquoi pas ; c’est joli, on prendra le train demain. Pour Londres.

XV

Plus tard, ce matin-là, je me souviens de mon regard triste devant la télé. Je m’en souviens à un tel point que c’était comme si pendant un instant j’étais sorti de moi-même, rien que pour contempler ce regard trop triste que j’avais.

Vers onze heures, je regagnai ma chambre rue Belgrand. Je fis mes bagages. Pour Londres. Puis j’ouvris la télé. Pour voir. Au bulletin d’information, les journalistes parlaient d’un étrange phénomène ayant rapport à ce zèbre de Provence. Quelque chose n’allait pas. D’où mon regard triste.

« Ce zèbre n’aurait pas dû exister », disaient-ils. 

Mon zèbre avait bousillé l’écosystème de la région. C’était ce que je craignais. 

- Sylia, je ne pourrai pas aller à Londres... lui dis-je au téléphone. Il faut que j’aille à Arles. C’est ma faute. Tout ce qui se passe. Tout ça, c’est ma faute.

Carnets de Luc Harnais I

Les zèbres de Provence


I

Tout cela débuta à Paris. Aéroport Charles de Gaulle. 11h30. Il y avait, en arrivant, ce que je vis depuis le hublot de l’avion : de grandes terres fermières, presque des vaches, en tout cas, tout un lot de gazons déserts qu’on aurait dit broutés par les boeufs de l’Alsace. 

Mais je ne vis pas les boeufs. Ils se cachèrent dès mon arrivée sur Paris. Les animaux sont ainsi : ils ne se montrent pas tous au premier coup d’oeil. Ils ne montrent qu’une quantité d’eux-mêmes. Celle que l’on veut voir. Il faut savoir parfois les chercher. Et c’est ainsi que l’on découvre chaque jour quantité de nouvelles espèces. Et c’est ainsi qu’il n’est pas impossible de trouver encore un dinosaure bien vivant. Mais je ne vous parlerai pas des dinosaures. Pas cette fois. 

Je vis en France toutefois bien autre chose. Il y eut d’abord les asphaltes. Puis vinrent les maigres contrôleurs. À vrai dire, je ne me rappelle pas m’être fait contrôler par qui que ce soit. J’ai tenté du mieux d’échapper aux douanes. Les bureaux ne m’ont pas fait attention. Ils n’ont pas fouillé mes bagages. Et ils regrettent à présent de ne pas avoir découvert ce que je trimbalais dans mes poches depuis Montréal : des pissenlits. 

II

Ça paraît idiot, comme ça mais, quand, dans un pays, vous apportez des pissenlits d’un autre pays, vous ébranlez l’écosystème. Ça fout la merde. C’est pour ça que c’est interdit de ramener des racines de voyage. Vous plantez ça... et on ignore ce qu’il advient de ces racines d’apparence si inoffensives. Moi, je l’ai fait. J’ai cueilli mes pissenlits à Sorel. Certains disent que c’est là le coeur du Québec. Moi je n’en sais trop rien. Mais c’est possible. J’ai souvent eu mal au coeur à Sorel.

Je vous préviens : il faut faire très attention d’où on prend les pissenlits. Si je les avais cueillis à Tracy, par exemple, l’effet n’aurait pas été le même. Les pissenlits de Tracy, bien que les deux villes se côtoient, sont très différents de ceux de Sorel. Ils sont de moins bonne qualité. Ils sont trop frais. « Frais chiés », comme dit mon cousin belge. Parce qu’ils s’imaginent vivre dans une ville meilleure que les autres, ils poussent tous droits. Ils deviennent snobs. Ils ont les pétales en l’air. Ça énerve. Et ça ne fait rien de bon. 

Les pissenlits de Sorel sont nourris à la bière. La bière des jeunes qui renversent leur Black Label. Ou la bière encore très liquide dans le vomi des mineurs soûls qui sont malades à la sortie des bars. À Sorel, vous avez des tas de pissenlits près des bars. Et c’est là que j’ai pris les miens. Je les ai soigneusement placés dans un sac ziploc. Et j’ai pris l’avion pour Paris le lendemain matin.

III

Après avoir passé les douanes, j’eus le champ libre pour planter mes pissenlits sorelois sur toute la France. J’avais sur moi ce petit carton me permettant de prendre le train pas plus de six fois. Mais six fois étaient bien suffisantes. Je ne voulais aller qu’à un seul endroit : la Provence. 

Je mis le cap sur Arles, ville de Provence. Je me rendis d’abord à Lyon, d’où je pris un train en direction d’Arles. À bord du train, je sortis ce petit carton que les poinçonneurs poinçonnaient, et je trouvai siège près d’une banquette de Français. Ils me demandèrent ma destination, et je leur dévoilai les raisons de mon voyage en Provence. 

J’avais entendu parler des zèbres de Provence, et j’en parlai à mon tour dans le train. Mais chaque fois que j’en parlai à ces Français, il se trouva qu’un hurluberlu provençal niât l’existence de telles espèces.

- Peut-être sont-ce les herbes de Provence dont vous voulez parler? me disait l’arrogant ignare.

- Ah ça non! rétorquais-je avec le même ton que mon snob d’interlocuteur, la faune n’a pas de secret pour moi! Pas plus que la végétation d’ailleurs... Il y a bel et bien des zèbres de Provence. Et si je ne vous en rapporte pas un bien de Provence, je ne m’appelle pas Luc Harnais!

Ils se mirent à rire et, voulant les faire taire, je leur racontai mon ambition de planter des pissenlits sorelois sur le pays. Ils rirent de plus bel et l’un d’eux me répondit :

- Ah, vraiment! Vous pissez au lit!

- Comment? dis-je. Vous voulez rire de moi. Pissenlit, bande d’ignares!

Pour ne pas que cela ne dégénérât en de médiocres jeux de mots, je gardai le silence pour le reste du trajet et décidément, ce fut une bande d’ignares à laquelle je ne voulus plus jamais reparler.

IV

Nous arrivâmes à destination et je débarquai seul à la gare d’Arles. En fait, j’y débarquai avec une myriade de cons descendant du train, des condescendants que je haïssais et dont je voulus m’enfuir. C’était une gare pour le moins délabrée à laquelle il manquait les contrôleurs, et aussi les policiers, pour autant que contrôleurs et policiers n’eussent pas été synonymes en cette région que je ne connaissais que par les livres.

Les livres les plus connus d’Arles étant les arlequins, j’avais beau tous les avoir lus, cela n’améliora en rien mon sens de l’orientation. Ces livres n’étaient pas du domaine de la géographie, mais bien de celui de la romance et qu’avais-je à faire, dans Arles, de la romance? La romance que j’avais lue ne m’aida pas à ne pas me perdre, et je m’y perdis assez rapidement.

V

À ma grande surprise, il y eut dans Arles plus de Chinois que d’Arle...equinois, et les rares fois où les peaux jaunes semblaient se dissiper à l’horizon, c’était au tour des Japonais de débarquer là où le tourisme était : dans les deux seules églises de la ville.

Car elles étaient deux, ces églises se répondaient l’une à l’autre et j’eus suffisamment de courage pour monter tout en haut de l’une d’elle, par une série d’escaliers dessinés par les pires architectes de France, me loger tout près de la cloche de ladite église. J’y rencontrai un homme qui me permit de faire sonner la cloche à ma guise, c’est-à-dire très fort, et je réveillai toute la faune d’Arles. Les animaux s’attroupèrent dans les champs et je redescendis voir quels étaient ces animaux étranges que j’avais tiré du sommeil.

En sortant de l’église, je reniflai un bon coup, mais mon odorat ne me permit pas de distinguer des airs quelque odeur de zèbre ou de boeuf, non, car l’odeur de riz, du thé et du ginseng des Chinois envahissaient encore beaucoup trop.

Je me dégageai de la masse et reniflai de nouveau.

- Qu’est-ce que vous sentez? me demanda un Chinois.

C’était la première fois que je côtoyais d’aussi près un ginsengois en chair et en os. Je me méfiai et, pour préserver intact mon odorat, je me cachai les narines derrière la manche de mon t-shirt. 

- Je sens les zèbres de Provence... grommelai-je. 

- Vraiment? s’étonna-t-il. Il en existe?

Bien sûr qu’ils existent, ces zèbres. Je lui lançai un soupir pressé et je me mis à courir vers les champs.

- Attendez! cria-t-il. J’ai sur moi quelques racines de ginseng! J’ai pensé en planter quelques-unes. Vous ne connaîtriez pas un bon endroit pour planter des racines de Chine?

- Je veux planter mes racines de Sorel, répondis-je. Ici, c’est mon territoire. Dégagez!

Il saisit mon bras, puis il fouilla mes poches. Il voulut détruire mes pissenlits et je dus le frapper au visage. Je m’en défis et, comme les autres Chinois le retenaient de courir après moi, je pus le semer. Je me rendis sur les champs au milieu desquels s’étaient attroupés tous les animaux que j’avais appelés par le son de ma cloche céleste.

VI

Je me retins pour ne pas pleurer... Et je ne voulus pas pleurer parce que c’était beau de voir ces animaux, non, absolument pas : c’était très laid! Des vaches! C’était très laid de voir ces vaches au milieu des champs, de simples vaches imbéciles! Pas un seul zèbre de Provence! Et je pleurai parce que j’étais pourtant si certain de leur existence.

VII

Tout de même, je me convainquis d’accomplir mon devoir : je plantai sur les terres de Provence les pissenlits que j’avais cueillis à Sorel. Aussitôt plantés, les pissenlits se ramollirent. Leurs racines tenaient toujours dans leurs minuscules trous, mais leurs tiges s’effondrèrent sur la tourbe. J’eus encore envie de pleurer. Le côté sentimental du arlequin avait déteint sur moi. Je m’empêchai d’être aussi sentimental en me répétant sans cesse que « nous ne sommes pas dans un arlequin, merde »!

Peut-être pleurai-je suffisamment sur mes pissenlits pour en nourrir les racines d’autre chose que de la bière, ou peut-être eus-je l’idée de puiser à la rivière de l’eau dans un vase, ou les deux, que sais-je, mais j’abreuvai mes pissenlits du mieux que je pus et ceux-ci retrouvèrent quelques formes convenables pour une fleur d’autant de prestance.

Mes pissenlits durcirent à la racine. Ils s’ancrèrent comme il faut dans la terre de Provence et les vaches s’en approchèrent. 

- Wô! Laissez mes pissenlits tranquilles! criai-je aux vaches.

Je fis le garde-côte devant la souplesse de mes pissenlits pour les garder de ces vaches laides que je repoussais en leur frappant les côtes. Jamais elles ne touchèrent les pétales de mes pissenlits, jamais elles ne s’en firent de salade : j’étais solide et si j’adorais le jaune des pissenlits devant moi, je redoutais toujours le jaune derrière moi qui sans doute souhaitait encore planter son foutu ginseng.

VIII

Au bout de quelques heures, je m’étonnai du calme dans lequel je me tenais. Plus aucune vache ne tentait de venir prendre mes pissenlits pour en faire du lait jaune, plus aucun jaune ne venait faire la vache en approchant son visage laid de mes pissenlits.

C’était le calme et je pus voir, à l’horizon, se profiler un petit cheval dont l’espèce m’était impossible à définir. Plus il avançait, plus j’hésitais entre le poney et la licorne, entre l’âne ou le grand chien ; mes yeux n’étaient pas bons et je dus les froncer pour distinguer les rayures d'un zèbre qui galopait sur l’horizon.

- Un zèbre de Provence! m’écriai-je. Je savais qu’ils existaient!

Le zèbre galopa encore jusqu’à ce qu’il atteignît finalement le but de sa quête : le pissenlit que j’avais planté. Il n’en fit qu’une bouchée et, contrairement aux vaches que j’avais repoussées, je le laissai faire.

Ses babines dégustaient le tendre des racines des pissenlits fermentées dans la bière ; le juteux du vomi des pétales à l’odeur de spaghetti ; ce fut pour lui un joyeux festin de fin gourmet et je ne dis rien sur toute la ligne. 

J’observai mon oeuvre : l’apparition de ce zèbre avec été causée par moi. À moi seul revenait le mérite de cette découverte splendide, et pour cela, je ne téléphonai jamais à Charles Tisseyre, ni même à National Geographic, car ce n’était absolument pas dans mon intérêt de faire là-dessus un documentaire d’une demie-heure où l’on raconterait l’inutile bêtise de mes comportements.

IX

Quand je repris le train pour Paris, il y eut encore devant moi quelques Français à qui je montrai fièrement les photos de mon appareil numérique parmi lesquelles se trouvaient celles du zèbre :

- Voyez! disais-je. Les zèbres de Provence existent! Bien sûr, il y a aussi les herbes, mais les herbes ne sont là que pour donner à manger aux zèbres.

Les Français, tout à coup, ne riaient plus. Je n’en rencontrai plus un seul qui se moquât de moi. Ils virent en moi un véritable héros à qui ils s’empressèrent de poser toutes leurs questions :

- Et les chèvres, est-ce qu’elles mangent du chèvrefeuille? 

- Oh, ça, répondis-je, ce sera pour une autre fois! Pour l’instant, il faut que j’écrive dans ce carnet toutes mes observations à propos de ce zèbre... Et peut-être pourrez-vous tout lire lorsque je publierai mes écrits. Ils seront publiés sous le nom de... Carnets de Luc Harnais! Joli, vous ne trouvez pas?

4 janvier 2009

En attendant l'amour




J’attends l’amour
Sur une chaise

Et je pleure
Parce qu’il ne viendra
Que le jour où je ne pleurerai plus

***

Mais je veux chigner!
Je veux pleurnicher!

J’ai tant besoin
D’être rassurée...

***

J’ai attendu l’amour
Placée n’importe où

Dans les supermarchés
Dans les pharmacies
Je l’ai entendu m’exciter

Mais chaque fois
Que je le spotais
Il s’enfuyait

***

J’attends encore l’amour
Cette fois debout

Et folle
Je lui parle
Je lui crie

Et soûle
Je lui fais peur
Je l’éloigne

***

Je t’attends!
Tu t’en vas!
Attends!

***

L’amour s’est éloigné
En attendant
Pour ne pas pleurer

Je ris