20 novembre 2008

Je vous renvoie





Je vous renvoie à Paysage de Russie. Puisqu’il ne faut pas lire à l’envers. Puisque vous ne lirez pas de toute façon.

Je vous renvoie à Paysage de Russie. Mais vous ne le ferez pas. Puisque vous lirez Trois-Rivières.

Je n’ai aucune emprise sur le lecteur. Il fait ce qu’il veut. Mais j’ai passé une soirée à écrire ceci. J’ai passé une année à écrire cela. Des personnes m’ont mis des bâtons dans les roues. Prétextant que je ne savais pas écrire beaucoup.

Huit textes en une soirée. De « Je jardine » à « Je vous renvoie ». J’écris peut-être, mais parfois je n’écris pas. Mais quand on pense qu’une idiote de l’uqam ne sait écrire qu’un seul texte en une année, j’accepte que l’on me qualifie de prolifique.

Mais la question n’est pas tant d’écrire tant. La question est de savoir quand exactement perdre son temps. Car l’écriture est une perte de temps, ceux qui savent mieux perdre leur temps, savent mieux écrire.

Cela dit, je vous renvoie à Paysage de Russie. Mais vous ne le ferez pas.

Trois-Rivières





À tant lire à l’envers
Je me suis perdu à l’endroit

Mes limites t’ont débordé
Tu as couru voir ailleurs

Trois rivières coulant au nord
Dans le froid de mes bêtises

Je me suis pris de nouveaux ressacs
Pour pallier à tes absences

Une troisième ignorante
Menaçante de notre couple

Mais rien ne vaut ton absence
Lorsque je l’anime de mes songes
T’imaginant sur mon mur

Comme un pauvre peintre
Que je suis avec les couleurs

Du gris ou du vert
Du vert ou du gris
Que le droit soit l’envers

Peu m’importe puisque je me lis

Territoires du Nord-Ouest





J’ai fait pousser le nord
Je t’ai redonné l’ouest

J’ai fait mon territoire
Sur cette eau seule
Car je voulais être seul

Je regrette à présent
De m’être autant limité
Car dans mes limites
Tu n’as trouvé de liberté

Que dans les limites des autres

Vancouver





Ma bière est un biberon
Qui suce mes pensées

Plus j’en avale
Moins je dévale

Sur les traces de la marche
J’ai couru
Jusqu’à ce qu’elles se vengent de moi

J’ai pleurniché sur les femmes
Mais elles n’ont pas voulu de mes larmes

Quelques fois
Elles m’ont fait la pitié
M’accordant un regard

Mais dans leurs plus creux
Elles m’ont vu
Me moquant de la liberté

J’ai sucé
Le plus rocheux de mes pensées

J’ai soufflé
À leur oreille
Les vents couverts
J’ai pleuré

Moi non plus
Je ne veux plus de mes larmes

Les plaines d'Abraham




Je me suis vidé la tête
Depuis l’écriture écrit mieux

Mais je ne veux pas écrire
Car je ne veux pas penser
Et l’écriture est pensée

J’ai joué dans les feuilles
Il n’y a pas de sous-entendu
Les chiens couraient dans les plaines
Tachés de la mort des feuilles

Je n’ai pas écrit
J’ai joué
Et dès lors que je joue
L’écriture se joue
Sur moi comme un cerceau

Elle tourne
Et m’enivre
Comme les chiens courent sur les plaines

J’ai accepté de ne plus être dedans
J’ai accepté de me mettre sur

Depuis les pages tournent
Tournent sans cesse
La musique de mes premiers romans

United States




De plus en plus facilement
J’écris

J’évite les lapsus
Je retiens les mots
Je sais les retenir
Quand il ne faut rien dire

Je sais reconnaître
Ceux qui me sont venus
Trop de fois
Celles qui me sont parties
Trop longtemps

Mais j’ignore ceux qui sont à venir
Mais j’ignore celles que je devrais écrire

Entre toi et la terre
Entre la terre et l’univers

Quelque chose s’est dispersé
Démunie
Entre toi et moi

Avec le temps
Je sais choisir
De plus en plus facilement

Mais j’ignore ce qui est venu
Mais j’ignore ce qui tarde à écrire

Tu m’unis

Parfois un vers
Une réplique
Fait mieux comprendre
Ce que je tente de comprendre

La terre et le vers
L’univers et l’envers

C’est toi qui les unis

Terre neuve




Mais à part écrire
Je n’ai pas grand-chose à faire

J’ai fait pousser le nord
Tu as fait fondre les pôles

Ce n’est qu’une esquisse
D'un espoir que tu me reviennes

D’inventer la vie
Dans ce carré de terre neuve

Mais à part écrire
Je ne peux rien dicter
De tes retours

J’ai laissé les espaces s’espacer
Mais ton espace demeurera le mien

J’ai couché sur papier
J’ai couché sur le divan

Mais à part écrire
Je n’ai lieu qu’en dormant

Paysage de Russie : Ex Novina Embley T.S.1.





Je m’appelle Ex Novina.
Pas de gêne. J’ignore moi aussi d’où vient mon nom. Il faut dire que. Tout le monde n’ignore-t-il pas d’où vient son nom...? Il y a toujours au moins quelques raisons qui sont restées inconnues. Cachées quelque part. Dans les terres froides de l’est. 

Il faut dire que j’ai eu un père. 

Il était gris. Vous savez, le gris. Le gris-vert. Le gris-vert strié de blanc. Comme dans les machines. La Russie. Le communisme. Ce que ça vous dit. Mussolini. La hache. Écoutez... Vous n’avez pas écouté...

Je vais répéter. Mais ne me faites pas répéter. Je ne suis pas de celles qui répètent. D’ailleurs, je ne suis de celles de rien...

Il faut dire que j’ai eu un père que je n’ai vu qu’une seule fois. Et vous imaginez l’image que j’en garde. Elle n’est qu’une seule. Une seule image figée. Fixée dans le temps. L’image n’est pas fabuleuse. 

Mon père chauffant le métal d’un bunker russe. Puis sa torche ventait. Elle coupait le froid. Elle coupait les grands tuyaux métalliques. Métalliques et gris. Le gris-vert dont je vous parlais. 

Sur moi, de minuscules et rares flocons tombaient. La neige des premiers froids. Je tenais les boyaux de ses bonbonnes d’oxygène. Les gaz nécessaires à la coupe. Et je sortais de ma poche, quand il le fallait, un briquet. Alors sa torche se mettait à flamber. Et le bunker n’avait qu’à bien se tenir.

Et cette fois-là a été la seule fois où j’ai vu mon père. Mon père à l’oeuvre dans les bunkers de Russie. Il y avait, sur le tuyau qu’il coupait, de minces lignes. Des éraflures. Blanches. Sur le gris-vert. Et m’approchant du gris-vert, je me suis demandé pourquoi les artistes de mon pays avaient eu l’intuition de l’art abstrait.

Peindre. Sur de grands tableaux. De pareilles couleurs. De pareilles éraflures. De grandes crevasses dans le métal. De pauvres rouilles effritées. C’est une offense aux morts. Une offense à la guerre. À la laideur.

C’était le trou de l’humain qui s’épandaient à la couleur. De frêles ratures sur des tuyaux de trois pieds de diamètre. De solides tuyaux ancrés dans la terre. D’inutiles tuyaux que mon père devait couper. En vue de la construction des bunkers de la guerre. 

Et la torche faisait son travail. Une fois le tuyau coupé, nous l’avons enlevé de là. Il ne restait alors qu’un cercle d’acier au ras du sol. Mais il restait aussi ce qu’il y avait d’emprisonné dans le tuyau. Une femme morte.

Quelqu’un avait enfermé une femme dans ce tuyau. Ce cylindre était un cercueil. Nous ne le savions pas. J’ai vu mon père ne rien dire. Je me suis vue paniquée. Je n’étais qu’une fille de seize ans à l’époque. Et je crois que si, aujourd’hui, j’hésite à vieillir, c’est justement à cause de cette image de mon père.

Ce paysage de Russie. De minces flocons sur mon front. Un étonnement lors de la découverte du cadavre dans le cylindre.

Ce cylindre qui pourtant était si beau. Ce cylindre qui n’était pas qu’un objet glacé. Ce cylindre qui était notre pays. Notre froid. Notre stature. Notre art. Et le béton qui l’entourait. Béton armé. Armé de tiges de fer. C’était un béton dégoulinant de glace. De blanc glissant. Givré et noir.

Un tank dans l’armature. Des gens en pantalons camouflage. Noirs et blancs. Des gens trop pauvres pour les bazookas. Mais trop riches pour les grenades. Un sol parsemé de mines. Nous regardions où nous marchions. Mais nous ne marchions jamais sans savoir que nous ne savions pas où aller.

Quand mon père a découvert la femme morte dans le tuyau, le vent m’a éloignée. Quatre hommes armés ont tiré sur mon père. Aussitôt. Des fusils russes. De vieux Berdan. Un semi-automatique. Le M1 Garand. Les gardiens du bunker ont descendu mon père. Un malentendu. Ils ont descendu mon père pour un malentendu. Et je n’y comprenais rien.

Après, les gardiens ont douté de moi. Ils m’ont demandé mon nom. Mais je n’ai pas su quoi leur répondre. Ma mère m’appelait Anisha mais je n’avais pas eu de mère.

Les gardiens n’ont pas pris de chance. Ils m’ont enfermé ailleurs. Pas dans un de leurs cylindres cette fois. Simplement. Derrière une grille. Et j’ai cessé de vieillir. Je suis restée jeune. Et pour vous Américains, c’est un but. Pour moi, c’était un calvaire. Je suis demeurée poignardée par un âge. Seize ans. Une grille. De rares flocons. 

Mais ce n’est pas pour rien que mon père avait ouvert ce tuyau-là. Il avait de grandes ambitions révolutionnaires. Une partie de la révolte. Un mouchard. Il savait que dans ce cylindre se cachait le cadavre d’une morte. Il avait appelé la police auparavant. Brave.

Les gardiens avaient beau manipuler la morte. Il était trop tard. Les fusils allaient parler. Les gardiens ont tiré. La police aussi. Les gardiens du bunker ont gagné contre la police. C’était la guerre. C’était du hasard. Des balles. 

C’était la guerre. Il n’y avait pas de police. 

C’était à qui l’arme la plus forte. Et ceux qui voulaient économiser de l’argent en n’achetant que des AK-47 payaient le prix : ils perdaient. 

Je me suis retrouvée dans ce bunker sans pouvoir en sortir. J’y ai passé deux ans. Et c’est probablement d’où vient mon nom. Ex Novina Embley T.S.1. Une formule pour repérer les détenues. Rien de plus. Et dans tout cela, mon père est mort. Mais je ne sais pas ce qui me touche le plus. Sa mort, ou le paysage russe. Car je suis bien plus nostalgique de ma Russie que de mon père. 

Trouvez-moi égoïste. Sans-coeur. Trouvez-moi méchante. 

Mais ici, au Canada, vous avez beau avoir l’hiver. Ils vous manquent toujours les armes.

Je jardine




Je jardinais l’hiver
Car je n’écrivais que l’été

Je ne pensais à rien
Et je ne savais faire rien
Que l’envers de tout

Je me mêlais à la terre
Mais la terre ne se mêlait pas

J’arrachais les herbes mauvaises
Comme d’autres arrachaient les mauvaises herbes

Je me fâchais contre moi-même
Comme d’autres tuaient des vaches

Je me détestais
Comme ceux qui me détestaient
Me détestaient

Puis un jour
J’ai tassé la neige
Et la lumière a été

Tout le monde est mort
Je suis seul vivant
Et seul responsable
De la mort des autres

11 novembre 2008

Elle est laide

Elle aurait pu
Avoir les lèvres charnues
Les cheveux noirs
Sexy rien qu’à les voir

Elle aurait pu
Avoir le visage joufflu
Les cheveux blonds
Les petits seins bien ronds

Elle aurait pu
Avoir quelques retenues
Les cheveux roux
Quelques taches dans son cou

Mais elle est laide
Mais elle est laide
Mais elle est laide
Mais elle est laide

Elle aurait pu
Me séduire de plus en plus
Les cheveux bouclés
Le nez un peu retroussé

Elle aurait pu
M’apparaître toute nue
Les cheveux frisés
Les yeux bleus éclairés

Mais elle est laide
Mais elle est laide
Mais elle est laide
Mais elle est laide

Pourquoi faut-il
Que chaque fois que je rencontre
Une nouvelle fille
Chaque fois je me rends compte
Qu’elle est laide
Elle est laide
Elle est laide
Elle est laide

Pourquoi la vie
Se venge-t-elle ainsi
Sur moi de cette façon
Je ne suis pourtant pas con

Pourquoi faut-il
Que chaque fois que je rencontre
Une nouvelle fille
Chaque fois me rends compte
Qu’elle est laide
Elle est laide
Elle est laide
Elle est laide

Les sourcils mal épilés
Dans son front des boutons d’acné
Sa bouche difforme
Un sourire hors norme

Ses cheveux dépeignés
Ses yeux écartés
Ses dents jaunies
Son sexe vieilli

Elle n’est pas belle
Elle n’est pas belle
Elle n’est pas belle

Les lèvres rongées
Entre ses doigts la saleté
Ses doigts gonflés
Ses jambes boursouflées

Elle n’est pas belle
Elle n’est pas belle
Elle n’est pas belle

Pourquoi faut-il
Que chaque fois que je rencontre
Une nouvelle fille
Chaque fois je me rends compte
Qu’elle est laide
Elle est laide
Elle est laide
Elle est laide




Pourquoi faut-il
Que chaque fois que je te vois
Je te trouve belle

Pourquoi faut-il
Que tu sois la seule
Qui soit belle

Tu es belle
Tu es belle
Tu es belle

La seule qui soit belle
Et pourtant

La seule qui soit celle

6 novembre 2008

La dualité des mots

Parfois, un mot en contient un autre. Je veux dire par là que certains mots sont capables d’en englober d’autres. Comment dirais-je... Certains mots sont meilleurs que d’autres. Certains mots mangent d’autres mots. 

Si je vous disais... Forêt, ou tronc d’arbre? Lequel des deux mots mange l’autre? Eh bien, je suppose qu’il y a plusieurs troncs d’arbre pour une seule et même forêt et que la forêt est plus grande que la locution tronc-d’arbre et qu’alors la forêt englobe le tronc d’arbre et que pour cela, tel mot en englobe un autre et cela, en fait, cela n’est pas un bon exemple car ce n’est pas du tout ce dont je veux vous parler à vrai dire, dans ma tête en ce moment, les forêts je les ai bien loin quelque part. Dans mon cul. Mais là encore ce n’est pas ce dont je veux vous parler... 

En fait,

Je réfléchissais. Je réfléchissais à cette dualité des mots. Je réfléchissais au fait que certains mots puissent en englober d’autres ; en manger d’autres ; et je trouvais bien les mots voraces et je trouvais les mots sans pitié décidément, les mots peuvent-ils se faire la guerre? Y a--t-il une société de mots ; une sorte de guerre entre mots-pauvres, mots-riches, mots-scientifiques, mots-religieux et surtout, certains d’entre eux peuvent-ils légalement gagner le combat? Le mot piscine l’emporte-t-il nécessairement sur le mot eau, simplement parce que la piscine contient l’eau? Il m’a semblé que mon questionnement était essentiel et pour cela, vous pouvez rire de moi mais, ce n’est pas de votre manière affreuse de rire que je veux parler.

En réalité,

Je réfléchissais à cette dualité des mots. Et elle m’a quitté. Elle. Vous vous demandez qui. Ma fiancée. Elle est sortie par la porte. Et c’est d’elle que je veux vous parler. Pas de la porte... D’elle : ma fiancée. C’est d’elle que je veux parler. Si vous ne savez pas faire la différence entre une porte et ma fiancée, c’est que vous ne l’avez jamais vue. Ma fiancée ne se ferme pas, elle est toujours open et de toute façon, elle n’a ni poignée ni penture et je n’ai jamais dit que c’était un défaut que de ne pas avoir de penture...

Alors,

Elle m’a quitté. Et je sais que vous trouvez cela compréhensible, mais vous êtes incompréhensibles et elle m’a quitté et j’ai pensé au mot appartement, qui lui contenait le mot porte mais putain, j’ai beau avoir la maison, si elle est sortie par la porte qu’est-ce que j’en ai à foutre du mot maison, qu’il contienne la porte je m’en tabarnà ce moment-là, j’ai cessé de réfléchir. J’ai cessé de réfléchir à la dualité des mots.

Et j’ai pensé. Et comme dans les films j’ai pensé à un film que j’adore vous savez, savez-vous - vous savez c’est quoi le film que j’adore? Vous ignorez le film que j’adore! Vous êtes de grands ostil est vrai que vous êtes ignorants, mais je ne veux pas parler de votre ignorance en général, mais il y a un film que j’adore. À un moment dans ce film-là, l’acteur se met à pleurer parce qu’il écoute un CD de musique qui lui fait penser à celle qu’il aime et il écoute la musique et il pleure parce qu’elle l’a quitté et je crois que je devais écouter de la musique mais aussi, je pensais et j’ai pensé.

Je me souviens d’elle... Elle venait de me quitter mais déjà je pensais ses cheveux faisaient de jolis ronds bouclés mais je suis con et quoi, pourquoi t’es con? me suis-je demandé. Je me suis demandé, je me suis parlé et ça a été le début de la merde.

D’ailleurs, n’est-ce pas toujours le début de la merde quand on commence à se parler? Je veux dire, tout va bien avant ce moment-là, avant cet âge-là critique où l’on commence à se parler à soi-même. À cinq ans, se parle-t-on à soi-même? Je ne crois pas. Et je crois que c’est à force d’entendre les autres parler qu’on commence à entendre leur voix même lorsqu’ils ne sont pas là, et je crois que c’est à force d’entendre notre propre voix dans notre tête, à force de réflexion, qu’on se décide un bon jour à expulser notre voix intérieure à l’ensemble du réel et c’est tout un putain de gâchis que de l’entendre résonner à la grandeur d’un appartement. 

Quand on y pense, écrire, c’est écrire ce qu’on s’est toujours dit à haute voix sous la douche ou ailleurs. Et à vous qui me répondez que vous ne vous parlez jamais à vous-mêmes, je vous réponds qu’il vous arrive de fredonner des chansons sous la douche et même d’en crier les paroles et c’est la même ostil est vrai que c’est la même affaire, sauf que d’accord l’imagination vous manque, et même si je ne veux pas parler de votre manque d’imagination, vous êtes des tabarnà bien y penser, vous n’êtes pas différents de celui ou celle qui marche vers cet endroit détesté et qui se dit à haute voix dans la rue

Je suis con
Je suis conne 

Je pensais encore ses cheveux faisaient de jolis ronds bouclés je me suis demandé pourquoi j’étais con mais j’avais aussi dit que ses cheveux faisaient de jolis ronds bouclés mais j’ai dit ; j’ai dit je suis con parce qu’un rond, c’est déjà une boucle ; dire qu’elle avait de jolis ronds bouclés c’est con ; un rond, c’est plus, c’est mieux qu’une boucle...

Je pensais encore... Je me suis demandé pourquoi t’es con mais elle avait sur ses avant-bras des manches avec de jolies rayures lignées mais je suis con ; j’ai dit je suis con parce qu’une rayure, c’est déjà une ligne ; une rayure c’est plus, c’est mieux qu’une ligne...

Et je pensais encore... Je me suis demandé pourquoi t’es con mais je buvais un verre de vin et en faisant le con, j’ai brisé la coupe et le verre m’a coupé mais je suis con ; j’ai dit je suis con parce qu’un verre, c’est déjà une coupe ; un verre c’est plus, c’est mieux qu’une coupe...

Et j’étais en train d’arrêter de penser... Je me suis demandé pourquoi t’es con mais je l’aimais peut-être seulement comme une amie mais je suis con ; j’ai dit je suis con parce qu’une amoureuse, c’est déjà une amie ; une amoureuse c’est plus, c’est mieux qu’une amie...

Là, j’ai arrêté de penser et du coup tout le monde a été heureux.

Il n’est restée qu’une petite voix, une petite voix de vous qui me disiez « c’est déjà bon de ne plus t’entendre te moquer de nous autres ; c’est déjà bon de savoir que tu ne penses plus, mais peux-tu cesser d’écrire, et aussi tant qu’à y être, peux-tu cesser d’exister? »

...et j’ai rajouté timidement mais j’adore ce film-là où le gars pleure jour et nuit en écoutant de la musique et le gars doit séduire celle qu’il aime, jour après jour il doit la séduire parce qu’elle perd la mémoire et jamais le gars ne prend la fille pour acquis et toujours, chaque jour, il tente de la séduire parce qu’elle a envie d’être séduite...

« on t’entend encore et c’est désagréable... ferme-la donc pour toujours... »

..mais... et jamais, jamais elle n’est véritablement séduite mais il la séduit, encore, elle n’est jamais séduite mais il la séduit et c’est pour la vie et c’est ça qui est beau, c’est que c’est pour la vie...

« on est tannés que tu nous parles de toi... »

...mais je ne parle pas de moi je parle d’un film et de la vie...

« mais maintenant on aimerait ça jaser en paix ; on aimerait ça que t’arrêtes d’exister... »

À jamais?