29 janvier 2007

La mort

La mort, c’est comme l’enfance… on en parle toujours, mais on écoute jamais… y aurait moins de morts… si on écoutait…

Un cadavre, c’est jamais drôle. Sauf quand c’est mort en chuchotant des mots doux. Là. C’est drôle.

Ça chuchote la mort… avec la corde au cou… les pantins connaissent ça… la corde est pas toujours visible… des fois elle est dans la tête… c’est ça qui est drôle… elle pourrit avec les mouches du cerveau…

Une adolescente se met du mascara. Tourbillons dans les yeux. Tourbillons et mini jupe devant le miroir. Dans dix minutes. Son copain viendra la chercher. Faut pas danser devant papa. Faut pas semer le doute.

20:11… 12… 13… ce sont pas des minutes… ce sont des gouttes d’eau… du robinet du lavabo… c’est pas à chaque fois que quelqu’un va mourir que ça craque au grenier… 14… la mort a plein d’autres façons de faire les choses…

L’adolescente, c’est ma sœur. Elle a un copain depuis hier. Ils vont s’embrasser. Je connais ça. Je suis un peu trop jeune pour connaître ça. Mais je connais ça.

15… c’est drôle qu’elle va mourir ce soir… 16… c’est parce qu’elle a peur de papa… qu’elle a peur des échelles…

Elle replace ses draps. Le parfum de lui pas trop loin dans les narines. Y a des gens qui feraient absolument tout pour les autres à condition que l’amour existe.

17… 18… elle a fait une sieste... avant de le revoir… pour être en forme parce qu’ils ont pas l’intention de dormir… pour faire l’énervée… pour sentir lui… pour se souvenir de leur hier…

Ma sœur. Elle s’en va au cinéma avec son copain. Bagnole. Tourbillons dans les roues. Cravate. On dirait un film. Ils vont voir un film. 19. 20. 21. 22. Elle revient super tard.

23:46… elle revient comme hop je grimpe l’échelle… 47… jusqu’au grenier… j’ai huit ans… c’est drôle d’ici… je peux voir ma sœur avec le copain… 48… elle prend la pilule… 49… les draps sont pas si nostalgiques que ça… 50… 51… ils sont super présents…

52. Je vois tout. Du grenier. C’est l’entonnoir. 53.

Ma sœur accepte de mourir… 54… elle accepte tout… elle a déjà cessé de vivre… 55… son copain a une corde… il veut jouer au pendu… c’est la faute de cette corde-là… serrée (…56…) vous imaginez… 57… autour du cou de ma sœur…

Papa revient presque juste à temps. Presque. 58. Il découvre ma morte de sœur. 59.

Mais… trop tard… le copain s’est sauvé… les colères de papa dans la maison… les larmes avec… j’entends... dans mon grenier…

00. Papa commence à accepter de mourir lui aussi. Il me tuera s’il me voit.

01… parce que j’ai pas aidé la sœur morte… 02… parce que je l’ai laissée crever… papa me tuera s’il me voit… je prends une arme… c’est pas une corde… c’est plus pointu… c’est pour papa… 03…je me porte beaucoup mieux… depuis que je refuse de mourir… go

24 janvier 2007

Rides dérisoires

Je demande à mon père : « Te souviens-tu de quand t’étais petit? »

Il ne répond pas. J’enchaîne tout de suite avec une série de questions :

« À cette époque-là, trouvais-tu que le décor de ta maison faisait « années 50 »?

« Pensais-tu que les cheveux des Beatles allaient être à la mode pour toujours?

« T’en doutais-tu, que plus tard il y aurait les patins à roues alignées, et que plus personne voudrait patiner avec les vieux patins old style sauf pour faire cool?

« T’en doutais-tu, que la forme des bouteilles de bière allait changer?

« Croyais-tu réellement que la télé noir et blanc était super efficace, qu’elle était super claire, et que rien pourrait l’égaler?

« Pensais-tu qu’on serait capables d’inventer les lecteurs mp3? Les iPod? Te doutais-tu de ça? Réponds-moi!»

À chaque question, mon père ne répond pas. J’ai beau exiger qu’il me réponde : il ne dit rien. C’est son air triste qui parle.

Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent.

Pourquoi mon père ne répond-il pas? Est-ce parce qu’il ne voit pas clair? Est-ce parce qu’il ne s’est jamais arrêté à réfléchir plus longtemps que deux secondes? Jamais il n’aurait cru que son fils lui poserait de telles questions, c’est ça?

Je me vois un peu dans l’obligation de voir plus clair que mon père. Je regarde le décor de l’appartement. Les tapisseries. Je trouve qu’elles font « vieux ». On dirait qu’elles sortent du temps où mon frère est né. Du temps où notre chat siamois vivait encore. On dirait qu’elles sortent de l’ancien temps.

Sur une commode, il y a une photo de moi bébé. Je fais terriblement vieux là-dessus. Je suis surpris de ne pas avoir de barbe sur cette photo-là.

Il y a les lampes qui sont laides parce qu’elles font contemporain. Autour des lampes, il y a les éléphants en plâtre. Les bibelots. Les tiges de bambou dans le salon. On fait quoi, avec ça? On essaie de faire croire quoi? Et à qui?

Faudrait être fous pour croire que les robinets sont bien pensés, que les frigos sont révolutionnaires et que les jeans n’existent qu’aujourd’hui et pas demain.

Nous sommes tous virés fous.

Je trouve que les escaliers roulants dans les centres d’achats font très « années-2000-ancien-temps ». C’est rien, comparé aux toilettes publiques qui font terriblement vieux.

Les dinosaures ont eu raison. Les iPod ne sont pas technologiques du tout. Détruisez-moi ça.

J’ai l’impression de vivre dans une préhistoire rapprochée… Les chevaux me racontent le Moyen Âge. Les jeux de cartes ont les coins pliés. Les Anglais sentent la poussière. Les Inuits se taisent dans leurs igloos. Les Québécois sont mous. Les singes se tirent les cheveux dans le biodôme. Un universitaire italien me parle en vieux français.

Nous sommes tous virés fous.

Les adolescents sont existentialistes depuis qu’ils ont arrêté de se couper les veines. Les médecins meurent tandis que les grottes renaissent pour la millième fois. Les ordinateurs s’éteignent tous en même temps.

The Arcade Fire me chantent qu’ils vont mourir demain. Il faut les entendre avant de vieillir. Se dépêcher pour pleurer. Il faut que je me trouve un nouveau dieu avant demain.

Les questions existent pour la je-ne-sais-plus-combientième-fois aujourd’hui. Dieu aussi. Les bidules aussi. Les machins aussi. Le premier machin a été le rien-du-tout, et après il y a eu les cordes à linge et moi. La guerre aussi. Et les travestis, donc!, et les jets privés?, c’est pareil. Même chose pour les lecteurs mp3. Même chose pour la machine à voyager dans le temps.

Même chose pour tout ce qui viendra… même chose pour tout ce qui ne viendra pas… C’est dans la tête que ça se passe.

Un vieil homme fume une cigarette. Je lui écris un petit mot : « Monsieur, retournez donc dans les années 30; your time is yours, me I belong to 1985. » Je m’allume une cigarette. J’ai inventé la machine à voyager dans le temps.

Une voiture dépasse le vieil homme. C’est un nouveau modèle d’auto qui semble me crier : « Voici le nouvel engin démodé-passé-date de l’année ! » Super. Je n’ai rien contre vous, Monsieur le nouveau modèle, mais : « J’ai pas une cenne moi, anyway; mon porte-monnaie date de quelle année, exactement? »

Je cherche des vieux dollars dans le sofa. Rachel me dit qu’elle aimerait tant revenir à l’époque du troc. Un sac de blé contre une paire de raquettes. Moi, ce sont les coquillages que je préfère.

Dans les prisons, les prisonniers se voient à la télé. Les États-uniens s’unissent à l’unanimité. Ils adoptent la mode de la pendaison.

Où est-elle passée, la technologie? Y a-t-il quelque chose qui puisse me faire dire : « Ah, là, ça y est, nous progressons! »

Toujours, ma tête est transpercée, percée et repercée par l’idée que mes enfants auront raison de me trouver préhistorique. L’idée dépasse tout avancement technologique. Vaut-il mieux s’arrêter là? Mettre un terme aux percées technologiques?

Mon père lève la tête. Il me répond : « Oui. »

23 janvier 2007

Kamikaze

Que serait-il arrivé si on m’avait assassiné à l’âge de huit ans?

Probablement que mon père aurait reçu un million de dollars ou deux, parce que c’est ainsi : les avocats et les chercheurs ont analysé la situation d’aujourd’hui. Ils en sont venus à étiqueter la vie des êtres humains au point d’en donner une valeur monétaire. On peut savoir qu’un individu vaut tant, alors qu’un autre vaut tant. À huit ans, je devais valoir pas loin d’un million. Ainsi, si j’étais mort à cause de l’incompétence d’un médecin lors d’une opération, par exemple, on aurait sûrement versé un montant compensatoire à mon pauvre père. Vu l’injustice flagrante, les médecins auraient payé pour leurs fautes, et c’est pareil que lors d’une contravention, lors d’une amende… On paie et on paie.

Les façons de corriger ces injustices n’ont pourtant pas toujours été liées à l’argent : il n’y a pas si longtemps, alors que la religion occupait la place du pouvoir (cette même place que l’argent occupe aujourd’hui), il n’y avait pas plus grande peine concevable que celle de l’excommunication. Toute personne qui corrompait les dogmes de l’époque se voyait alors perdre l’indispensable : la religion.

Plus tard, dans les années 50 au Québec, on remarque une autre façon de procéder : lorsqu’un individu commet un acte inacceptable aux yeux de la société (tel que l’avortement), on le pointe sévèrement du doigt afin que sa réputation soit à jamais salie…

Ce qu’il faut comprendre, c’est que, depuis toujours, on punit les gens d’une seule manière : en leur retirant toute chose qui nous semble indispensable (argent, religion, réputation, etc.).

Un problème s’impose toutefois. Que fait-on d’un être pour qui « l’indispensable » est de commettre le crime qui l’habite, et ce, à n’importe quel prix? Dans ce cas, même la peine de mort ne parviendrait pas à empêcher l’action, car si les désirs sont plus grands que les conséquences qui s’ensuivent, le risque de perdre la vie n’est pas un risque, il est sacrifice. C’est alors qu’apparaissent les kamikazes.

Il est malheureux que certains pays perçoivent le sacrifice de l’autre comme une faute. Il n’est pas toujours évident de voir l’indispensable dans de telles violences. De là l’absurdité du pays qui tente de convaincre l’autre d’agir pacifiquement : « Si vous nous faites la guerre, dit le pays, nous vous punirons en conséquence. Et la seule punition que nous voyons à ce jour, c’est celle de vous faire la guerre. »

Et voilà que ce pays attaque l’autre, car bien qu’il y ait le risque de se détruire, le sacrifice en vaut toujours le coup, des deux côtés : le besoin d’attaquer l’autre devient alors plus grand que le risque de tout perdre.

Et à ceux qui manifestent dans la rue, avec les pancartes et les chansons, à ceux qui manifestent contre la guerre, je dis : « Pauvres acharnés, la guerre n’est pas de ces choses qui s’éteignent! Il s’agit là de choses éternelles! »

Il s’agit là d’un dépassement de la raison! À vous qui manifestez, je dirais que vous aussi, vos désirs sont plus grands que réalité!

Et pour vous prouver que la guerre ne doit pas être éteinte et qu’elle est une chose belle, voici l’indissociable.

Supposons que je suis amoureux d’une jeune fille qui, elle, est en couple avec un autre garçon. La fille n’est pas libre, mais je la désire tant que j’en rêve jour et nuit. Mon amour pour elle me ronge horriblement et me fait affreusement mal. Un jour, inévitablement, je me risque à aller la voir pour lui avouer mon amour : par le fait même, je déclare la guerre et deviens le rival de son compagnon. Mais, avouez que, vous aussi, vous m’auriez suggéré d’avouer mon amour, qu’il y ait ou non un autre garçon dans le décor!

J’agis en véritable kamikaze. Je risque une guerre, mais comment pouvez-vous croire qu’il s’agit là d’une mauvaise chose? Comment auriez-vous pu dire qu’il valait mieux que je me laisse abattre par les conséquences de ma déclaration d’amour, et que je ne fasse rien? Je sais très bien que je risque de pleurer si elle ne m’aime pas. Plus encore, je risque de me suicider! Mais, je sais aussi qu’elle m’aimera peut-être elle aussi, et, qu’ainsi, ce sera son compagnon qui subira la défaite.

Vous avouerez que tout sentiment devait être avoué d’une façon ou d’une autre. Et qui sait quelles conséquences, encore pires, auraient découlé du fait d’avoir refoulé mes pulsions les plus humaines!

Vous avouerez donc que la guerre est aussi nécessaire. À ceux qui tentent de tuer la guerre, je réponds : vous tentez de tuer l’indispensable. Il n’y a heureusement aucune logique, aucune raison qui puisse mettre fin aux désordres les plus humains et les plus profonds.

Enfin, vous avouerez que, s’il n’y avait plus de guerre, c’est qu’il n’y aurait plus d’amour non plus, ou, du moins : c’est qu’il n’y aurait plus de désir dans l’amour. Alors, préférez-vous qu’on nous règle comme des machines bien-pensantes? C’est ce que vous me laissez entendre, et c’est une solution qui, je crois, n’en est pas une.

22 janvier 2007

Le corbeau

À l’urgence. J’arrête pas de gémir. Mes gémissements viennent de quelque part de profond, de moi, de là où les os se sont détachés. On me demande de spécifier d’où exactement. Je crois que ça vient de l’intérieur, d’en dedans; je crois que ça vient du dos, d’un peu plus bas que les omoplates.

On me demande de spécifier quel genre de douleur c’est. Je crois que ça brûle. Je crois que ça chatouille comme si des milliers d’insectes rampaient le long de ma colonne vertébrale. Je crois qu’il me poussera des ailes.

J’ai peur de m’envoler. Je saisis les barreaux de ma civière. Le supplice de ma colonne vertébrale passe jusque dans mes poings. Mes ongles transpercent la paume de mes mains. J’ai peur de renverser. Peur qu’on me renverse. Qu’on m’oublie sur les planchers. Avec les microbes. J’ai peur que les autres civières écrasent ce qu’il me reste de vertèbres malades. Les civières sont pas des vaisseaux si solides que ça.

Sinatra me chante que ça vaut pas la peine. C’est la faute de la musique, de ce que j’écoutais à l’appartement avant mon accident. Des vieux malades sur des civières s’étirent le cou : « Qu’est-ce qu’il a, lui, à gémir comme ça? Il est trop jeune pour gémir. C’est pas normal. » Les cous me suivent comme des télescopes. Les vieux malades ont tous l’air égyptien.

Les infirmières me forcent à prendre une pilule mauve. Les vieux malades sont jaloux de moi. On examine les blessures de mon dos : on me demande de dire si ça fait mal quand on me touche. Sous les omoplates. Ma tête fait oui.

On me demande si j’ai une copine. Je crois que oui. Je crois qu’elle a les cheveux blonds. Je crois pas qu’elle a les cheveux noirs. Je crois que c’est elle qui m’a amené ici. Je crois qu’elle s’inquiète pour moi.

J’ai quelques fractures. Mais ça va. La docteure dit que ça va pas. Les infirmières sacrent parce qu’elles cherchent leurs ustensiles de métier : c’est vrai que ça chiale dans les hôpitaux.

Quelqu’un pousse ma civière et me traîne jusque dans une chambre de l’hôpital. Je demande qu’on me stationne sous les néons du plafond. On m’enferme derrière des rideaux. Il fait noir. Je demande pourquoi j’ai pas le droit d’être sous les néons. Personne répond. J’avale une pilule jaune. Je dors.

Les Smashing Pumpkins me chantent que je devrais fuir avant de mourir avec les malades. Je me réveille au deuxième refrain de leur toune sinistre. La docteure est partie dîner. Une infirmière apparaît avec une grimace au lieu d’un sourire. Elle a l’air déprimé. Je lui tends mon bras avant qu’elle me force à le faire. Elle prend ma pression avec sa machine à pomper l’air et : « Comment c’est arrivé, votre accident? »

Faut pas bouger. Je réponds que je suis trop engourdi pour raconter. J’ai sommeil.

L’infirmière se fâche parce que je lui réponds pas. Elle pose sa main droite au milieu de ma poitrine, puis sa main gauche sur sa main droite. Ça oppresse. Elle pousse de tout son poids. Je suffoque. Elle menace de m’écraser la cage thoracique si je lui raconte pas comment mon accident est arrivé.

Je répète que la pilule jaune m’a assommé : ils auraient pas dû me donner ça. Je me souviens mal de l’accident. L’infirmière pousse sur ma poitrine avec son poing, comme si elle voulait m’aplatir jusqu’au cœur. Ça craque. Ce sont les doigts de l’infirmière qui craquent, ou peut-être ce sont mes os.

Je m’anime. J’essaie de lui raconter. D’accord, d’accord : « sur un trottoir, ce matin, un sac-poubelle noir suivait les tourbillons du vent, et moi, j’ai cru à un corbeau blessé qui avait peine à marcher… alors, je me suis dit ah, les voitures meurtrissent les animaux, c’est ça, une voiture a dû le frapper, et le voilà qui rampe sur le trottoir!, que je me suis dit, et c’est pour ça que je me suis jeté dans la rue, devant les voitures, afin qu’elles n’achèvent pas le pauvre corbeau, et c’est comme ça qu’une voiture m’a happé, paf, et que depuis j’ai le dos souffrant; j’ai peine à m’en remettre, on dirait que des ailes vont me pousser sous les omoplates ». L’infirmière me sourit avec les dents, ou alors elle grimace. Elle doit me trouver comique parce que j’ai pris le sac-poubelle noir pour un corbeau.

J’ajoute aussitôt que « je dois me lever, si ça vous dérange pas, parce que couché comme ça, sur le dos, mes ailes refusent de pousser », mais l’infirmière m’ordonne de rester étendu sur ma civière.

J’invente que j’ai besoin d’aller aux toilettes : « j’ai envie, madame, je dois me lever absolument, j’ai pas le choix, sinon je vais pisser dans vos draps blancs », mais l’infirmière place devant mes yeux un genre de vase métallique parce que « pas besoin de vous lever, me dit-elle, vous n’avez qu’à faire là-dedans ».

Non. Ça va aller : j’en veux pas de votre vase. Je souffre encore. J’ai l’impression que l’infirmière veut m’achever. Elle pousse un énorme cri. Je lui demande d’arrêter. Elle me répond pas. C’est comme si elle m’entendait pas. Elle m’engueule. Je lui demande pourquoi elle m’engueule. Elle me répond pas. Elle me demande qui m’a amené jusqu’ici. Je réponds que je crois que c’est ma copine.

Elle me demande si j’ai une copine. Je réponds que j’ai déjà répondu. Je lui demande combien de temps il faudra que je reste étendu sur ma civière. Elle me demande pourquoi je refuse de répondre à ses questions. Je réponds que j’y réponds, mais c’est qu’elle a pas l’air de m’aimer.

Je me dis qu’au fond je l’aime pas moi non plus. C’est une femme osseuse. Elle a pas assez de peau sur le visage. Je déteste les os. Même ceux des poulets. J’ai peur que l’infirmière me transforme en squelette. Je veux pas mourir. Je pleure. Il faut que j’arrête de pleurer. Je perds le contrôle.

L’infirmière me force à prendre une pilule rouge. J’en veux pas de votre pilule rouge. Arrêtez de me droguer comme ça. Je bouge mes bras comme des hélices.

L’infirmière me frappe sur la joue. La pilule rouge se fraye un chemin jusqu’à ma gorge. J’avale. Je demande à l’infirmière pourquoi elle me respecte pas. Pourquoi elle me traite comme un animal. Je me déchaîne. Elle me retient et se met à crier super fort.

Un infirmier entre dans la chambre. L’infirmière rougit tout d’un coup. Il s’appelle Joan. L’infirmière a l’air de l’aimer. Les deux disparaissent de l’autre côté du rideau. Je suis tout seul. Ils disparaissent comme ils s’aiment. Leur amour me sauve la vie.

La pilule rouge est terrible. Elle n’est pas comme les autres qu’ils m’ont fait avaler. Mozart.

***

Tout près de ma civière, il y a une branche de lilas avec un corbeau dessus. Il se tient fièrement. Je remarque que ses pattes ont l’air pas réelles du tout, mais que ses yeux ont l’air vrai.

Je me demande d’où vient cette branche de lilas. Je crois que c’est ma copine qui est venue pendant mon sommeil. Elle m’a apporté un bouquet de lilas. Le corbeau me demande comment mon accident est arrivé. Je réponds que « ah, enfin quelqu’un me le demande, je suis content de vous voir, Monsieur le corbeau : j’ai rêvé à vous, justement ». Il me répond que y a pas de quoi.

Je demande au corbeau comment ça se fait que l’infirmière me déteste à ce point-là. Il me répond que « c’est normal » : « Plus le nombre de malades augmente, plus les infirmières sont déprimées; et vous, vous n’êtes pas malade : c’est la bêtise qui vous a amené jusqu’ici. C’est à cause des gens comme vous que les hôpitaux sont pleins. »

J’assure que j’ai pas fait exprès de me jeter devant les voitures. Je sentais que je devais absolument défendre le corbeau.

De l’autre côté du rideau, j’entends un vieux malade qui se plaint : « Madame l’infirmière! Mon voisin de chambre parle tout seul! Madame! Madame! »

Il se plaint de moi. Je lui dis de se taire. Il me parle directement : « Vous êtes fou! Vous êtes pas malade! Vous êtes juste fou! Sortez d’ici! »

C’est pas un vieil Égyptien qui va me dire quoi faire. J’entends les pas de l’infirmière. Merde. Cachez-vous, Monsieur le corbeau! Si on vous voit, ça sera la panique dans l’hôpital! Le corbeau répond pas. Répondez! Répondez! Pourquoi vous me répondez pas! Pourquoi vous partez pas! Je pleure!

Le corbeau me dit : « Je ne suis pas un corbeau. C’est vous, le corbeau. »

Hé là, je suis pas un corbeau. Vous êtes fou. J’ai rien d’un corbeau. Ah, si, les ailes, peut-être. Fallait y penser. Le bouquet de lilas me semble tout à coup immense. Plus gros que ma tête. Je me lève. Il faut que je fasse disparaître ce corbeau. L’infirmière va taper une dépression si elle voit l’animal. Non pire, elle va vouloir nous tuer tous les deux. Le corbeau et moi. Tous les deux.

Le cou du corbeau se resserre entre mes doigts. Ça craque. Il faut que je l’étouffe. Il suffoque. Je l’aurai. Je l’aurai. Il mourra. Mes ailes. Mes ailes? J’ai les pattes sur une branche de lilas. J’étouffe. J’étouffe! Je suis un corbeau! Je suis le corbeau! Il avait raison! C’est moi le corbeau!

***

Mais qu’est-ce que c’est que ça? Je me crois chez Allan Poe. Ça va pas. Ma civière est vide. Je me demande où je suis. Je me réponds pas. Pourquoi est-ce que je me réponds pas? J’ai pas de voix. Je pousse des cris, mais ce sont des cris de corbeau.

Le rideau s’ouvre. C’est l’infirmière. Elle est avec l’autre. Joan. Et aussi il y a la docteure. Et aussi, derrière, il y a ma copine. Mal à l’aise, l’infirmière dit à tout le monde : « Voyez. C’est lui. Le corbeau. J’ai tout essayé. Il veut pas s’en aller par lui-même. Ça va prendre une cage. Ou je sais pas. Va falloir le piquer pour l’endormir. »

Mais non! J’ai pas toujours été un corbeau! D’ailleurs c’est moi qui voulais tuer le corbeau dans les lilas! Si j’avais réussi à le tuer, je serais resté moi-même. Je vous assure. Je suis humain. Je vous parlais tout à l’heure. Je répondais à vos questions! Vous m’avez demandé si j’avais une copine! Comment un corbeau pourrait-il avoir une copine? Qu’est-ce qui vous passe par la tête? Avez-vous donc tous perdu la mémoire!?

Ma copine s’avance vers moi. Rachel! Dis-leur qui je suis! Dis-leur qu’ils se trompent tous à mon sujet! Tu me reconnais, n’est-ce pas? Rachel? Les doigts de Rachel caressent mes pattes, doucement. Elle se tourne vers les autres et leur dit que mes pattes ont l’air « pas réelles du tout ». Peut-être. Mais mes yeux? N’est-ce pas qu’ils ont l’air vrai!?

Rachel demande à la docteure : « Il est où William? ». Ah! C’est moi William! C’est mon nom! Il te reste un peu de mémoire, Rachel, ça va aller!

L’infirmière prend un ton bizarre. Elle dit que je suis parti ce matin. Elle parle au passé. Des verbes conjugués à l’imparfait. Voyons ça a aucun sens! C’est le présent, là! Et si ça se trouve, c’est votre pilule rouge qui m’a fait crever! Vous m’en devez toute une! C’est votre faute!

La docteure demande : « Finalement, est-ce que quelqu’un sait comment l’accident de William est arrivé? » Tous répondent que « non, William a jamais voulu nous répondre ». Hé là c’est faux! J’ai répondu à cette question-là au moins trois fois! C’est vous qui faisiez semblant de pas m’entendre!

Je vois ma copine qui pleure. J’en ai assez. Laissez-moi partir. Je prends mes ailes. Je m’envole. J’ai une aile qui accroche le rideau. Je réussi à passer. Tout le monde me laisse passer parce qu’ils ont peur de moi. Peur que je les renverse. Peur que je leur donne des microbes d’oiseau malpropre. Hé là, c’est vous qui avez des microbes plein l’hôpital! J’ai pas de microbes. Je suis pas un pigeon : je suis un corbeau!

Je vois la sortie. Par chance que je sais encore lire. Je sors, et c’est là que tout le monde regrette de pas m’avoir empêché de sortir. Ils courent tous après moi. Y en a même un qui a un fusil. Merde. Trottoir. Sur le trottoir, oui, un sac-poubelle noir. Je connais ça. Je me cache dans le sac-poubelle avant qu’on me tire dessus. Faut pas bouger. Tout le monde croit qu’il y a rien dans le sac.

Non. Quelqu’un perçoit quelque chose. Quelqu’un s’inquiète pour moi. C’est un garçon avec des écouteurs dans les oreilles. Je sais pas si il a un iPod ou quoi. D’après ses lèvres, je dirais qu’il chante la toune de Sinatra.

Je lui dis de pas s’inquiéter pour moi : « Je suis pas un corbeau, je suis un sac-poubelle! » Ah, merde, le garçon se jette quand même devant les voitures parce qu’il a peur pour moi. C’est un idiot. Faut être vraiment con pour confondre les sacs-poubelles et les corbeaux! Il se fait frapper à cause de ça!

Sa copine vient l’aider à se relever. Il arrive pas à se lever. Il a le dos détruit. Merde, c’est pas sa copine, ça, c’est MA copine! Rachel! Fout le camp de là! Aide-le pas! C’est pas moi, ce garçon-là! C’est pas moi du tout, moi je suis dans le sac!

Reste que ce garçon-là est en train de crever dans la rue. C’est vrai qu’il me ressemble. Hé là mais, si je suis lui et qu’il est moi (ce qui est pas impossible vu qu’il lui est arrivé exactement le même accident qu’à moi), c’est que je suis tout mêlé.

La différence est que ce garçon-là est mort dans la rue, tandis que moi je m’étais rendu jusqu’à l’hôpital après m’être fait frappé par la voiture. Pourquoi il est mort? Pourquoi moi je m’en suis sorti? Et pourquoi là je suis comme dans le passé? Dans le passé, ouais, mais je suis pas le même personnage que tantôt. Je suis devenu le corbeau. Ah! Mais alors, c’est qu’il y avait bel et bien un corbeau dans ce foutu sac-poubelle! Avant de me faire frapper par une voiture, j’avais « cru » à un corbeau qui avait peine à marcher sur le trottoir, mais il y en avait réellement un! J’avais rien halluciné!

Mais qu’est-ce que je fais maintenant? J’ai pas envie d’être ce corbeau-là, moi. Je suis supposé rendre visite au jeune garçon à l’hôpital, je suis supposé me rendre visite à l’hôpital. Je suis supposé me percher sur une branche de lilas à côté de la civière du garçon, et lui il est supposé vouloir me tuer et prendre ma place. Mais ça arrivera pas, non, le garçon est déjà mort. Il ira pas à l’hôpital comme prévu. C’est comme une faille. Qu’est-ce que je fais? Le cycle est comme tout brisé.

Et pourquoi il s’est brisé, le cycle? Toute cette histoire, c’était peut-être seulement pour me faire voir ma mort. C’était peut-être juste pour que j’y échappe. Au fond, je suis peut-être super chanceux. Être un corbeau, c’est mieux qu’être rien du tout.

Quelqu’un referme le sac-poubelle. Je suis dedans. Hé là, non, hé, il y a quelqu’un là-dedans! Monsieur l’éboueur, relâchez-moi! J’ai pas le temps de crier davantage. Je suis occupé à éviter les coups. L’éboueur lance le sac dans le camion. Je tombe inconscient.

***

Je me réveille. Mes cris sont ceux d’un corbeau. L’éboueur refuse de m’entendre. Ils sont tous sourds ou quoi. J’ai une aile brisée. Je me demande où je suis : dans le camion ou au dépotoir ? C’est bloqué, en tout cas, je peux pas sortir du sac.

Un mulot fait scroutch scroutch. Je le remercie. J’avais oublié que je pouvais me servir de mon bec pour percer le sac moi aussi. Je sors. Par miracle, je suis au dépotoir, mais je suis encore en vie. J’essaie de m’envoler. Sans succès. J’ai quelques fractures à l’aile. Le mulot rit de moi : « Hi hi hi, faut pas bouger! »

Le mulot me fait rire. Je lui réponds : « C’est bon de vous entendre! J’avais l’impression que plus personne me parlerait! Je suis content de vous voir, Monsieur le mulot! »

C’est comme si je parlais dans le vide. Il répond pas. Répondez! Répondez! Dites quelque chose! Le mulot me dit : « Je ne suis pas un mulot. C’est vous, le mulot. »

17 janvier 2007

La ballade trompeuse des Cendrés

Grosse soirée. De la bière. Le rock’n’roll me rend visite, le salaud; il est super bien habillé, genre gentleman, pour une fois. Une seconde, je pense que le rock’n’roll est « mieux que moi, je lui foutrais un coup de manche de guitare électrique dans ses beaux habits, mais, pas le temps : mon pierluc a soif… moi aussi, je vais prendre une bière moi aussi ».

Le rock’n’roll vient déglingué, d’habitude. Là, ça doit être une occasion spéciale. J’ai pas le temps de demander à pierluc quelle genre d’occasion c’est : il est occupé à danser avec ses cheveux. Ça sent le vent qui tourne. Ça vire en drame. Les cris de la foule dans le salon style années cinquante, les bouteilles de coke vides. Le rouge et le noir sur les murs. J’étais sûr, pourtant, que les murs étaient beiges.

Ça vire en ballade. Leonard Cohen. C’est sa faute. On se met à sacrer après le chanteur parce qu’il nous hypnotise avec sa morphine de voix. Jamais là au bon moment, lui. D’habitude, on l’aime, ce chanteur-là.

Tout le monde voit un oiseau passé par la fenêtre de l’appartement. On se met à sacrer après l’oiseau parce que c'est un rossignol. D’habitude, on les aime, les rossignols, mais là : « change-moi ça, tu vas tuer l’image qu’on essaie de se donner, là, avec nos jeans pis nos bracelets ».

Je patine super vite. Tout le monde remarque que j’ai pas de patins. Ça me gêne. Je me cache derrière la musique de The Strokes. J’empêche les murs de fondre jusqu’au plancher. Faudrait pas. J’ai pas envie de marcher sur un plancher collant demain matin. Les pieds pleins de sucre. Si vous renversez quelque chose, buvez-le. Avec une paille. La poussière avec.

***

Le lendemain, j’aurais besoin d’une échelle pour descendre du lit. Il doit y avoir un fond de bouteille de bière qui s’est pas évaporé pendant la nuit parce que j’ai le corps décédé. J’ai encore un peu l’ivresse de la veille.

Cernes de café sur la table de la cuisine. Je m’organise pour que les cernes de café dessinent un autoportrait original. J’avais raison. Mes murs sont beiges.

Je finis mon jeu de cernes. Devant le miroir, j’ai des cernes en dessous des yeux. Je ris. Je pense à une antithèse : cernes du café qui me speed… cernes de ma fatigue… Je suis crampé raide.

J’écris un courriel à une revue littéraire. Je fais mon « pas charmant du tout ». Ça va comme suit : « Messieurs les décideurs de ce qui vaut la peine ou pas, messieurs, vous devriez vous compter chanceux; vous me faites penser à mon père avec vos airs distanciateurs (ouais, là, j’ai inventé un mot sans faire exprès) et froids comme le frigo de chez moi mais, bon, c’est personnel tout ça, la raison de mon courriel est que faites donc en sorte que je sois publié dans votre Poubelle parce que j'ai du génie ». Les représentants de la Poubelle ne répondent pas. Je pleure de grosses larmes humiliantes pendant trois jours.

***

Trois jours après, je reçois une réponse de la Poubelle en question. Ça dit que mon absurdité leur plait. Même qu’ils aiment mon extraordinaire absurdité. Étant donné que j’ai rarement vu pire insulte que celle-là, je leur réponds que c’est pas absurde du tout et que je m’en fiche pas mal que les Poubelles me publient ou pas, au fond, c’est nuisible, au fond, plus qu’autre chose.

À moitié mort, je leur écris que « allez vous faire foutre, têtes de réverbères vandalisés! Qu’est-ce que vous faites de mes intentions? Ce que vous êtes incroyables! En tout cas! Vous avez tous des têtes de flocons mouillés! Je vous plains! ». Mes insultes leur paraissent enfantines. Ils rient de moi.

Je dessine sur une feuille blanche un personnage très maigre, traits noirs, avec un couteau rouge dans la gorge. Juste au-dessus, j’écris « maman ».

Les éditeurs de la Poubelle veulent me mettre dans leur dossier réservé aux textes absurdes. Je sacre. J’appelle maman. Je sacre. D’habitude, j’aime ça l’absurde, Ionesco et les autres, c’est marrant d’habitude, mais là, je sais pas ce que j’ai : je suis fâché comme c’est pas possible.

***

Le lendemain, je me ressaisis. J’arrête d’harceler la Poubelle en question (que je ne nommerai pas (des plans pour que vous leur écriviez « s’il vous plaît publiez-moi »)). J'arrête de la supplier pour qu’elle me qualifie de non absurde. J’arrête. Ça cesse, et déjà les bons côtés de la cessation se font sentir, tsé, déjà mon cendrier de verre crasseux a l’air « plus beau » depuis que les Poubelles sont disparues du décor.

Je me tiens mieux. Je fume une cigarette. Dans mon cendrier de verre.

cadavres des volutes autrefois blanchies dans les airs,
cadavres enfouis, cachés sous le verre,
dans les pourtours de mon cendrier de verre,

la brume s’est enlisée, non, incrustée dessous,
on croit à ma langue sale, sale,
sale! tout autant qu’à celles de mes sœurs!

débris de mes empoisonnements volontaires,
débris de la transparence de mon père,
(transparence, comme celle des fantômes)
dans les restes de mon cendrier de verre,

les croûtes se sont entassées, non, agglomérées en cercle,
on croirait à des soudures collantes,
(ah, vous savez pas, la soudure c’est collant, pour vrai, la tige qu’on utilise pour souder, ça colle quand on la laisse trop longtemps, en tout cas… mon père était soudeur)
collantes! autour de mes doigts prochains!
(mes enfants, non? Vous saisissez pas? C’est dur, je sais… trop?)

cendres de mes entrailles, non, pas de mes entrailles,
de ma gorge éraflée,
non, pas éraflée, usée, non, non, ça va pas,
ça va pas
du tout,
c’est mauvais, c’est pas du tout ça, attendez, ça vient :

cendres qui m’enterrent et non le contraire,
cendres du temps qui se perd,
dans les cercles de mon cendrier de verre,
(je répète… c’est trop, non? Ça rime trop)

non, du temps qui meurt,
le temps ne se perd pas, il meurt,
enfin on s’en fout, il passe, merde, admettons :

aspiration sans inspiration haha non ça c’est moche,
dernière bouffée,
(oui, la bouffée de Baudelaire enfin vous connaissez pas)

bouffée en chambre pour le pauvre pitoyable que je suis!
et que je fume!
(là je dis le pronom « je », c’est comme nouveau dans le texte… vous êtes sensés applaudir… mais vous avez pas saisi, je suppose, c’est comme un inside entre moi et moi)

et la finale :

par le ventre de ma mère,
fœtus que je suis!

(tsé? Non mais, c’est qu’au fond le narrateur était dans le ventre de sa mère, et c’est elle qui fumait. Il fumait par l’entremise d’elle! C’est pas assez punché par exemple… En plus, ça fait contemporain tiré par les cheveux, du genre des vieilles histoires renouvelées avec la mode de la cigarette…)

et la finale :
(finale numéro deux, parce que j’ai eu une autre idée)

sur le comptoir de la cuisine,
ce cendrier à côté des couteaux de la cuisine,
parce que mon amour a la forme d’un couteau super tranchant, si je l’abandonne dans un coin du comptoir, vas savoir quelle gaffe tu pourrais faire avec!

(non, non ça va pas du tout c’est pas ça, ok, c’est trop tard de toute façon, j’avais juste envie de pluguer cette phrase-là parce que j’y avais pensé toute la nuit et que je la trouvais bonne… l’affaire du couteau)

Ouais je sais. Je sais qu’ils préfèrent mes histoires enfantines et crues comme du poisson cru, je sais qu’ils les trouvent drôles, mais c’était simplement pour dire que depuis, depuis que les Poubelles sont sorties du décor, tout va pour le mieux. Il n'y a plus personne pour rire de ce que j'écris, plus personne pour me traiter d'absurde.

J'appelle pierluc : « J’ai les idées en place. Les choses banales me semblent belles, pierluc, comme avant, au fond, j’ai fini de m’égarer. J’étais pas si loin que ça. Pas si perdu que ça ». Il me répond qu'il est occupé à danser avec ses cheveux sur Leonard Cohen. Je comprends rien : « Je croyais qu'on aimait pas Leonard Cohen à cause de son look? ». Il me répond qu'à la fête de l'autre soir on blaguait et qu'au fond il y avait rien de vrai dans ce qu'on disait.

Je me rappelle la fête. Pierluc m'avait dit qu'il aimait pas mes textes parce que j'étais pas son genre. Les murs se recollent. J’appelle maman : « Ton fils va mieux, maman, je vais mieux, et mes histoires de suicide, t’inquiète pas avec ça : c’était pas vrai, je blaguais, comme d’habitude. C’était pour te faire peur. Tu sais, comme d’habitude, ce que je dis est absurde. Et y a pas beaucoup de vérité dans les absurdités ».

Là, je crois que je suis prêt pour écrire un nouveau truc, du genre génial, et je l’enverrai à toutes les Poubelles de montréal et cette fois, peut-être, je serai publié.

Si je suis pas publié, je pleure pas. Promis.

16 janvier 2007

Le ridicule du non absurde

Je n'ai rien d'absurde, moi, comparativement à vous : si je me poste jour et nuit devant ma fenêtre pour surveiller les balcons, c’est parce que j'ai peur d'y voir un lapin sauter du haut du cinquième étage; et si j’ai peur d’en voir un sauter, c'est parce que je crains que tout ce qui saute dans les airs doive un jour redescendre jusqu’au sol et se briser le cou crac en mille morceaux pleins de sang, non, ce n'est pas drôle! Attendez! Attendez! Il y a là de la tristesse! Pourquoi me fuyez-vous en riant? Pourquoi me laissez-vous seul? Il y a dans cette histoire de lapin une grande tristesse! Pourquoi ne prenez-vous pas l’histoire au sérieux? Je vous dis qu’il y a là de la tristesse! Il y a là une explication de la souffrance des âmes!

Shooter de vodka

C’est avec l’image du shooter de vodka que j’écris.

Il faut d’abord que le verre soit bien amené, d’une façon des plus originales et élégantes, avec le parasol et les cerises et les morceaux d'agrumes et ces choses qui donnent envie de boire jusqu’à la dernière goutte, pour que le lecteur ait envie de saisir...

Aussitôt, l’étourdissement de l’ivresse doit partout régner. Il ne doit en fait y avoir qu’une seule chose perceptible : l’amusement. Pas l’humour, non, je ne parle pas de jokes shootées à même le sang! Bon sang vous ne comprennez donc rien;

Je parle de folie. Je parle d’un amusement semblable à celui du petit diable qui joue avec un enfant au bout d’une ficelle dans la salle de bain de l'appartement, oui, c’est ça, je parle d’un lecteur amusé comme dans un bar, non, mieux : amusé comme dans un bar qui n'existe pas, sur fond d’une musique brillante!; je parle de rock’n’roll, je parle de verres d’alcool que l’on ne compte plus, avec l’alcool qui coule sur les moins de dix-huit ans!

Je n’écris pas. Je parle.

Non, vous ne comprennez pas. Les textes qui n’invitent qu’à la réflexion ou au « conscientisme » (n’ai-je pas déjà donné?), à quoi servent-ils? Aussi bien dire qu’ils ne nous invitent pas! Méprisons-les. Buvons.

L’écriture enfantine est des plus touchantes... Elle est tendre comme les joues des poupons auxquelles je crois ah, pourrais-je croire un jour à autre chose qu’aux joues des poupons ? Si vous ne comprenez pas l’image en italique, bien à vous de prendre un autre shooter de vodka… Je ne parle pas d’alcool, ici. Je parle de suicide.

Ne me prenez pas au sérieux, s'il-vous-plaît... avec des traits-d'unions partout. L’humour est à la mode! La preuve est que l’absurde a la cote présentement dans les milieux littéraires! Cet absurde démontre un goût pour le non sérieux et le ridicule, assurément, assurément mais : reste à ajouter du sens à tout ça… car n’y a-t-il pas un sens à prendre un shooter de vodka? Donnez-moi un exemple! J’imagine déjà mille sens! Mille raisons d’en prendre un! Puis deux!

Oh oui, autant de façons de boire qu’il y a d’être humains sur la planète! Suffirait d'en tuer quelques-uns pour réduire le nombre de façons mais... mais voilà la complexité et voici mais, bien sûr : je fais toujours les choses de sorte que le visage du lecteur devienne grimace… Grimace d’incompréhension! Grimace du cruel! Grimace de la pitié? Bah oui, si la chance me sourit.

Grimace provoquée par le goût amer haha de la vodka.

Ces grimaces de lecteurs sont drôles, vraiment, hilarantes de mon point de vue, à un point tel qu’elles le sont plus encore que tout ce que je ne pourrais jamais écrire!

La traversée du jus rouge

Me remonte à la tête ce jour où je sortis de l’appartement avec à la tête ma solitude toute emballée et prête à être avouée et cette solitude qui jamais n’en croisa une autre par hasard malgré mon vouloir : jamais l’amour ne vint pour de bon, jamais le masculin ne me sauta dessus du genre de putain c’est merveilleux d’avoir les jambes lourdes, non, j’avais le teint pâle et le féminin m’enivra à un point tel que jamais ma copine ne m’aima jusqu’à l’anéantissement et jusqu’à ce que les chaises s’effondrent dans la cuisine avec de la draperie en lambeaux tout plein, pulvérisée en cendres, du rideau déchiré et l’amertume qui vient avec;

j’étais un acteur et j’eus l’horrible peur de marcher sur les trottoirs au moment de sortir de l’appartement et j’eus peur des aveugles, peur des clochards qui jamais ne lisent, en réalité, je courus jusqu’à l’essoufflement oui; ma copine méritait que je meurs et oui; je courus en sachant parfaitement qu’une autre demoiselle m’attendrait au bout de ma frayeur, au bout de ma course; je courus jusqu’à ce que cette demoiselle dont je tombai amoureux cessât ma course insensée dans le couloir d’un centre d’achat avec les babioles des magasins et les blouses on ne peut plus jolies que le mec super ordinaire que j’étais : je voulus absolument être cette demoiselle dont je tombai affreux affreusement amoureux du coup du couloir que je parcourus jusqu’à elle mais enfin non elle ne m’aima pas, non elle ne voulut rien d’autre que l’argent de mes poches pour quelques autres blouses plus jolies que moi, peut-être n’était-elle qu’une vendeuse pensai-je après tout et je crois que je pensai que je perdis confiance enfin, j’avais toujours été le lion à la course jusqu’à ce jour de cette demoiselle méchante, aussi méchante que si elle m’eut pris pour un cadavre; reste que tout n’était pas perdu et permettez-moi de laisser entendre l’espoir que j’eus à ce moment et qui me remonte aujourd’hui jusqu’aux tympans qui me bourdonnent à mort : j’achetai une blouse que cette demoiselle me vendit super cher et soudain, je me sentis plus fière que le lion que je fus et que je n’étais plus, plus belle que toute ma solitude d’homme que j’eus et que je fus autrefois;

cela n’empêcha pas que je devins absolue absolument amoureuse de toutes les demoiselles de la planète et tant pis pour les hommes et tant pis de toute façon : ils s’effémineront eux aussi;

j’eus le choix de bien paraître dans les rues sales de ce montréal ouvert ou de faire la mal élevée avec ma blouse : j’avais fière allure là-dedans et c’est avec le cutex rouge au bout des doigts que le destin se révéla à moi sur le trottoir au sujet des demoiselles, je ralentis le pas et finies les jambes lourdes et finis les voyages inutiles à tenter de croiser des solitudes qui ne viennent pas « non elles préfèrent rester seules » et finies les prières pour qu’on m’envoyât un cheval et pour qu’on me remplaçât le lion que j’avais autrefois et qu’on me remplaçât mes jambes médiocres;

au sol je n’eus besoin que de courbes et de jambes pas viriles du tout, de plier avec mes cheveux de gaillarde par en avant et de quelque manque d’orgueil pour enfin que j’aperçusse la beauté aussi laide soit-elle juste là au sol : une sucette à moitié sucée et croquée à moitié gisait au sol parmi la poussière et les fragments d’asphalte devant moi ah, une sucette à moitié sucée avec quelques poussières dessus;

une sucette sucée par quelqu’un d’inconnu que je ne connaissais pas et si, et si cet inconnu était une inconnue; et si cette inconnue qui avait sucé la sucette était une demoiselle qui m’aimait?; et la sucette rouge me sembla bien seule et triste dans la poussière mais, la façon dont je la vis fut si belle et si amoureuse que je me mis à l’embrasser avec la langue, j’embrassais la sucette pendant que les autres disaient que ah, il faut être fou pour licher une sucette dégueulasse sur le trottoir simplement dans l’espoir qu’une jolie demoiselle l’ait lichée en premier et quel amour honteux et je pensai fort fort à la tête de cette demoiselle qui devait avoir sucé la sucette avant moi; et je pensai à cette demoiselle qui devait être fort jolie et enfin dans un certain sens, j’embrassai la plus jolie des demoiselles et je la suçai tellement que j’eus de la salive de demoiselle dans la bouche, même que je me la collai au palais tellement j’avais envie d’elle; même que je la fis tourner dans ma bouche tellement que je la bouffai;

c’est avec le jus de cette demoiselle qui me dégoulinait partout que je me mis à crier avec mon extraordinaire voix de fille que « vous êtes plates avec votre asphalte, moi j’ai du sucre au bout de mon bâton, avec toutes les blouses que ça implique, la demoiselle et moi nous ne faisons qu’une! », mais les autres me regardèrent bizarres et c’est qu’ils devaient tous être jaloux de ma blouse super jolie, au moins tout autant que de mes lèvres rouges au goût de sucette rouge qui goûtait le rouge, enfin, après toutes les misères que j’avais eues à passer par là et le calvaire de devenir quelqu’une avec du cutex et de la gentillesse, il fallut que je fusse audacieuse et mûre avec mon sourire juteux plein de bulles de jus rouge pour faire frustrer les autres avec mes grosses phrases baveuses du genre de « c’est rare de voir les demoiselles faire des ravages comme ça, han han comme ça avec la langue, c’est tout un luxe que je me paie de pouvoir m’aimer sur un trottoir dégueulasse »

Mensonge

Dans chaque mensonge dort un sentiment, assurément, un sentiment que les menteurs sont incapables d’avouer. Le problème, c’est que le sentiment qu’ils sont incapables d’avouer n’est pas un sentiment : il est un mensonge.

Salaud

…vous ne connaissez rien à l’amour, rien, et vous n’y connaîtrez rien tant et aussi longtemps que vous ne retournerez pas au souvenir, au sentiment de votre haine envers celui qui est votre semblable, dans les premiers contacts de l’étonnement fraternel, dans la baignoire familiale.

« Ce que je déteste les garçons ah, comme ils ne sont que mensonge et cruauté » et le malheur était que j’en étais un, tout masculin ; maman faisait couler l’eau de mon bain, elle m’avait déshabillé et c’est ce matin-là que pour la première fois je me suis écrié merde qu’est-ce que j’ai là, cette chose qui me pend entre les jambes, me pend, non, dites-moi que je ne suis pas un garçon eh bien hélas oui, j’avais le sexe masculin, un sexe qui ne me servait pas à grand-chose sinon à ce truc que je n’ai pas tardé de découvrir : « quand, par un va-et-vient, je touche à ce que j’ai là entre les jambes, ça me donne de l’agréable et c’est d’autant plus agréable lorsque j’arrive à une extase à la fin, une fin super jouissante même si après, ça fait un peu mal mais, j’ai découvert le truc pour que les garçons jouissent; je deviendrai riche parce que je suis le seul à avoir découvert le truc, je vendrai ma découverte à tous les garçons du monde » mais, ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que ma découverte n’en était pas une ; tous les garçons avaient découvert le truc de se toucher eux aussi, même que le truc portait déjà le nom de masturbation, quelque chose du genre, du genre de j’étais affreusement fâché de ne pas avoir fait d’argent avec le truc que j’avais découvert.

« J’ai l’impression que les garçons sont tous contre moi et qu’ils font exprès pour que je les déteste » et le malheur était que j’en étais un, tout masculin ; si j’avais le malheur de tomber amoureux d’une fille, les garçons s’avançaient vers moi avec des couteaux à la place des doigts et des scies mécaniques vrinn-vrinnn et je préférais abandonner la compétition, les laisser gagner dans la stupidité de leurs manières d’agir, les laisser me trancher la figure et les laisser tuer tout ce qui leur ressemblait, d’homme et de bête, parce que je savais qu’un jour, je les tuerais à mon tour.

« Les filles traitent les garçons de salauds et leur lancent des roches parce qu’elles croient, et avec raison, que les garçons sont incapables d’aimer » et le malheur était que j’en étais un, tout masculin ; j’étais tombé amoureux d’une copine qui avait un sale caractère, et je l’avais quittée parce qu’il fallait que je devienne écrivain et parce que l’amour semblait être un hamster inutile qui grugeait mon temps d’écrivain ; elle m’a traité de salaud et s’est résolue à aller voir d’autres garçons pour finalement se rendre compte que les autres étaient encore plus salauds que moi parce qu’ils charmaient les filles dans l’unique but de les baiser, moi je ne baisais jamais (j’avais ma fausse découverte d’enfant) et je continuais dans le factice de mes mensonges en observant les amours super plates des autres, des filles qui me racontaient combien leur amour leur faisait mal : « ah, tu sais pas ce qu’il m’a fait, le salaud, il a profité de moi, et toi, peux-tu m’expliquer quelque chose, j’ai besoin de l’avis d’un garçon, absolument, parce que je n’y comprends rien ».

« Soit les garçons attaquent les jeunes filles dans les rues pour les baiser puis les abandonner, soit ils les charment pour qu’elles acceptent de se faire baiser puis de se faire abandonner » et le malheur était que j’en étais un, tout masculin ; je faisais tout pour me déconnecter du monde des garçons parce que trop dangereux, ils attaquaient les filles et je devais me cacher dans un féminisme tout à fait contemporain, je devais devenir foutrement efféminé avec mes manteaux de fourrure, mon cutex et mon maquillage du genre de je veux une peau qui ressemble à celle des filles, douces et gentilles, s’il vous plaît, faites que je ne sois pas un salaud et je restais cloîtré entre les murs d’un sous-sol mal chauffé à tout faire pour ne pas être un salaud : « mieux vaut que je ne parle plus aux filles parce qu’il me reste assurément encore quelque chose de masculin dans la tête, des mensonges, des menteries qui feront mal aux filles que j’aime », et à répéter la phrase qui me rongeait l’esprit, à savoir : « si j’étais une fille, je crois que je m’aimerais beaucoup plus qu’aujourd’hui ».

« Je n’ai aucune pitié pour les garçons parce qu’ils ont tout inventé avant moi et qu’il ne me reste qu’à les haïr » et le malheur était que j’en étais un, tout masculin ; et le malheur était que je tombais amoureux de toutes les filles à force de les aimer en retraite, j’en venais à penser à la castration parce qu’et si j’étais dangereux moi aussi, et si je succombais à l’amour et qu’on me lapidait ?, les garçons me traitaient de lesbienne parce que j’avais le cœur d’une fille qui aime les filles et le cerveau abandonné par le garçon que j’étais ; j’étais plutôt d’accord pour qu’on me traite de lesbienne, seulement : il est étrange de s’apercevoir que les filles préfèrent les salauds aux lesbiennes.

« Je crois que, plutôt que de tomber amoureuses d’autres filles gentilles, les filles gentilles préfèrent tomber amoureuses de garçons qu’elles trouveront salauds, qu’elles lapideront, et qu’elles n’attendent que ça (de les lapider), même si elles disent que non, ainsi je crois que les filles ne sont pour la plupart que des salopes » et le malheur était que j’en étais aussi une, toute féminine ; je m’étais réfugiée dans les beautés féminines et intérieures que j’avais fabriquées et j’apercevais bien de nouvelles choses ; le malheur était que les filles avaient de fausses vérités, et les garçons de sincères mensonges : il ne restait qu’à unir les deux et à se rendre compte qu’il n’y a ni salaud, ni salope, et rien d’autre que l’amour qui est une saloperie rien que bonne à se lancer des roches.

« Certains couples d’amoureux passent leur vie à se lancer des roches chacun leur tour et à s’aimer, s’aimer, s’aimer » et le malheur était que cet amour-là ne servait à rien d’autre que de passer le temps, comme les hirondelles se cherchent et s’accouplent jusqu’à tomber du nid pour passer le temps, et plus le temps passait, plus les hirondelles s’accouplaient tandis que moi je restais seule à aimer toutes les filles et, plus le temps passait, moins j’étais de choses puis, rien qu’un salaud.

« Il y a de triste dans l’amour que les roches rendent aveugles et que les salauds y passent inaperçus » et le malheur était que j’en étais une, un salaud, mais il n’y a enfin qu’une chose de merveilleuse dans l’amour, et une seule, et c’est que je me rappelle ce matin-là où maman faisait couler l’eau de mon bain et où mon frère arrivait pour entrer lui aussi dans la baignoire, nu comme moi, avec son sexe qui pendait lui aussi, ce matin-là où je me regardais dans mon frère comme dans un miroir que je commençais à détester et, comme sur les bords du bain gisaient de jolies roches que maman avait rapportées de voyage, mon frère riait pour se moquer et me disait avec le plus géant des sourires : « lâche ton zizi, sinon je te lance les roches de maman » et je riais, riais, je riais moi aussi et enfin, pour que mon salaud de frère me lance des roches comme ça, il fallait que nous soyons capables d’aimer, et pour que nos rires retentissent autant par l’écho de la salle de bain, il fallait que nous nous aimions.

Sans-titre 7

Je crois sincèrement que ceux qui prétendent ne pas m’aimer n’ont pas confiance en eux, et que ceux qui ont confiance en eux ne m’aiment pas.

Bel amour

Qu’est-ce qui t’as pris d’être simple sincère et bonne comme un être primitif qui lance des pierres en apprenant et de prendre ma peau en riant la labourant la moisson la récolte à perte de vue comme si la porte de la chambre se faisait petite à des millions de lieues du lit d’ici où tu étends ma peau comme une toile de tente qu’on tire et pique cruellement pour un toit pour l’abri du moment sans en compter les trous. Qu’est-ce qui t’as pris de te placer dedans mais au-dessus bien en haut avec tes cheveux sur mon nez qui pique puis de juger d’en haut comme un dieu pourri qui ne voit pas les dessous des uns les revers des autres de t’en aller sans même courber les sourcils sans même faire apparaître les plis les rides puis la goutte en-dessous de l’œil quand t’as revu le lit bien seul bien froid avec ses draperies qui s’ennuient et moi dessus. Qu’est-ce qui t’as pris de prendre la vie du bon côté celui-là de la bouche qui lève au ciel puis du nez qui lève aussi puis ne renifle aucune goutte encore en voyant une fois mes particules abîmées mes mains qui tendent et mon crâne écrasé dedans. Qu’est-ce qui t’as pris de me prendre et jeter sur le lit en ne cognant pas la porte devant mes yeux au vent qui s’en vont et boursouflent puis mes joues creusées mouillées dans une grimace des romans ceux-là avec les pages pliées dans le coin mais qu’on ne relit jamais. Qu’est-ce qui t’as pris de me prendre et jeter plié dans le coin les dents séchées par la respiration bizarre qui cesse peu à peu les dents trop sèches pour que mes lèvres les recouvrent. Qu’est-ce qui t’as pris de m’étendre sur la glace le teint blanc mes cheveux givrés frisés comme si déjà ils avaient vécu au moment où ta main passait la moisson la récolte à perte de vue et labourait comme un godemiché qu’on s’est passé puis dont on ne compte que le plaisir comme si soudainement tout va au moment de quitter.

Ça y est

Ça y est. Moi, William Drouin, ai plusieurs ambitions dont on connaît la nature bien sûr, mais ça y est. Vous voyez combien ça y est ? Comment les choses s’en vont et combien je suis ? Je suis la grandeur d’un pays, le prodige d’un créateur, à portée de main, voire sous mes talons. On cognera à ma porte je répondrai non. Je me trouve, me découvre, me suis découvert. Vous me direz que jamais les gens ne sont entièrement à découvert, sauf dans le lit mais encore là entre deux draps, mais moi si. Pour faire différent, voilà, je sais qui je suis. Et pourquoi pas l’apothéose d’un rêve ? Vous pourriez l’être vous aussi, grandioses. Seulement moi, une lumière s’est approchée de moi, pas pour me plier l’échine non, elle a voulu me dire quelques petits trucs de première importance : je parviendrai à tout ce que j’ai dans ma petite cervelle de bloc. Bonne nouvelle. Romans, peintures, que d’arts accomplis, mais ne jamais oublier nos premiers pas dans le monde, dans chaque territoire, à chaque domaine correspond une expertise qu’il faut franchir, et ne jamais égaler. Que vos vocations dépassent vos ambitions, pour le peu d’importance que ça a, je vous le souhaite. Maintenant, toujours moi William, ai terminé déjà quelques pour ne pas dire plusieurs chapitres de ma vie (tout comme vous oui oui), et enfin ça y est. Ça y est quoi ? Oh là, ne voyez-vous pas ? L’écriture, juste là, l’écrit, mon stylo noir. J’ai trouvé ma couleur. Le noir, notre premier pas dans la merde. Oups, le monde. Notre premier pas dans le monde, oui.

Peur (marathon)

De l’intérieur, dans l’inertie la plus totale, la peur pousse mieux.

Me voilà déjà mort de peur alors que je ne suis pas encore né. Un monde gastrique – des entrailles jusqu’à la rate – un univers viscéral, voracement humain, où les tubes et les engrenages intestinaux filtrent et broient ce que l’Ogresse, ma mère, engouffre. Son but ici n’est pas de nous nourrir, non, le fruit de ses ambitions serait d’atteindre le titre de noble monstre. Peler les vergers – ces nobles ancêtres – jusqu’au dernier bourgeon, cuire les terres jusqu’à la dernière racine : Jupiter. Elle tâte la tête de ses hommes, dont la morphologie prend l’allure de fruits juteux qu’elle suce jusqu’au noyau, celui-là bien serré entre ses crocs. Les hommes y passeront tous, du premier jusqu’à moi-même. Elle est le nouveau monde de bien après père. Jamais plus de passé ni d’avenir pour ces hommes, jamais plus. Encore et toujours vert de peur, avant même que je devienne la pomme que j’aurais été. Elle aura tourné, coupé le pédoncule du fruit de ses entrailles : croqué la pomme.

Quand on n'a que l'amour

Quand on n’a que l’amour, on se sent comme les clowns de cirque qui marchent en funambules sur les fils de fer. Quand on n’a que l’amour, on n’a que la corde, on n’a pas le filet en dessous pour qu’une fois tombés (parce que tout le monde tombe) on se relève sans aucune égratignure de sentiment refoulé dans un habit de clown de cirque. Quand on n’a que l’amour, à écrire on n’a rien à dire on pleure comme les saules idiots qui n’ont rien à faire et rien à dire mais que bon sang, ils aiment leurs soleils de printemps de plomb vital, ils aiment leurs gouttes de pluie glissante, quand on n’a que l’amour, on meurt jeunes de faim de soif de vivre pour mille et une autres passions et d’amertume enfin, de l’amertume comme il est bon d’être amer, enfin de douceurs mélancoliques je n’ai pas à vivre pour l’amour, l’amour vit seul, moi je meurs.

La femme recousue

« On en vient à s’enticher de choses matérielles lorsqu’on a peur d’avancer, par la peur qu’engendre le grand amour des vies »

Ça a commencé à Paris. Il y avait ces femmes aux jambes et aux muscles de cuisses chaudes, de la sueur, presque pas, mais vous voyez, c’est que là-bas les femmes marchent et marchent sans cesse. Ça leur fait des jambes de gazelle qu’on voudrait croquer. Des chevilles, des pieds trop doux qui sentent bon. Puis il y avait ce mec, vendeur de machines à coudre le tissu. Pas plus fou qu’un autre, moi, me disais-je, l’idée est bel et bien née à ce moment-là.

Je me suis caché dans l’embrasure d’une porte, vous voyez style film de cinéma, et j’ai attendu une passante. Il fallait que j’en attrape une rapide, avec de vrais sabots à talons ou à plateformes, une bague à l’orteil, le gros si possible. Elle a fini par passer, ma piétonne, avec des jambes pas trop bronzées juste assez, avec de petites chaussettes blanches, tant pis pour la bague à l’orteil je m’en passerai et puis, je trouverai bien le moyen de l’oublier. J’ai sauté sur ma piétonne, elle a tenté de courir mais oh il ne fallait pas qu’elle coure, elle m’aurait semé avec ces jambes-là. Non je dirais que je l’ai bien eue, la gazelle, ça m’aurait valu une médaille de président, n’importe lequel des présidents, au point où j’en suis, ce n’est pas une tête de président qui ferait une différence. J’ai transporté ma gazelle jusqu’aux toilettes, dans les cabinets, je l’ai sauté pendant qu’elle était encore vivante mais à vrai dire, elle était déjà morte quand j’ai eu fini d’éjaculer. Peu importe, nous ne sommes pas là pour baiser une femme qui n’a que les jambes et rien d’autre d’une déesse. Nous sommes là pour lui couper le corps. C’est ce que j’ai fait, justement, je lui ai tranché le corps en deux, juste au niveau du tronc. J’ai gardé le bas (les jambes, le sexe et tout ce que je trouvais beau) et j’ai jeté le haut dans la toilette. Les bras n’ont pas passé par le tuyau de la cuvette, j’aurais dû y penser avant, mais bof, je me suis enfui avec les jambes et le bassin de ma gazelle qui, ma foi, perdait beaucoup de sang.

Comme j’étais en voyage, je devais transporter tout ça d’un pays à un autre, de ville en ville dans un grand sac-poubelle vert, et le sac-poubelle devait être percé parce qu’il laissait couler du sang sur les trottoirs. Mais ne vous en faites pas, les policiers m’ont cru cuisinier ou quelque chose du genre, ils ont pris le sang pour du ketchup ou du jus de boulette de viande pas fraîche, allez savoir. J’ai pris le train, j’empestais du dernier wagon à la locomotive, jusqu’à Venise. Rendu là, je devais trouver une femme qui aurait les seins ronds comme les vagues, des bras agiles comme les rames des gondoles et le ventre ferme et capable de se cambrer comme un pont. J’étais dans la bonne ville. Il va sans dire que j’en ai trouvé une, de nationalité je ne sais plus quoi, il y a de tout à Venise. Elle était bien construite bien faite, bronzée style Hawaii avec un bikini bien rempli. J’ai sauté sur ma tigresse, oui je saute souvent comme un lion fou de goût d’envie de dépecer sa proie. Je l’ai prise, ma tigresse avec les cheveux en broussailles, et je l’ai emmenée faire un tour aux bécosses oui celles-là étaient plus sales qu’à Paris je dois dire. Et je n’ai pas perdu de temps, non je l’ai pas baisée celle-là, j’ai baissé mon pantalon et j’ai pissé un bon coup parce que j’avais foutrement envie et c’est tout. J’ai saisi ma petite hachette, et hop, on sectionne. La tête échevelée est partie loin derrière la poubelle et les jambes, je les ai frottées sur moi avant de les foutre dans les chiottes. J’ai conservé le milieu du corps, du bassin jusqu’aux épaules, et alors il ne me manquait plus que la tête pour avoir ma déesse à moi, ma perfection charnelle. Plus rien que la tête… tout y est, presque, alors trouvons une foutue tête… il n’y en avait beaucoup, des têtes, à Venise, mais mon voyage prenait fin et je devais revenir au Québec avant que les jambes de ma gazelle et que les bras de ma tigresse ne se décomposent avec la puanteur. Je suis rentré chez moi, avec mes sacs-poubelles pleins de viande pas fraîche. J’ai dit à ma femme que j’allais sortir les ordures, les mettre au chemin, pour ne pas qu’elle sache que mes sacs-poubelles contenaient des femmes mortes :

- Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? me demande-t-elle.
- Eh bien, les ordures, les vidanges, ma chérie, je vais les mettre au bord du chemin, justement. C’est drôle que tu me demandes.

C’est pas drôle du tout parce qu’elle ne m’a pas cru. Putain. Là je me suis questionné « comment elle sait que c’est pas vrai », elle a poursuivi :

- Je te crois pas, parce que j’ai pas cuisiné de viande cette semaine, seulement des pâtes. Cette viande-là doit appartenir à la voisine, moi je suis végétarienne. T’avais peut-être oublié.

C’est bien vrai ça. J’avais oublié parce que j’en avais rien à foutre. Et j’ai pensé : « je pourrais peut-être lui couper la tête. Elle est pas si mal, et je pourrais la coudre aux épaules et au cou de ma tigresse de Venise, ça ferait une déesse pas si mal. Après tout, je suis carnivore moi, j’aime la viande et les carnivores mange les herbivores, c’est bien connu ; elle est végétarienne ». Mais bof, c’est ma femme, je pourrais trouver mieux, je ne suis pas à ce point mal pris. En plus je la connais trop bien, cette québécoise, nous sommes pareils. Allez, je suis allé voir la voisine, et j’ai eu le même problème : je suis tombé sur une québécoise. Dès qu’on se met à communiquer d’un langage qui nous est familier, une sorte de compassion s’installe alors dans notre esprit, hélas, et nous ne sommes plus capables d’actes cruels. Je suis monté à ma chambre avec mes sacs-poubelles puants. J’ai cousu les jambes de ma gazelle de Paris au tronc de ma tigresse de Venise : il me manquait toujours la tête pour parfaire ma déesse. Je ne trouverai jamais de tête au Québec, ici je ne suis pas un étranger et les femmes ne me sont pas étrangères, je suis foutu. Je suis là à me demander quoi faire, ma femme prépare le dîner. Trouver une tête qui ne soit pas plus profonde qu’un bout de chair, c’est dur. Je me mettrais à chercher que je ne ferais que discuter avec les femmes, pris de compassion au moindre regard, elles me parleraient et j’oublierais leur peau et leurs allures je n’y verrais que l’intérieur. C’est par malchance que les habitants d’un même pays aient accès à l’intérieur de tous et chacun par pure compassion. Je ne trouverai que des têtes qui me parleraient d’une voix pénétrante, puis de l’amour de la vie qu’elles ont. Ah, si seulement les gens n’avaient pas de conscience dans la tête, je n’aurais pas tant de mal à leur tordre le cou. Femmes, rendez grâce à votre conscience qui vous sauve des hommes comme moi ! Votre tête, c’est la seule chose qui soit à l’abri de toute barbarie masculine. Peut-être qu’un jour je ne verrai plus les consciences dans la tête des gemmes. Peut-être qu’on y verra que du bois ou du fer, ou des fils, ou des machines. En attendant, je prendrai l’horloge circulaire du mur, ronde comme une tête, pour la fixer aux épaules de ma tigresse. Voilà une tête pas si mal. Et je pense qu’on en vient à s’enticher de choses matérielles comme celle-là lorsqu’on a peur d’avancer, par la peur qu’engendre le grand amour des vies.

Le satané fric

Il collectionnait les cartes. Les cartes à jouer, celles avec les chiffres dans les coins et les rois, surtout, le trèfle, le diamant, parfois le cœur, mais jamais le pique. Et dans sa tête, le signe du dollar, le s avec les deux barres bien droites parce qu’il n’était pas plus fou qu’un autre, enfin c’est ce qu’il disait. Il s’était enfermé dans une salle, très haute de plafond, sans musique ni vibration, dans une ville genre Venise, super loin du chemin de fer pour ne jamais sursauter. Il ne fallait pas venir le déranger, ça non, il vous lançait des taloches en criant de décamper : il faisait ses châteaux. Oui, c’est ça, des châteaux de cartes. De dimensions jamais atteintes, de hauteurs de mal de cœur. Et ensuite, une fois qu’il aurait achevé le plus immense des châteaux jamais érigés, il aurait sa place dans un livre genre « les records de ce siècle ». Alors ses cartes prendraient de la valeur, il pourrait les vendre à un prix fou que tout le monde se les arracherait quand même, à s’en vider les poches. C’est ce qu’il disait. Puis un bon jour comme ça, dans la chambre de ses châteaux, une femme est entrée par malheur. Par malheur, il ne lui a pas fermé la porte au nez parce qu’elle avait le nez d’une cléopâtre parfaite dans les châteaux égyptiens. Alors il l’a gardée, la cléopâtre, près de lui, puis il s’est mis à moins bâtir, à perdre son rythme de bâtisseur infatigable. Il passait plutôt son temps à discuter avec la cléopâtre, vous savez, à faire des compliments à propos de son nez et de ses foulards, vous voyez l’emprise. La fille riait tout le temps, pas trop intelligente quoi, elle lui faisait recommencer son travail jour après jour : « il manque de cartes rouges dans tes châteaux, celles de cœur, tu devrais en ajouter, et enlève celles de trèfle de toute façon, t’as pas besoin de la chance, tu m’as maintenant ». Il défaisait quelques étages de châteaux, plaçant ici et là les cartes que la cléopâtre avait choisies, des cartes de cœur pour sa belle qui ne sert à rien. Et là un bon jour, encore comme ça, elle est partie comme elle était venue, avec son nez grandiose et ses poches vides. Le pauvre homme n’était alors pas plus riche de fric, tout était à continuer, il fallait reprendre le rythme, oublier le temps qu’il avait perdu avec sa cléopâtre qui s’était foutue de lui. Mais à chaque carte qu’il venait ajouter aux châteaux, il revoyait les cartes de cœur placées par sa belle cléopâtre puis il pleurait, les sanglots n’en finissaient plus. C’était la nostalgie, ah vous aurez compris.

Soudain tant pis, il a enlevé toutes les cartes de cœur, frustré le bonhomme, il les a déchirées puis remplacées par du pique, tiens, parce qu’il était triste comme un fou. Mais le pique, il n’avait jamais aimé. Il est devenu fou comme un vieux triste. Il s’est jeté dans ses châteaux de cartes inachevés, complètement foutu et il est mort de faim. Le vieux fou eh bien, c’était mon père. Il aurait peut-être dû prendre les choses moins au sérieux et, comme on dit, rire et rigoler. Du moins, il aurait dû vivre sa passion avec le sourire aux lèvres, et pas avec le fric dans la tête. C’est dommage qu’il ne soit plus là, parce que j’avais une carte pour lui. Une carte qu’il n’avait pas. C’est celle avec le petit fou amusant, avec le pantalon coloré et le chapeau avec des grelots, je crois qu’il ne l’avait pas, elle se fait de plus en plus rare, cette carte rigolote de clown farceur qui ne se prend pas au sérieux. Enfin j’avais cette carte qu’on appelle le joker, le clown heureux. Il n’y en a que deux des comme ça. Une pour moi et… une pour mon père qui est mort comme un clown triste, fou du fric, satané va.

Casse-cou

Les secrets du dieu ne m'ont jamais fait peur. Jamais, sauf là. Il y a un début à tout, même à la peur.

On gambade comme de vraies biches, les genoux qui sautent plus haut que la hauteur permise, la hauteur conçue à l'origine, puis le malaise nous prend. D'assaut.

Les genoux ne sont pas faits pour les mouvements verticaux, mais ça, on décide de s'en rendre compte, ou on décide de l'ignorer. Même chose pour la plante des pieds. On les laisse effleurer le sol en toutes frôleuses, ou on les fait danser plus haut.

Attention au vertige.

Elle s'improvisait ballerine à l'occasion des printemps des garçons, des parents des enfants aussi, pour se montrer plus qu'autre chose ; elle courtisait l'entourage. Elle a vieilli puis elle est morte, raide comme une poutre, sans flafla. Moi, je ne la connaissais pas plus que ça. Je savais deux ou trois trucs de ses goûts et manières de bonne vivante, mais vite oubliés. C'était Ludovic le pire dans toute l'histoire, lui qui n'a jamais accepté la mort et ces choses-là qui font paraître les erreurs, des offenses à la vie. Le radical. Au moment des funérailles, quelque chose lui était entré dans la tête, par les oreilles, un quelque chose qui l'avait rendu aussi raide qu'un cadavre lui aussi. L'amour. Disons, oui, que c'est fort probable qu'il l'ait aimée. La fille. Il devait en être amoureux depuis longtemps, en secret, parce que je l'ai vu dans ses rides de visage. Je ne dis pas lire dans les rides, mais, à voir l'indélogeable Ludovic assis sur sa chaise depuis la mort de cette fille, la déduction était facile. L'immobile.

J'avais trouvé le moyen de le faire grouiller un peu sur sa chaise ; j'en étais fier. Je me sentais revivre par la cause d'une bonne action. Futile. Le moyen que j'avais pris pour le réanimer était plutôt étrange j'en conviens, mais c'était toujours sans succès qu'on faisait tout pour guérir le peiné. J'ai dansé. Dans la cuisine de Ludovic. De manière féminine, oui, j'en conviens encore, le tout pour lui rappeler le temps où elle vivait encore. La fille.

Il s'est animé. C'est un peu comme si une chaise prenait vie alors, par ma grâce, lui que je croyais mort depuis les funérailles semblait renaître pour la grâce du sentiment.

Quelque chose l'avait cogné. Il n'était plus comme avant.

À me voir danser comme celle qu'il aimait, Ludovic m'a embrassé ou plutôt, une étreinte, amoureuse je ne sais pas, mais ça semait le doute partout dans la cuisine. J'ai foutu le camp.

Des jours ont passé. Je n'osais plus rendre visite à Ludovic. Peur qu'il me prenne pour celle que je n'étais pas. Il m'arrivait de passer tout bonnement devant chez lui, et je le remarquais qui attendait le retour de celle qui autrefois dansait. La fille.

J'avais alors pris une décision. La fille que Ludovic avait aimée était morte depuis trois bonnes semaines, et ça suffisait. Je devais faire renaître ce qui était mort. Qu'il me prenne pour cette fille qu'il aimait, ça m'était égal. À tant faire que de le regarder se lamenter, j'y suis retourné, chez lui. Le manque d'amour l'avait changé un peu, je dois bien le dire. Le bleu de ses yeux n'était plus tout à fait le même, et la rotation dans ses orbites, chaotique. Que je sois un homme ou non, là n'est pas la question. Il fondait sur moi.

Il m'avouait l'amour, ses soleils gris de mélancolie, combien le temps se faisait long depuis le cercueil en fleurs. J'écoutais. Quand on parle de mort je reste pantois, la bouche ouverte, les yeux de biche, j'en étais une. Une biche. Il y a un début à tout. Et la fin, on l'attend rarement.

Il vivait d'amour, de phrases déconstruites, de paroles décomposées, et de moi qu'il prenait pour sa biche, pour la fleur qu'on aurait extirper de la terre. Il déboutonnait mon jean. J'avais laissé la chance au coureur, et il ne manquait pas de m'aimer. D'amour.

L'horreur, tout ne tarderait pas à être dévoilé, même aux yeux d'un fou. J'avais perdu mon pantalon dans le spectacle charnel de sa peau sur la mienne, je n'avais plus rien, plus rien pour dissimuler l'erreur. Qu'il découvre ce que j'ai entre les jambes. Depuis ma naissance, ce qui fait renaître l'un et l'autre. Un pénis. Ça n'a rien de drôle. Malgré son état de bonhomme excité, du fou de l'amour et des désirs retrouvés, il a su voir. Ce que j'avais là. Ça ne trompait pas, mais lui s'est senti trompé. Autant il pouvait être tendre, autant il pouvait donner dans la colère. Son couteau, je m'en souviens encore de par les cicatrices qu'il a voulu éternelles. Et les rides de la peau de Ludovic avait regagné le terrain soudain. Il m'a épargné, par la grâce de je ne sais plus quelle danse, je me suis sauvé la vie. Lui, il n'a jamais accepté ces choses-là qui font paraître les erreurs, des offenses à la vie, bref le couteau n'a pas mis de temps à faire couler son amertume de malheur, sur sa gorge, puis il est mort. Par lui-même. Et peut-être un peu, aussi, par ma faute. Mais ça, on décide de s'en rendre compte, ou on décide de l'ignorer.

À l'heure qu'il est, Ludovic soupire quelques mots du temps d'avant aux fleurs de celle qu'il aimait, nul doute là-dessus. Moi, j'ai pris une décision, encore, puisqu'elles ne sont jamais si mauvaises, mes ambitions. Je ne bouge plus de cette chaise-là. À vouloir voltiger sans cesse, on se casse le cou. Je ne fais rien, moi, sinon que d'en venir à croire que le dieu a des secrets qu'il garde, loin de ceux à qui le destin manque.

C'est pourtant simple

on nous a servi des assiettes de carton,
et ses rires à la princesse,
j'en avais assez,
c'est pour ça, que je n'aimais pas Francine.

le temps me manquait,
elle attendait mon appel qu'elle disait,
tu me connais,
c'est pour ça, que je n'aimais pas Denise.

et je dis les filles,
je les aime toutes,
et j'ai toujours cru à ce que je disais moi aussi,
c'est pour ça, que je suis un garçon.

tout s'est écroulé avec une autre,
j'ai tout raté et puis,
j'en avais plus envie,
et c'est pour ça, que je n'aimais pas Chantal.

j'ai un air de cercueil peut-être,
je meurs que tu dis,
on dira que je change, hélas non, je reste le même,
mais moi, c'est les garçons, que j'aime.

Retour de vision

araphile des prunivores m'or défort,
l'ache ma souche parir ir hirsute
chatte sur l'inter-fate, il s'or
ganise mé papa prise mépire
pourqu'à s'il convient compare arse,
nulle valse.

ma raie sonne, paire en droit à moi,
découle cou, race défarée gracionale,
amplimée, torfarée pourqu'à s'inimale délu dormal décou dur!
ils galent de gen, se me rame criniore d'encre,
sarque ma rèque, ma rision par destroctaride!
tir mal, bais Frandeny moura de loi, louage, liré!

guttine-onne, alère parag dit guedime...
je furiste je mal je format... je mot.
han motaire taire en d'heure ir riri,
rendeur, rime-i-on d'heure ir,
si la flame fait fuir, moi j'ir par les-sols pur peurir !

Ratch'a'bid

en rate-chatte ratée,
rachel, ma roche and roll à la hache de pachelbel,
belle mais riche,
mais red et rauque en batch de weed,
arrache l'attache du panache de rides;
les crachats - ah - l'abysse raide,
clash de pistaches salées - hé ! - bac de taches acides;
parades de rush et bitches laides,
ça crash aride dans l'arche du kid,
pour le faste du flash de cidre,
et les restes du christ en cristalline;
j'embrasse la crasse et mi-farce mi-aide,
je catche et cache ma carapace,
dans l'arachide la ratch'a'bid;
rage de ratch dans l'bed,
le match de faces d'eric the red;
je marche su'l cash,
pis l'rhum de patches de vides.

RachelN

Et si tu n’existais pas, dis-moi… pourquoi j’existerais ? Pour traîner dans un monde, sans toi ? Sans toi, sans souvenir de parasol givré, sans souvenir de piscine enneigée ? Sans toi, sans sourires en coin dans les coins des murs pleins de poussières où je me tiendrais sans toi ? Sans toi, sans espoir, sans regret ? Ces regrets de ceux qui ne rient plus, ces regrets de ceux qui crient dans les cimetières parce que bon sang j’aurais dû lui dire ceci, j’aurais dû lui dire cela, lui dire qu’enfin je n’ai pas envie d’aller m’isoler dans un coin poussiéreux non, je préfère les couleurs des rires haha avec les grosses dents visibles, je préfère les couleurs du peintre qui voit, qui voit enfin, sous ses doigts, naître les couleurs du jour et qui n’en revient pas !

Et si tu n’existais pas, dis-moi pour qui j’existerais ? Des passantes endormies dans mes bras, que je n’aimerais jamais ? Jamais, jamais, parce qu’elles seraient trop endormies ; du genre de : ces passantes n’attendent rien d’autre que le prince charmant qui les réveillera mais voilà, je ne suis pas un prince moi, non, si tu n’existais pas, je ne serais qu’un point de plus ! Un point. C’est tout. Rien. D’autre. Qu’un. Point. Comme je me sentirais perdu, dis-moi, si tu n’existais pas, pourrais-je faire semblant d’être moi ?

Non (20x) je ne pourrais pas ! Non non je ne pourrais pas, non non non non non comme le disque a sauté ! Le disque saute ! Non (10x) la musique est jammée, jammée, jammée sur la même note sans que rien n’avance ! Et moi qui suis la musique je bégaie je bégaie je bégaie sur la même note de ce non (10x) je ne pourrais pas, non je ne resterais qu’à toi ! Sinon ! Sinon ! Je ne serais plus le même, je serais quelque chose du genre de quelqu’un qui n’est plus le même ; du genre de quelqu’un qui a l’accent définitif pour de bon du genre de : « j’comprends po comment ce que c’est que ça se fait que lui y dit qui t’aime au juste j’comprends pas où c’est que c’est quié l’amour pis qui c’est que c’est c’te gars là pis moi chu qui, qui-qui-qui pis » là le disque sauterait jusqu’à ce qu’un nouvel accent me parvienne totalement différemment mais encore il ne serait absolument, absolument pas moi du genre de [reviens moi rapidement ma cherry because pourquoi tu refuses de dormir avec moi] mais encore là, je ne serais pas moi non (20x) je ne pourrais pas non (10x) ! Je ne serais qu’à toi. À toi.

À toi, à la petite fille que tu étais, à celle que tu es encore souvent, à ton passé, à tes secrets, à tes anciens princes charmants qui, eux, eux ! ont été des princes charmants mais ah, comme je n’ai rien d’un prince ! À toi. Je ne resterais qu’à toi, à la vie, à l’amour, à nos nuits à nos jours, à l’éternel retour de la chance, à l’enfant qui viendra, qui nous ressemblera, qui sera à la fois toi et moi, VIOUP !

À moi. À la folie dont tu es la raison… À mes silences et à mes trahisons, quelques fois, pas souvent, non, je ne mens pas puisque mes mensonges sont toujours sincères et, à toi, je ne resterais qu’à toi et au temps que j’ai passé à te chercher, aux qualités que j’ai mais dont tu moques bien, aux défauts que je t’ai cachés, à mes idées de baladins ! VIOUP !

À nous. Aux souvenirs que nous allons nous faire, à l’avenir et au présent, surtout, à la santé de cette vieille terre qui s’en fout, à nous ! À nos espoirs et à nos illusions et à toi, toujours à toi, à ta mort que je tiendrai dans mes mains, à toi, toute en cendre que je tiendrai, à ces cendres si tu le veux bien ou sinon, à toi, momifiée avec moi dans un sarcophage doré que nous ferons enterré dans une pyramide de 900 000 pieds de haut pour toi, à toi, à toi, à la façon que tu as d’être belle, à la façon que tu as d’être à moi non ! À la façon que j’ai, d’être toi…

Mes draps vides à toi

J’écrivais quand tu as quitté par cette porte navrante de bois perdu, l’appartement d’un métal froid perdu dans le bois et la patère et – cette patère qui menaçait de s’effondrer sous le tas de manteaux tristes, non ça ne va pas, je n’écrivais plus quand tu as quitté non, je me trompe par ta faute ; je faisais bouillir l’eau de mon chaudron triste et je bouillais dans l’eau en toute indolence, mou je l’étais, sans comique et mon sang bouillait pour ton départ oui, tu quittais inlassablement sans entrelacements sans rien dire non ça ne va pas tu n’as rien dit et moi je brûlais, que mon eau était chaude et toujours aussi chaude qu’avant le chaudron, qu’avant le baiser de nous deux le soir d’hiver où tu ne m’avais rien dit, encore, rien dit du non ça ne va pas et tu quittais pour de vrai cette fois, jusqu’à la prochaine du je ne sais pas quand, à la prochaine parce que oui j’ai pleuré en éclats par les fenêtres de ce sous-sol d’appartement d’humeurs de draperies, mes draps vides à toi, déjà, les draps que je découpais en lambeaux, déchirais en morceaux comme du gazon dans un sac-poubelle, j’avais la gorge nouée dans le nœud de ma misère du genre de ça y est j’ai tout raté parce que non ça ne va pas et tu quittais avec le goût amer, une envie de me dire « take me back to the start », une phrase que seuls les idiots se font dire et redire parce que je n’ai pas su être ni le bon ni le mal, ni l’ami ni l’amour, ni la joie ni la joie de vivre parce qu’enfin, tu quittais et je ne retenais pas les choses, incapable de sortir quelque chose du genre de mon « donne-moi cette main rachel nous nous sommes perdus dans le bois de la porte et de l’appartement d’accord, vivons plutôt ensemble parce que moi j’adore quand tu manges avec moi à l’heure du souper » auquel je pensais et vivre de la sorte, de cette sorte-là, pour crier aux idiots que moi je t’aimais en un love just is de la simplicité du laisser vivre mais, comme tes yeux en rondelles me manquaient, ça n’allait pas faire de ma soirée une solitude heureuse et au contraire, j’ai pleuré en éclaté sur ma chaise de cuisine amochée parce que la vie est une chaise vide et une chose oui, une chose que j’ai à dire et – c’est que non ça ne va pas quand je pense à combien je n’écris plus depuis et à combien le départ de toi m’attriste, comme cet oiseau qui tombe de cette branche en plein hiver, comme ces tourtereaux brisés, comme cet éclat qui éclate, comme cet hiver que j’ai, comme toi seule sais le faire tempêter, et comme toi seule sait le faire cesser.

L'échelle

Papa se tenait au sommet de l’échelle, tout en haut, comme un funambule très expérimenté dont j’étais très, très fier : papa fixait les lumières de Noël sur le toit de la maison. Je croyais que je pouvais être utile à quelque chose, je croyais que grâce à moi peut-être que papa ne tomberait pas de l’échelle, alors moi, je tenais la base de cette échelle, à deux mains, pour être certain qu’elle ne glisse pas sur la glace. Ah, l’opération délicate que ce devait être, de fixer les ampoules aux fenêtres et tout ça ! Chose certaine, ce travail n’était pas pour les peureux. Moi, tout en bas alors que papa se tenait là-haut comme un funambule : j’avais l’impression de n’être presque rien. J’avais l’impression d’être si petit, alors qu’au fond, j’aurais tant aimé y grimper moi aussi, mais, au lieu de ça, j’étais obligé de tenir l’échelle.

C’est toujours dans ces moments-là, je veux dire, quand j’étais obligé d’être avec papa, que mes propos devenaient des plus stupides.

Maman regardait dehors, elle nous observait, intriguée par la scène mais surtout, curieuse de savoir si papa allait ressortir vivant de ses acrobaties d’échelles. J’ai commencé la discussion :

« - Papa, pourquoi il doit y avoir absolument les lumières de Noël. Qu’est-ce qu’on fait avec l’obscurité de Noël ?

- Hé bien, on s’en fout de l’obscurité de Noël : l’obscurité vient toute seule, pas besoin de l’accrocher aux murs et aux toits.

- Et pourquoi les lumières on les accroche plusieurs jours avant Noël ?

- Parce que s’ils ont inventé des lumières « de Noël », c’est pour qu’on les voit. Et si on les accrochait seulement le jour de Noël, les gens auraient pas le temps de les voir.

- Oh d’accord, mais pourquoi ils auraient pas le temps de les voir ? C’est pas long, regarder des lumières, ça prend une seconde !

- Peut-être, mais les gens sont occupés à Noël, ils ont pas le temps de regarder les lumières des autres pendant une seconde.

- Ah d’accord, mais qu’est-ce qui te dis qu’ils ont le temps de les regarder une semaine avant Noël ? S’ils accrochent leurs lumières de Noël à eux, ils ont pas plus le temps de regarder les lumières des autres.

- Hé bien, disons alors que je les accroche pour moi et pour seulement moi, pas pour les autres.

- Ah d’accord, mais maintenant que ça fait quinze minutes que tu les accroches, tu dois avoir eu le temps de les voir, les lumières, alors, pourquoi t’arrêtes pas de les accrocher si tu les as déjà vues ?

- Ahhh ! Parce que, parce que, mon amoureuse elle les a pas vues ! Je les accroche pour elle ! Elle trouve ça joli !

- Ah d’accord, tu les accroches pour maman. Mais, maman elle les a vu les lumières elle aussi, pendant au moins une seconde, puisqu’elle nous regarde par la fenêtre.

- Ok, oui, oui, elle les a vues c’est vrai. Mais une seconde c’est pas assez. Elle veut les regarder plus longtemps.

- Ah d’accord, pourquoi elle veut les regarder plus longtemps ?

- Parce qu’une seconde, pour une fille, c’est pas assez.

- Ah, je savais pas.

- Hé bien maintenant tu le sais.

- D’accord. Je faisais juste demander, parce que je voulais simplement dire par là que t’étais pas obligé de faire tout ça… Et que j’étais pas obligé non plus de tenir l’échelle pendant que tu risques de te casser une jambe en tombant. Pourquoi tu fixes autant de lumières papa ?

- Ha, ha, parce que mon amoureuse elle aime ça quand il y en a beaucoup.

- Ah d’accord. Mais à quoi ça sert les lumières ?

- Toutes sortes de choses. Sans lumière, on voit pas clair. En plus, lorsqu’il n’y a pas de lumière il arrive qu’on déboule…

- Ah vraiment ? oh mais non, papa, le fait qu’on déboule n’a rien à voir avec les lumières de Noël : on doit sûrement débouler bien plus souvent lorsqu’on n’a pas de boules, que lorsqu’on n’a pas de lumières… et notre sapin, est-ce qu’il en a des boules ? Est-ce que maman a terminé le sapin ? Dis papa, les décorations de Noël, est-ce qu’elles appartiennent à maman ? Je le demande parce que c’est toujours elle qui fixe les boules et les décorations du sapin. Dis papa, une fois qu’on aura fini de fixer les lumières, est-ce que je vais pouvoir demander à maman de fixer les boules sur les branches du sapin ?

- Hein ? quoi ? Je t’écoutais pas, je suis occupé là.

- Je te demande si ça te dérange que je fixe les boules de maman.

- Que tu fixes quoi ? Dans quel sens ? Fixer dans le sens d’accrocher ou dans le sens de regarder ? Tu me déconcentres là. Tiens donc l’échelle au lieu de faire le con !

- Oh, d’accord, d’accord… T’es grognon… Papa ? Tu sais ce qui arriverait si on se disputait ?

- Non je sais pas. J’imagine que tu lâcherais l’échelle et que je me casserais la jambe.

- Oui mais non, je veux dire, si on se disputait pour de vrai, tellement qu’on ne se parlerait plus et que maman divorcerait !

- Ah bah non je sais pas ce que ça ferait.

- Hé bien, c’est que nous aurions le genou égratigné !

- Hé b’en…

- Mais oui, c’est parce que si le JE ne voulait plus rien savoir du NOUS, il n’y aurait plus de ge-nou !

- Ah, hé bien laisse-moi te dire que si tu n’arrêtes pas de jacasser, il n’y aura plus de ge-nou mais il va y avoir un je-tu.

- Oh d’accord, haha, c’est drôle papa ! Papa ? Est-ce que je suis drôle moi aussi ?

- Non.

- Ah je savais… je sais... T’es trop occupé avec tes lumières mais, le jour où tu vas arrêter de vouloir être brillant avec tes lumières, tu vas me trouver drôle, peut-être ?

- Peut-être. Le jour où j’aurai fini d’accrocher mes lumières, mais là, c’est loin d’être fait.

- Oh là là. Papa, tu t’inquiètes ? Est-ce que t’as peur de tomber, là-haut ?

- Non.

- Tu pèses combien ?

- Je me rappelle pas combien je pèse et c’est pas de tes affaires.

- Mais oui c’est de mes affaires ! Si tu veux que je tienne l’échelle, ça réussit mieux si je sais combien il faut que je supporte.

- T’as pas à me supporter ! T’as seulement qu’à tenir l’échelle ! C’est moi qui supporte tes conneries depuis tout à l’heure !

- Oh là là, t’es gêné de dire ton poids papa ? Pourquoi tu veux nier ton poids ?

- Je le nie parce que tu vas aller le répéter sur tous les toits !

- Mais non, comment veux-tu que j’aille répéter ton poids sur tous les toits ? C’est toi qui es sur le toit ! Moi je suis en bas.

- Je veux dire que si je te le dis, tu vas pas arrêter de déconner à propos de mon poids. Ça va être fatigant.

- Oh, mais moi je crois que tu devrais pas nier ton poids. Les poids niés c’est bon à rien, les poids niés, ça appartient seulement aux portes ! Les poids niés papa ! Haha, pourquoi tu ris pas ? Elle est belle notre porte, hein papa, elle est belle notre porte d’entrée. Plus belle que celle du voisin. Le genre de grinch qu’on a en rentrant… Ça fait beau. Ça fait sympathique ! Je trouve ! Moi, papa, je crois que le grinch va remplacer le père Noël un jour, il deviendra l’emblème de Noël ! Tu sais pourquoi ? Parce qu’avec le réchauffement de la planète, le blanc, oublie ça ! Le blanc, c’est fini. Moi, je préfère le vert. Pas toi ?

- Peut-être. À condition que le grinch soit plus sévère avec les enfants qui sont pas sages et qui n’arrêtent pas de jacasser.

- Oh non ce qui est amusant avec le grinch c’est que, il nous donnerait des cadeaux à condition qu’on soit méchants ! Dans ma tête en tout cas, dans ma tête, c’est comme ça.

- Dans ta tête… dans ta tête c’est pas grand-chose…

- Pourquoi t’es méchant avec moi, papa ?

- Parce que je suis tanné que tu m’appelles papa.

- Comment tu veux que je t’appelle, alors ? Tous les enfants appellent leur papa « papa ».

- Oui, sauf que moi, je suis pas ton père. Ton père il est de l’autre côté de la rue.

- Oh là là, tu es qui alors ?

- Ton voisin. Regarde de l’autre côté de la rue ! Tu vas voir il y a ta maison !

- Oh non ! Je te crois pas !

- Mais oui, puisque je te le dis ! T’as qu’à regarder derrière toi, de l’autre côté de la rue !

- Mais non, je peux pas me retourner ! Si je me retournais pour regarder de l’autre côté de la rue, je risquerais de lâcher l’échelle, et tu tomberais ! Tu veux tomber ?

- Non.

- Bon. Et toi, papa, comment peux-tu dire que ma maison est de l’autre côté de la rue ? Tu ne peux pas te retourner toi non plus ! Tu tomberais, à moins d’être acrobate.

- Hah, penses-tu vraiment que je suis acrobate ? Tu m’as vu l’air ? J’ai rien d’un acrobate, je suis même plutôt gros !

- Oh mais, je sais pas moi, t’as pas voulu me dire combien tu pesais tout à l’heure !

- Laisse faire combien je pèse, là, et tiens l’échelle, parce que là, ça branle !

- Je fais attention, sauf, je me dis : soit tu es mon père mais tu refuses de l’avouer parce que tu m’aimes pas, soit tu es mon voisin mais tu accroches des lumières sur le toit de ma maison.

- Mais je suis pas idiot à ce point là ! Je sais reconnaître MA maison ! MON échelle, MON toit et MES bardeaux sur le toit de MA maison !



- Papa ? Enfin, Monsieur ?

- Oui ?

- Pourquoi tu descends pas ? Pourquoi on n’arrête pas un peu de travailler sur les lumières ? Pourquoi tu descends pas, comme ça on pourrait voir de quelle maison il s’agit exactement, et de quelle famille on fait partie, et savoir une fois pour toutes si tu es mon papa ou pas ?

- Ah… je voudrais bien mais, tu connais ta mère, enfin, je veux dire, tu connais pas la mère de MON enfant (qui n’est pas toi), tu connais pas mon amoureuse, mais, elle veut que j’accroche les lumières : elle veut que tout soit fini avant dix-sept heures. Pas question d’arrêter maintenant.

- Oh là mais, elle est sévère maman. Enfin, elle est sévère la voisine (si tu es vraiment mon voisin), enfin, elle est sévère ton amoureuse. Est-ce qu’on saura qui on est, un jour ?

- C’est quoi cette question ? Je sais très bien qui je suis.

- Oui, mais tu sais pas qui je suis, moi ! Et je sais pas trop qui tu es. C’est jamais trop, trop certain, et, comment peut-on être certains de qui on est ? Toi, tu dis que tu es mon voisin, moi je dis que tu es mon papa, et puis, y a ton amoureuse qui nous empêche de nous connaître parce qu’elle veut pas que t’arrête de fixer les lumières, et, c’est compliqué…

- Qu’est-ce que ça peut faire, même si on n’est pas sûrs de qui on est ? On voit ce qu’on voit, et c’est tout.

- Oui, mais, moi j’aimerais bien voir ce que tu vois. J’aimerais bien être là-haut moi aussi. J’aimerais bien grimper l’échelle ! Est-ce que tu me laisserais faire ?

- Oh là je sais pas… c’est peut-être dangereux… je pourrais tomber si tu montais… on pourrait s’égratigner le genou encore plus, comme tu dis…

- Oui, mais, ici, c’est pas mieux, notre genou il est absolument rien ! Ici, on n’a aucune idée de qui il est, notre genou !

- Ah… t’as probablement raison, on n’a rien à perdre… viens. »

À partir de là, j’ai monté l’échelle, je suis monté là-haut rejoindre papa ou le voisin ou le monsieur ou peu importe, cet homme-là, et je me suis assis sur les épaules de cet homme-là, et alors, notre poids, je n’ai pas à le nier, il était très, très lourd et, vous auriez été surpris de voir que, au bas de l’échelle, la glace fondait et même qu’elle se fracassait sous notre poids. Vous auriez été surpris de voir que nous n’avions rien des acrobates des cirques mais, même s’il n’y avait plus personne pour tenir l’échelle, nous tenions en équilibre encore mieux que s’il y avait eu quelqu’un. À deux, nous fixions les lumières et, moi, sur les épaules de cet homme-là, j’atteignais les fenêtres les plus hautes ; à deux, nous avons fixé tout ça si vite que l’amoureuse de cet homme-là a été super heureuse. Nous l’avons rendue si heureuse que, lorsque nous sommes rentrés à la maison, à dix-sept heures, nous avons eu droit à des biscuits. Et, vous savez c’est quoi le plus beau dans toute cette histoire ? C’est que l’amoureuse de cet homme-là en question, elle m’a souri quand je l’ai appelé maman.

La lune

« La lune est bien trop petite, dit-elle.

« Jamais le désert tout blanc de la lune ne se plierait de la sorte. Il faudrait de grands vaisseaux d’or massif, comme dans nelligan, avec des ailes jusqu’à l’azur pour que les humains s’y déportent. J’ai peine à croire que le ciel voudrait d’une telle cohorte. »

Alors elle écrit.

Et vous devriez lire les vers dans les lignes de ses paumes qui se frottent, ce sont les psaumes d’une chaleur d’un sabot de cheval qui trotte.

Alors elle peint.

Et vous devriez voir l’esquisse d’une nature morte, sous sa plume ce n’est plus un simple tronc par lequel de frêles rameaux sortent, c’est un buste arrondi aux nervures fortes, un drapeau qu’une poutre supporte, une guerre opposant le vent et le marbre où l’objet l’emporte.

Alors elle chante.

Et vous devriez entendre l’écho des couloirs de sa gorge, des artères jusqu’à la crosse de l’aorte, et les rires qui en sortent. C’est un million de peines qu’elle avorte, dans son rire ce sont les baisers de la lune qu’elle rapporte. On y entend que dans les saillies d’une roche elle et moi pourrions tailler une grotte.

Alors elle ouvre la porte.

Et vous devriez lui voir l’esprit lunaire, ses lèvres blanches pleines de poussière comme heureuses que mon épaule ne soit pas morte. Et moi j’inspire à chaque fois qu’elle me chuchote : « je te suivrai si tu me transportes. Jusqu’à la lune ou ailleurs peu importe. »